Le malade Imaginaire

du 16 septembre au 7 novembre 1999

Le malade Imaginaire

CLASSIQUE Terminé

On a de Molière et de son " Malade ", soit un souvenir " scolaire ", soit un souvenir " Comédie Française ", mais pourra-t-on avoir un jour, un souvenir " d’aujourd’hui "? Sûrement. Voilà un homme intelligent (Argan), qui entr

Mise en Scène
La pièce peut se lire par familles...
Le malade imaginaire
Gide voit dans cette pièce celle qu’il préfère, parmi toutes celles de Molière
Gildas Bourdet insiste sur la troublante profondeur du rire ultime de Molière

Mise en Scène

Ce fut la dernière pièce de Molière. Sa maladie à lui n’était donc pas du tout imaginaire.

On a de Molière et de son " Malade ", soit un souvenir " scolaire ", soit un souvenir " Comédie Française ", mais pourra-t-on avoir un jour, un souvenir " d’aujourd’hui "? Sûrement. Voilà un homme intelligent (Argan), qui entre en maladie comme on entre en secte, pour trouver un cocon, un espace pour se réfugier et s’oublier. Au-delà d’une simple attaque de la médecine, Molière nous décrit ici les mécanismes qui poussent un homme, d’hier comme d’aujourd’hui, à se soumettre à une autorité. Pour servir ce propos, il faut des comédiens hors norme, qui nous entraînent tous aux frontières de cette " folie ", si drôle, si terrible et si dangereuse à la fois, qui fait perdre tous sens de la réalité et du rêve.

Ce Malade Imaginaire se situe dans un univers baroque anglais du XVIIème siècle ; c’est la fin de l’hiver en période de carnaval. Les couleurs sont le noir, le blanc et le rouge. Le décor évoque une chambre stérile...

La pièce peut se lire par familles...

La famille Argan
Argan : le malade, sa tenue est dans les blancs et rappelle celle de l'hôpital.
Angélique : sa fille, en robe.
Louison : huit ans, soeur d’Angélique, tenue de petite fille mais déguisée.
Béline : la deuxième femme d'Argan. Jeune et belle, c'est une élégante qui n'aime que l'argent et la fête. Elle s'apprête pour le carnaval.
Béralde : frère d'Argan, veuf, il porte toujours le deuil de sa femme. C'est lui le vrai malade de la pièce, lui qui se sait condamné et qui va refuser l'acharnement de la médecine. Voilà pourquoi tout son propos n'est pas objectif. Molière: c'est lui !
Toinette : la servante, c'est elle qui a remplacé la mère auprès des enfants et qui, jusqu'à l'arrivée de Béline fut la seule femme de la maison d'Argan.

La famille des "pièces rapportées"
Cléante : le Jeune premier, impulsif et maladroit, le voilà déguisé en maître de musique.
Monsieur de Bonnefoi : notaire, de la classe de ceux pour qui, magouilles et affaires sont liées, sorte de jeune "raider", élégant, et probablement amant de Béline.

La famille des médecins
Ils sont pour la plupart de grands "pachas", et entrent dans la pièce comme on entre dans un bloc opératoire, et portent parfois le fameux masque des médecins du XVIIème siècle.
Monsieur Diafoirus : grand médecin du genre totalement manipulateur. Il est dangereux, très dangereux car très bête.
Thomas Diafoirus : évidement son fils, un débile, style "interne", doué pour la bêtise.
Monsieur Purgon : le "Pacha" des hôpitaux qui finit par se prendre pour Dieu !
Monsieur Florant : l'apothicaire, on voit à sa tenue qu'il ne fait pas vraiment partie de la caste des médecins.
Toinette déguisée : elle revêt la robe et le chapeaux, et cela suffit pour devenir médecin aux yeux d'Argan, en manque.

La vision des médecins est-elle réalité ou déformation de la vision d'Argan ? A ce stade, la frontière devient bien fine...

Le malade imaginaire

En 1672, lorsque commencent les répétitions de ce qui sera sa dernière pièce, Molière est au sommet de sa gloire... et au comble de ses ennuis ! Il est malade et entouré d’ennemis.

La satire de la médecine, qu’il avait abordée dans Le Médecin volant (1659) et dans L’Amour médecin (1665), l’ont fait triompher avec Le Médecin malgré lui (1666). D’autre part, depuis huit ans, il collabore avec Lulli et fait représenter devant le roi de nombreuses comédies-ballets dans les intermèdes desquels Louis XIV ne dédaigne pas de danser. Il associe donc à ce genre qu’il a abordé avec bonheur : la comédie-ballet, un thème qui lui tient particulièrement à coeur : la satire de la médecine, qu’il traite, à son habitude, sur le mode de la farce.

Et voilà Le Malade imaginaire, oeuvre virevoltante, gaie, drôle, tragique, qui dénonce, au milieu des danses, des chants, des déguisements, la fatuité des médecins bornés, plus préoccupés de suivre les règles établies que de guérir, l’égoïsme des hommes, leur naïveté, leur cupidité, leur hypocrisie.

Cette dernière pièce, que les intrigues de Lulli, devenu son ennemi, empêcheront d’être créée devant le Roi, triomphera dans la salle du Palais Royal à partir du 13 février 1673. Mais Molière, qui joue Argan, le malade imaginaire, a du mal à finir la quatrième représentation. Transporté chez lui, il y meurt une heure plus tard.

La pièce sera jouée triomphalement à Versailles devant le roi, le 18 juillet 1674. Triomphe posthume bien amer !

Gide voit dans cette pièce celle qu’il préfère, parmi toutes celles de Molière

De toutes les pièces de Molière, c’est décidément Le Malade Imaginaire que je préfère ; c’est elle qui me paraît la plus neuve, la plus hardie, la plus belle - et de beaucoup. Si cette pièce était un tableau, comme on s’extasierait sur sa matière. Molière, lorsqu’il écrit en vers, s’en tire à coups d’expédients ; il connaît maints menus trucs pour satisfaire aux exigences de la mesure et de la rime. Mais, malgré sa grande habileté, l’alexandrin fausse un peu le ton de sa voix. Elle est d’un naturel parfait dans le Malade (et dans le Bourgeois). Je ne connais pas de prose plus belle. Elle n’obéit à aucune loi précise ; mais chaque phrase est telle quel’on n’en pourrait changer, sans l’abîmer, un seul mot. Elle atteint sans cesse une plénitude admirable, musclée comme les athlètes de Puget ou les esclaves de Michel Ange et comme gonflée, sans enflure, d’une sorte de lyrisme de vie, de bonne humeur et de santé. Je ne me lasse pas de la relire et ne tarirais pas à la louer. Je relis, sitôt ensuite, le Bourgeois. Si belles et sages que soient certaines scènes, un volontaire étirement des dialogues me laisse, par comparaison, admirer d’autant plus le grain serré de l’étoffe du Malade, si solide, si épaisse, si drue. Et quelle solennité, quel schaudern donne à chaque scène le contact secret avec la mort.

C’est avec elle que tout se joue ; l’on se joue d’elle ; on le fait entrer dans la danse.

André Gide
Journal, 1er et 2 juillet 1941
Gallimard.

Gildas Bourdet insiste sur la troublante profondeur du rire ultime de Molière

Pour être drôle, il faut renoncer à être gai. Molière n’est pas un auteur gai, mais, à n’en pas douter, il est un auteur drôle. Ici, sa drôlerie a partie liée avec la mort et, qui plus est, à la sienne propre. Tentative vertigineuse d’apprivoiser l’innommable dans l’ironie bouffone et farcesque. (...)

Chez Molière, l’entourage, Toinette en tête, résiste. A chacun de sa mort après tout, et Argan, le dictateur domestique morbide, en sera pour ses frais. Le deuil veindra sans doute à son heure, mais il n’obligera pas la maisonnée à prendre le sien de son vivant. Il faut choisir, ou être mort ou être vif. Ce choix, Argan le refuse, et c’est bien là la forme d’une folie. Cette folie, Molière, jusqu’à son dernier souffle, veut la conjurer. Il écrit Le Malade Imaginaire et se conforme à la leçon qu’il se donne à lui-même en dépit de la conscience qu’il a de sa fin inéluctable. Jusqu’à sa mort il se comptera parmi les vivants.

Le Malade Imaginaire résonne du rire d’un homme qui se savait condamné et ce rire n’a pas fini de nous troubler.

Gildas Bourdet, Comédie Française
Le Journal, 3è trimestre 1991.

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Spectacle terminé depuis le dimanche 7 novembre 1999

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