Boulevard romantique ? Farce ou tragédie ?
Notes autour de la pièce
Note de mise en scène
A propos de la pièce
Jacqueline, mariée à Maître André est amoureuse de son amant Clavaroche, fougueux officier en garnison dans la ville. Afin de détourner les soupçons de Maître André sur la fidélité de sa femme, Clavaroche propose à Jacqueline de prendre un "Chandelier".
C'est ce qu'il définit comme un "grand garçon de bonne mine qui est chargé de porter un châle ou un parapluie au besoin ; qui, lorsqu'une femme se lève pour danser, va gravement s'asseoir sur sa chaise, et la suit dans la foule d'un oeil mélancolique, en jouant avec son éventail ; qui lui donne la main pour sortir de sa loge, et pose avec fierté sur la console voisine le verre où elle vient de boire ; l'accompagne à la promenade, lui fait la lecture le soir ; bourdonne sans cesse autour d'elle, assiège son oreille d'une pluie de fadaises. (…) Il sert de paravent à tout ce qui se passe sous le manteau de la cheminée. Si le mari est jaloux, c'est de lui."
Le Chandelier reprend le thème du triangle amoureux riche en stratagèmes et dissimulations.
C’est le jeune clerc Fortunio, amoureux de Jacqueline et coupable désigné pour attirer à lui tous les soupçons, qui se voit attribuer le rôle ingrat du « chandelier ».Ce jeune héro romantique par excellence déjouera subtilement le destin et surprendra tout le monde. On s’accuse, on se pardonne et on s’aime, dans cette comédie qui conjugue avec brio mensonges, aveux et serments.
Le Chandelier est une pièce importante dans l'oeuvre de Musset. En effet on y retrouve les thèmes centraux de l'amour, du désespoir amoureux, de la confusion des sentiments.
La pièce débute teintée de farce, comme une comédie pour finir empreinte du drame tragique. Oscillant entre mensonge et découverte de la vérité, émerveillement et déception, elle augure La Confession d'un enfant du siècle écrite la même année.
Ces deux oeuvres sont en correspondance, elles se répondent, elles s'appellent et il n’est pas hasardeux d'entendre les mots de l'une blottis au milieu de l'autre.
A l’origine de mon travail sur l’oeuvre de Musset il y a une image, une évidence qui viennent de ce tableau puissamment contrasté, presque cinématographique de La Confession d’un enfant du Siècle d’Alfred de Musset.
« Peut-être était-ce l’ange avant-coureur des sociétés futures qui semait déjà dans le coeur des femmes, les germes de l’indépendance humaine, que quelque jour elles réclameront. Mais il est certain que tout d’un coup, chose inouïe, dans tous les salons de Paris, les hommes passèrent d’un côté et les femmes de l’autre, et ainsi, les unes vêtues de blanc comme des fiancées, les autres vêtus de noir comme des orphelins, ils commencèrent à se mesurer des yeux. »
L’armée noire des hommes et l’armée blanche des femmes se dévisagent sur le champ de bataille élégant et rangé des salons de la Restauration, prêts à se jeter les uns sur les autres… Ou à ouvrir le bal d’une valse très lente et fragile.
La Confession d’un Enfant du Siècle sera au centre d’un voyage en compagnie de Musset et de sa « bande » de personnages, profondément ambigus, insaisissables, polyvalents, habités qu’ils sont par une multiformité de désirs et de plaisirs, inspirée sans doute de la Renaissance aussi bien que du 18ème siècle.
Etrangement, on y trouve un vague soupçon de féminité qui vient de leur raffinement ou du fait qu’ils se trouvent à l’aise dans les lieux d’intimité avec les femmes. Et cela entraîne une fluctuation ou un brouillage de la ligne de démarcation précise qui sépare les hommes des femmes.
Pour apprivoiser cet univers subtil, il nous fallait faire, en quelque sorte nos premiers pas. Nous ouvrons la danse avec Le Chandelier : pièce peu connue du répertoire de Musset, rarement jouée, sans doute parce qu’elle est d’une facture différente des autres oeuvres de cet auteur.
Ce texte clair et enlevé contient tous les ingrédients qui constituent le théâtre : le canevas, les personnages hauts en couleurs, les enjeux forts, le suspens, les rebondissements… le tout immergé dans un univers poétique et en même temps, étrangement familier.
Le travail de mise en scène comme toujours au Théâtre du Trèfle a été pensé pour que le texte s’épanouisse sur le plateau… que seuls les corps et les souffles des comédiens le portent. Pas d’objets ajoutés ou presque, le sensible se déploie dans l’intimité et la proximité avec les spectateurs.
Il y a des jardins secrets et des ombres furtives qui glissent. Des armoires et des alcôves pour se cacher, des portes qui claquent, une femme à sa fenêtre, une robe tourbillonnante et des hommes prisonniers de ce tourbillon.
Une histoire à tiroirs multiples, un foisonnement d’images et d’émotions, de rires et de larmes mêlées, tout ce qu’il faut pour que le théâtre soit là.
Marie-Claude Morland
Ecrite en 1835 - Alfred de Musset n'a pas 25 ans- la pièce ne sera jouée qu'en 1848. On sait que l'acteur écrivait sans arrière pensée de représentation ce qui fit dire à Théophile Gauthier : "Nous avons là son jet naïf, son élan spontané, sa pensée intime, sa poésie pure de tout mélange. Tous ses chefs d'oeuvre ne sont pas si vifs, si enjoués, si pleins d'attendrissement et de réserve, de sourires mouillés et de larmes souriantes, que parce qu'ils ne sentaient pas d'avance, braqués sur eux, la redoutable artillerie des lorgnettes. Ils s'avancent au but sans hâte et sans lenteur, comme des gens qu'on attend pas."
Bientôt interdit par la censure Le Chandelier provoque encore un siècle plus tard l'indignation de Clément Vautel : "comment ose-t-on, sur la scène de la Comédie Française, bafouer un notaire, ridiculiser l'armée et se moquer des provinciaux ?".
Est-il possible de passer aussi loin d'un sujet sublime et qui peut se résumer en quelques mots : "A la recherche du plaisir une femme rencontre l'amour ?"
Jacqueline, mariée à un vieux notaire - « Vous êtes ma fille presque autant que vous êtes ma femme » déclare M. André - cherche des distractions auprès des militaires qui tous les six mois changent de garnison, d'où la nécessité de situer l'action dans une petite ville. Afin de préserver ce qu'elle prend pour le bonheur, elle envisage de risquer la vie d'un adolescent qui l'idolâtre. Instruit de cette trahison, Fortunio, par amour, plus que par désespoir accepte de faire le sacrifice de sa vie.
Jacqueline découvre, lorsqu'elle apprend, la profondeur du sentiment qu'elle éprouve pour lui et se révèle à elle-même. Le thème aurait pu tenter Flaubert. Le Chandelier pourrait fort bien avoir comme sous titre : "telle est prise qui croyait prendre".
Elle a fait l’objet de 3 réactualisations de la main même de l’auteur.
53, rue Notre Dame des Champs 75006 Paris