Le moral des ménages

Mathieu Amalric, « héros » don quichottesque de l'adaptation théâtrale du roman d’Éric Reinhardt. Un réquisitoire sombre et brillant.
Issu d’une famille de classe moyenne par trop ordinaire à son goût, Manuel Carsen (Mathieu Amalric) multiplie les petits arrangements avec la réalité. À 40 ans, il se veut chanteur… Avec pour toile de fond les crayonnés charbonneux de Blutch, Stéphanie Cléau donne vie à ce « héros » don quichottesque.
  • Un « héros » don quichottesque

Manuel Carsen (incarné par Mathieu Amalric sur le plateau), est chanteur. Enfin, comme dirait sa mère, il essaie. Manuel Carsen, comme il le martèle de chanson en chanson, a tout fait pour « se désincruster du marécage où vivaient ses parents : la classe moyenne ». Manuel Carsen a tout fait pour oublier les infortunes professionnelles de son père technico-commercial. Son père a tout fait pour jouir du prestige des notables, lui a tout fait pour jouir du prestige des artistes. Manuel Carsen est le « héros », don quichottesque, du roman Le moral des ménages d’Eric Reinhardt. Texte galopant que Stéphanie Cléau adapte pour deux acteurs dans sa première mise en scène.

Mathieu Amalric se glisse donc dans la peau de ce personnage aux pérégrinations verbales tragicomiques. Face à lui, Anne-Laure Tondu interprète toutes les figures féminines qui l’entourent : mère, femme, maîtresses, amour de jeunesse, fille. Chacune de ses confrontations dévoilant une nouvelle facette de l’histoire de Manuel.

Accompagnant par intermittence les acteurs sur le plateau, les dessins de Blutch, charbonneux, rôdent comme les piqûres de rappel d’un passé qui, malgré tous les efforts de celui-ci, ne veut pas se faire oublier.

D'après le roman d'Eric Reinhardt, adaptation Stéphanie Cléau.

  • La presse

« Dans Le moral des ménages, Eric Reinhardt fustige les classes moyennes. Un réquisitoire impitoyable et brillant. » François Busnel, L’Express

« Mathieu Amalric compose un personnage ambigu à souhait, mélange de colère, de romantisme vain et de renoncement – il est déchirant lors du règlement de comptes avec sa fille. Dans cette dernière scène, Anne-Laure Tondu, qui incarne toutes les femmes du livre (...) donne vraiment sa mesure (...). » Philippe Chevilley, Les Echos, 27 octobre 2014

  • Entretien avec Stéphanie Cléau

Propos recueillis par Stéphanie Chaillou

-Quelle est l’origine de ce projet, de cette mise en scène ?

Au départ de ce projet, il y a une envie de lectrice. J’ai en effet beaucoup aimé le roman d'Éric Reinhardt Cendrillon. Ce livre, qui provoque des réactions assez fortes et contrastées, a été une grande découverte pour moi. J’ai été sensible au personnage central du texte et à ses possibles bifurcations de vie. D’un même moule familial (une famille de la classe moyenne), il aurait pu devenir soit un écrivain, soit un requin de la finance, soit un serial killer. Ses diverses trajectoires " à la Smoking/ No smoking " (film d’Alain Resnais) m’ont beaucoup plu, même si chez Reinhardt le traitement y est beaucoup plus féroce. Comme celui de la figure du père, un commercial humilié qui, dans sa jeunesse, a rêvé de devenir pilote d’hélicoptère. Tous ces motifs sont déjà présents dans LE MORAL DES MÉNAGES qui est un texte antérieur à Cendrillon. En choisissant d’adapter LE MORAL DES MÉNAGES, un monologue écrit à la première personne, ce sont toutes ces figures, ces thèmes que j’ai choisi de porter sur le plateau.

-Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette adaptation, votre relation à l’auteur (Éric Reinhardt), au texte, la nature de vos interventions, les choix que vous avez opérés ?

Ma relation avec Éric Reinhardt a été très facile. Il a m’a laissée une entière liberté. Nous avons été dans une relation de confiance. Le fait que mon adaptation tende plutôt à ramasser, à resserrer son écriture, qui ,elle, est plutôt ample et déployée, ne l’a pas du tout gêné.

Le travail d’adaptation du texte a été un travail lent. Pour l’anecdote, nous en étions, lorsque nous avons fait notre première présentation au public à la version 29 du texte ! Je commence par travailler seule. Je lis et relis le texte, me confronte à sa matière. Ensuite, il y a un travail d’élagage qui s’effectue par la négative, on pourrait dire : des propos ou des scènes émergent comme importants, je sais que je vais les utiliser sur le plateau. Par exemple, j’ai choisi dans la pièce, d’insister, au tout début, sur le ressassement du personnage à propos des scènes de repas de son enfance-adolescence, avec la mention des gratins de courgettes, le rite du camembert. Dans le livre, il n’y avait pas cet effet de densité, de répétition, les remarques du narrateur sur la question étaient diffuses dans le livre.

Après cette première phase de travail de lecture/sélection du texte, commence le travail au plateau, avec les comédiens. Les acteurs lisent le texte sur lequel j’ai déjà effectué des coupes, cela me permet de l’entendre, d’entendre ce qui fonctionne, d’effectuer à nouveau des coupes, d’avancer sur l’architecture future de la pièce. Il ne s’agit pas du tout d’un travail d’improvisation, mais d’un lent processus de lecture/test/vérification qui me permet de couper et de monter le texte final, comme un puzzle composé à partir de bribes du texte original. Il n’y a donc pas à proprement parler de travail de réécriture mais un geste de composition-recomposition.

Pour revenir à la question des choix opérés dans mon adaptation, je voudrais parler du rôle de la musique. Le personnage principal du roman Manuel Carsen est chanteur. Très vite je me suis demandé à quoi pourraient bien ressembler ses chansons.

Il y a dans Le moral des ménages une dimension très concrète, presque triviale. De la description des repas familiaux à celle des lotissements de banlieue, on est plongé dans le réel, un réel prosaïque. Je ne voulais précisément pas que cette dimension soit présente sur le plateau (par le décor par exemple), je souhaitais au contraire plutôt la gommer. Les interludes musicaux ont eu cette fonction : introduire des ruptures, traiter le texte, mais d’un point vue non " réaliste " . Ils prennent en charge les parties du texte les plus outrancières, mais de façon spécifique, en les désamorçant en quelque sorte ; toutes les musiques que j’utilise sont des musiques de film, elles renvoient à un imaginaire qui est celui du cinéma. J’aimais l’idée que le jeune Manuel Carsen, face à la grisaille de la vie de ses parents, se soit construit un imaginaire plus héroïque, se soit rêvé plus héroïque que son père, et ceci grâce à la littérature, mais aussi grâce aux films vus à la télévision, notamment les westerns avec John Wayne ou Gary Cooper. Mis bout à bout, les textes qui correspondent aux passages musicaux forment comme un résumé de la pièce ; autant de textes qui pourraient constituer les huit morceaux d’un album de Manuel Carsen.

-Quels sont les grands axes de votre mise en scène ?

Tout d’abord, j’ai choisi de travailler avec un dessinateur, Blutch. Mon enjeu n’était pas tant de montrer des dessins que de la matière, quelque chose qui puisse prendre en charge, matérialiser « la tempête qui sévit dans le crâne de Manuel Carsen ». Au niveau de la scénographie, si l’on découpe l’espace, il y a sur le plateau, en bas on peut dire, les personnages, et plus haut, en haut, les dessins, la représentation physique du « psychisme » de Manuel Carsen, son gros nuage noir qui ne le quitte presque jamais, sauf dans de rares moments d’exaltation.

Un autre choix concerne l’arrivée dans la narration, sur le plateau, de la fille de Manuel Carsen. Au fil du spectacle, on assiste à une évolution de la figure de la femme. Je souhaitais que ce soit la même comédienne qui traverse toutes les figures féminines qui se succèdent dans le spectacle. On passe de la femme objet à la femme castratrice, puis à l’idiote, puis au personnage de la fille qui elle, parle, revendique, a des choses à dire. La fille de Manuel Carsen est en quelque sorte celle qui donne la parole à ces corps féminins jusqu’à présent silencieux. Son intervention permet également de complexifier le propos de la pièce, elle rend aussi plus ambigu, moins unilatéral le personnage de Manuel Carsen.

J’ai également, au niveau de la mise en scène, joué sur l’opposition, l’articulation entre, d’un côté le noir et le blanc et de l’autre, la couleur. Les dessins (noir et blanc) prennent en charge le réel, ce que Manuel Carsen a vécu, et qui habite encore son cerveau, qu’il ne parvient pas à accepter, à digérer. A contrario, l’univers technicolor que l’on retrouve notamment au niveau des décors, renvoie, lui, plutôt vers le cinéma, vers ces films que le petit Manuel regardait seul, en cachette, à la télévision. L’univers technicolor incarne les fictions dont Manuel Carsen a eu besoin de s’entourer.

De manière générale, le plateau est assez abstrait, les accessoires y sont peu nombreux et absolument pas illustratifs, à l’exception des hélicoptères.

-Dans Le moral des ménages, comme dans Cendrillon, on retrouve une figure, celle du père humilié ; qu’est-ce qui vous intéresse dans cette question ?

Cette thématique de l’humiliation, au travail ou dans d’autres sphères de l’existence, me touche particulièrement. Dans Le moral des ménages, le père se donne à voir – et notamment aux yeux de ses enfants, de son fils – comme un homme piétiné, rabaissé.

Je me demande comment un enfant peut se construire avec ça ou face à ça, cette image-là du père. Comment Manuel Carsen fait-il ou a-t-il fait ? Et aussi, quel père a-t-il pu lui-même devenir ? Ce sont aussi ces questions que pose l’arrivée de sa fille dans la narration : quel père Manuel Carsen a-t-il été ? Et, ce que Manuel Carsen pense de son père, est-ce un point de vue partagé ? Manuel Carsen détient-il la vérité sur son père ? Peut-on ainsi enfermer, réduire ainsi un homme, quiconque, à une identité, une figure, un récit ?

Sélection d’avis du public

Coline G. Le 8 décembre 2014 à 10h11

Formidable ! La mise en scène originale donne du sens au texte, les acteurs sont magnifiques, on passe un très beau moment et on en ressort avec des questions sur la transmission.

Le moral des ménages Le 6 décembre 2014 à 17h15

Acteurs magnétiques, spectacle vivant, intelligent, fort et sans prise de tête!

Par CorinneL - 2 novembre 2014 à 10h31

Une très chouette mise en scène, un bon sujet, de l'humour, du féminin égrénée qui poussera pendant la pièce jusqu'à reprendre la main et renverser la vapeur. Belle dynamique de jeu. Deux acteurs formidables !

Par Patricia W. - 1er février 2014 à 23h27

La mise en scène est audacieuse et inventive. Les deux acteurs sont magiques. Je recommande vivement cette piece

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Coline G. Le 8 décembre 2014 à 10h11

Formidable ! La mise en scène originale donne du sens au texte, les acteurs sont magnifiques, on passe un très beau moment et on en ressort avec des questions sur la transmission.

Le moral des ménages Le 6 décembre 2014 à 17h15

Acteurs magnétiques, spectacle vivant, intelligent, fort et sans prise de tête!

Par CorinneL (10 avis) - 2 novembre 2014 à 10h31

Une très chouette mise en scène, un bon sujet, de l'humour, du féminin égrénée qui poussera pendant la pièce jusqu'à reprendre la main et renverser la vapeur. Belle dynamique de jeu. Deux acteurs formidables !

Par Patricia W. (1 avis) - 1er février 2014 à 23h27

La mise en scène est audacieuse et inventive. Les deux acteurs sont magiques. Je recommande vivement cette piece

Informations pratiques

Théâtre de la Bastille

76, rue de la Roquette 75011 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Bastille Salle climatisée
  • Métro : Bréguet-Sabin à 377 m, Voltaire à 391 m
  • Bus : Commandant Lamy à 2 m, Basfroi à 243 m, Charonne - Keller à 244 m, Voltaire - Léon Blum à 384 m
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Plan d’accès

Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette 75011 Paris
Spectacle terminé depuis le samedi 20 décembre 2014

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