Le plus heureux des trois

"Je trouve que vous avez parfaitement caractérisé la nature de mon talent (si talent il y a) : je suis un "rieur". Quelques-uns voient "triste", moi, je vois "gai", ce n'est pas ma faute, j'ai l'oeil fait comme ça. Je n'ai ni à m'en applaudir, ni à m'en excuser. J'ai beau faire, je ne peux pas prendre l'homme au sérieux, il me semble n'avoir été créé que pour amuser ceux qui le regardent d'une certaine façon." Eugène Labiche ( réponse à Zola qui lui reprochait de n'avoir qu'u ne seule qualité mais à un degré éminent : c'est "un rieur" !)

• Notes de mises en scène

Pièce magistrale, Le plus heureux des trois s’inscrit dans le peloton de tête des oeuvres de Labiche, aux côtés du Chapeau de paille, de Perrichon, de La cagnotte...

Inracontables pour cause de quiproquos à la limite du vraisemblable, de situations folles (on se rapproche de l’absurde et du surréalisme ), ses vaudevilles laissent toujours la part belle aux acteurs. Si parler de profondeur et de grandeur littéraire ne nous faisait tomber dans un snobisme d’intello fatigué, on peut cependant affirmer que jouer Labiche n’en est pas moins facile ; être comique sans autres effets que ceux imposés par la situation et les répliques affûtées de l’auteur reste une gageure rarement atteinte ; trop souvent ces textes ne deviennent que prétextes à cabotiner, et le grand comique devient vite du petit rigolo ; très vite.

Les personnages savoureux disparaissent sous les gras rajouts personnels de metteurs en scène peu scrupuleux ou ceux d’acteurs médiocres prêts à tout pour tirer la couverture et remporter un bravo de plus. “Après tout, ils ont payé pour ça !” murmurent-ils en lançant un coup de menton méprisant vers la salle éblouie.

Alors on leur pardonne souvent cette triste vérité, ce prétexte spécieux... parce qu’il est vrai qu’à la sortie, les spectateurs sont souvent rassasiés, gavés, goinfrés de rire et, “Après tout,...” Difficile d’un autre côté de revendiquer une intégrité du rire, une pureté du comique, une rigueur morale, une éthique de l’effet, sans tomber finalement dans un autre snobisme tout aussi ridicule ; se “prendre la tête” pour une comédie qui n’aurait d’autre finalité qu’une bonne soirée de détente... franchement !

Reste néanmoins quelque chose à trouver du côté de l’entre-deux, du subtil, de l’élégance, du côté peut-être de ces comédiens amoureux du théâtre, ceux qui le servent sans s’en servir, ceux qui proposent sans imposer, ceux qui plaisent sans complaisance, les honnêtes hommes; le spectateur averti, gourmet raffiné, ne s’y trompera pas, et saura, sans nul doute, apprécier à sa juste valeur la proposition. À une seule condition : que ça marche ! Oui, on l’oublie trop souvent, le comique c’est tout de même mieux... quand ça fait rire.

Alors de l’auteur intouchable que l’on aimerait bien bousculer un petit peu sans lui manquer toutefois de respect, du comédien précis et rigoureux tout autant qu’inventif, fou, créatif, ou du spectateur exigeant mais en quête légitime de divertissement pas trop débile, reste peut-être à trouver qui sera... le plus heureux des trois.

Francis Azéma