Une main invisible précède le regard du lecteur et lui donne l’impression de modeler la matière du vers. C’est déjà fait, et bien fait, mais la formation reste désirante et par des suspens, des syncopes, des brusqueries, des précipitations, elle est maintenue en révolte contre elle-même. Les mots ne sont pas plantés dans la poésie : ils remuent, tressautent, veulent un peu plus d’amour ou d’attention. Les voilà qui dressent des organes inattendus, projettent des figures inconvenantes, cherchent l’accouplement avec l’œil qui les touche. Il faut que lire comme écrire soient une tâche organique.
Quatrième de couverture de Environs du Bouc par Bernard Noël, janvier 2005
Le plus clair du temps je suis nue, titre provocateur emprunté au texte de Sophie Loizeau, désigne à présent un spectacle drôle et sensuel, enjoué et jubilatoire à propos de l’amour. Amour au féminin tant il est vrai qu’un poète est né il y a quelques années dans la personne de cette jeune femme occupée d’amour de chair et d’esprit, un poète dont la parole érotique vertigineuse caresse et émeut, bouleverse et intrigue sans cesse dans sa brièveté.
Le poème de Sophie Loizeau servi par une exquise laboureuse des vers et un sculpteur des sons.
Les mots de Sophie Loizeau sont dits et chantés par Anne Alvaro, la comédienne à la voix de velours. Elle les danse dans une scène longue aux couleurs d’automne, la couleur de la chair selon notre poète amie des bois et des mousses, experte en nus de forêt, amie des animaux à cornes et des brames, fréquentant assidûment les boucs, roulant ses désirs dans les eaux et les ciels, foulant les terres et les boues, aimant la vie jusque dans la mort pourrissante.
David Lescot connu comme auteur et metteur en scène est cette fois avec Anne Alvaro en trompettiste, mêlant ses cuivres, soulignant, heurtant, commentant le verbe. Voici deux complices, une voix et un instrument face à face en duo ciselé - léger, dans le souffle, infiniment, dans le presque rien - et puis soudain : rap, formes endiablées, danse, chanson, art dans lequel l’actrice excelle.
Anne Alvaro à grandes enjambées fait le tour du trompettiste, l’enjôle, s’éloigne revient vers lui. Puis en se fige devant le rideau aux gravures rupestres et les deux complices se trouvent dans la délicate caresse de leurs deux voix graves.
Claude Guerre
Les textes du spectacle sont extraits de :
- Le Corps saisonnier, éd. Le Dé bleu, 2001
- La Nue-bête, éd. L’Act Mem (fonds Comp’Act), 2004
- Environs du bouc, éd. L’Act Mem (fonds Comp’Act), 2005
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