Les Fausses Confidences

le 12 novembre 2002

Les Fausses Confidences

CLASSIQUE Terminé

Les Fausses Confidences est l'œuvre d'un Marivaux au sommet de son art. Deux siècles après, le texte n'a rien perdu de sa fraîcheur. L'intrigue pourrait se résumer ainsi : Dorante, un homme pauvre et extrêmement beau, aime sans espoir la riche Araminte. Son ancien domestique Dubois se fait fort d'amener Aramint

Présentation
L’intrigue
 
Rencontre entre un auteur et un metteur en scène
Le contexte historique et social de l’œuvre de Marivaux
quelques repères chronologiques
La France du 18e siècle : une société en pleine mutation
Marivaux, témoin de son époque
Marivaux vu par ses contemporains
Les principaux personnages des Fausses Confidences
Un ultime rêve de bonheur - par Alain Milianti

Les Fausses Confidences est l'œuvre d'un Marivaux au sommet de son art. Deux siècles après, le texte n'a rien perdu de sa fraîcheur. L'intrigue pourrait se résumer ainsi : Dorante, un homme pauvre et extrêmement beau, aime sans espoir la riche Araminte. Son ancien domestique Dubois se fait fort d'amener Araminte à l'épouser, malgré l'interdit de la distance sociale qui les sépare.

Comme dans un conte de fées, le berger finira par se faire aimer de sa princesse. Mais ce sera au prix d'un combat incertain qui, lui, est bien ancré dans la réalité du 18ème siècle. Un 18ème siècle fascinant où les extrêmes se rejoignent, où tout se brouille, tout devient possible.

Araminte et Dorante ne sont pas des personnages éthérés, occupés à nous divertir de leur manège amoureux. Ce sont des héros de chair et de désirs, qui vont là où les mènent leurs appétits, bousculant les codes, les préjugés et leur propre peur.

C'est ce Marivaux-là, auteur moderne, contemporain, que nous invite à rencontrer Alain Milianti suivi par une troupe de jeunes acteurs trépidant d'énergie.

" Les Fausses Confidences est sa dernière pièce où l'amour, par-delà la tyrannie de l'argent et des nouvelles valeurs, par-delà la violence du clivage social paraît pouvoir offrir aux êtres une " surprise " salvatrice, où le cœur in fine ne connaîtra d'autres lois que la sienne. " Alain Milianti

Créée le 16 mars 1737, Les Fausses Confidences est la dernière grande pièce de Marivaux qui n'écrira par la suite que des œuvres en un acte.

Cette pièce se situe de manière singulière dans l'écriture de Marivaux. Elle clôt brillamment un cycle d'œuvres magistrales et en même temps est annonciatrice d'une façon nouvelle de mener l'action.

Selon Frédéric Deloffre, plusieurs ingrédients distinguent la pièce des précédentes : de nombreux éléments réalistes nous dessinent avec une précision romanesque l'univers social qui entoure la pièce. Les dialogues sont plus nuancés, faits de sous-entendus, de mots effleurés, de phrases qui laissent songeurs. L'intrigue qui se dévoile sous nos yeux se dépouille peu à peu des artifices, nous invitant à sentir, à percevoir la profondeur des personnages. Ce ne sont plus des jeunes gens mais des femmes et des hommes dans la force de l'âge.

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“ L’affaire se passe dans une journée. Un beau matin, un jeune homme se présente comme intendant chez une jeune et riche veuve dont il est amoureux. Il a de longue main préparé ses batteries pour arriver à se faire aimer car il a introduit dans la place son ancien maître d’hôtel : grâce à cette complicité, il va, dans la journée, et en un tour de main, cambrioler le cœur de la jeune femme. ” Louis Jouvet

Dorante, un jeune homme pauvre et extrêmement beau, aime sans espoir la riche Araminte. Son ancien domestique Dubois se fait fort d’amener Araminte à l’épouser, malgré l’immensité de la distance sociale qui les sépare. Créée le 16 mars 1937, Les Fausses Confidences est la dernière grande pièce de Marivaux qui n’écrira par la suite que des œuvres en un acte. Cette pièce se situe de manière singulière dans l’écriture de Marivaux. Elle clôt brillamment un cycle d’œuvres magistrales et en même temps est annonciatrice d’une façon nouvelle de mener l’action.
Selon Frédéric Deloffre, plusieurs ingrédients distinguent Les Fausses Confidences : de nombreux éléments réalistes dessinent avec une précision romanesque l’univers social qui entoure la pièce. Les dialogues sont plus nuancés, faits de sous-entendus, de mots effleurés, de phrases qui laissent songeur. L’intrigue, en se dévoilant, se dépouille peu à peu des artifices, invitant à sentir, à percevoir la profondeur des personnages. Ce ne sont plus des jeunes gens mais des femmes et des hommes dans la force de l’âge, Araminte et Dorante. Les Fausses Confidences est l’œuvre d’un Marivaux au sommet de son art.

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Marivaux, Genet : ce sont les deux auteurs de prédilection d’Alain Milianti. Deux auteurs que deux siècles séparent mais que réunit, à ses yeux, une même modernité.
Marivaux est le seul auteur qu’ait monté au Volcan Alain Milianti en dehors du répertoire contemporain. Il s’y attaque une première fois en 1994 avec Le Legs et L’Epreuve. Les Fausses Confidences marque sa deuxième rencontre avec le grand dramaturge du XVIIIe siècle. Et il le retrouve avec un infini plaisir :
“ J’aime Marivaux parce que cet auteur n’est ni idéologique ni politique. J’aime sa manière de mettre en relation les gens au monde. Pour lui, tout est double, il n’y a pas de vérité absolue. Alors que ses contemporains prônent la recherche de la vérité, affichent des positions morales, lui se fait l’apôtre de la dualité. Il n’est qu’à voir les personnages des Fausses Confidences : l’attitude, les propos de chacun d’eux peuvent être justifiés, expliqués de deux façons contraires. Dorante est-il seulement amoureux ? Surtout calculateur ? On ne peut pas privilégier une lecture par rapport à une autre, ce serait absurde. Dorante est sans doute intriguant à la fois par amour et par intérêt. Ce sera au spectateur d’interpréter comme il l’entend, librement. Et l’auteur contemporain qui se rapproche le plus de cette vision du monde, c’est Jean Genet. ”
Explorer le langage de Marivaux, s’aventurer dans son théâtre d’amour, c’est prendre la mesure de son étonnante modernité :
“ Marivaux a exploré à sa manière les voies de l’inconscient. Il a montré que les sentiments, les affects pouvaient vivre longtemps avant d’atteindre leur forme consciente ; et cette idée là était très moderne. D’ailleurs n’est-ce pas lui qui a inventé la formule "tomber amoureux" à une époque où l’on disait "se rendre amoureux" comme on se rend à la raison ? Or on ne domine pas le sentiment amoureux, c’est lui qui nous surprend. ”
Marivaux est aussi un fin observateur de son temps. Sa pièce Les Fausses Confidences est celle qui traduit le mieux les préoccupations d’une époque où s’opère une véritable mue sociale, sous l’impulsion d’un tout nouveau pouvoir : celui de l’argent.
“ Marivaux met en scène l’argent en tant que valeur universelle, et qui, à ce titre, entre en conflit avec toutes les autres valeurs. Marivaux a connu la création de la première banque sous la Régence, il a connu la fortune rapide puis la ruine. Et l’intrigue de Dorante exprime bien cette possibilité nouvelle de devenir riche très vite, en une seule fois, dans une société où tous les repères traditionnels se brouillent, où plus rien n’est figé. ”
Mais ce n’est pas l’argent en soi qui intéresse Marivaux. Il n’est en rien le protagoniste des Fausses Confidences. Il n’est que le vecteur d’un formidable bouleversement dont Montesquieu, contemporain de Marivaux, s’est fait lui aussi l‘écho. L’argent rend tout instable, il ébranle tous les étages de l’édifice social, libérant des énergies nouvelles. C’est là la véritable toile de fond de la pièce, c’est là que réside aussi la modernité de Marivaux.

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Toute la démarche d’Alain Milianti consiste à saisir cette modernité, à marcher dans les pas du Marivaux sensible aux appétits du monde : “ pour cela, il faut faire abstraction de ce que l’histoire nous a enseigné : le poids du passé, la révolution qui est proche… j’ai abordé la pièce en aveugle… ”
Le metteur en scène a cherché à traduire, au-delà du texte, cette idée d’une société suspendue entre le passé et l’avenir et pourtant animée d’une infinité de mouvements internes. Le décor de la maison d’Araminte – où se déroule la pièce – ressemble à un chantier : tout est en construction, tout est possible, tout est interrogation. Les costumes, s’ils sont d’époque, rendent aussi perceptible cette tension entre le XVIIIe et le XIXe siècle.
L’amour lui-même n’échappe pas à ces soubresauts, à ces pulsions nouvelles. On a souvent dit que Marivaux écrivait toujours la même pièce puisqu’il y parlait toujours du même thème: l’éternelle surprise de l’amour. Mais il a su en explorer toutes les facettes. L’amour est un sentiment complexe qui peut se montrer sous un visage ou sous un autre. Dans Les Fausses Confidences, l’amour fait fi des rituels, ne s’embarrasse plus de codes moraux ou sociaux :
“ Il est conquérant et dans cette conquête "sauvage", tous les coups sont permis. Araminte ne dit pas autre chose lorsqu’elle pardonne à Dorante d’avoir accepté le stratagème de Dubois pour mieux la conquérir ! ”.
Les héros des Fausses Confidences ne sont pas des personnages éthérés occupés à se divertir dans un manège amoureux. Ce sont des héros de chair, des hommes et des femmes qui doivent composer avec leur désir. Pour Alain Milianti, il s’agit bien “ d’incarner ” Marivaux.
“ Tous ceux qui étaient riches il y a six mois sont à présent dans la pauvreté, et ceux qui n’avaient pas de pain regorgent de richesses. Jamais ces deux extrémités ne se sont touchées de si près. L’étranger (Law) a tourné l’Etat comme un fripier retourne un habit : il fait paraître dessus ce qui était dessous, et ce qui était dessus il le met à l’envers.
Quelles fortunes inespérées, incroyables même à ceux qui les ont faites ! Dieu ne tire pas plus rapidement les hommes du néant. Que de valets servis par leurs camarades et peut-être demain par leurs maîtres ! Tout ceci produit souvent des choses bizarres : les laquais qui avaient fait fortune sous le règne précédent vantent aujourd’hui leur naissance ; ils rendent à ceux qui viennent de quitter leur livrée, dans une certaine rue (la rue Quincampoix) tout le mépris qu’on avait pour eux il y a six mois ; ils crient de toutes leurs forces : "La noblesse est ruinée!".
Quel désordre dans l’Etat ! Quelle confusion dans les rangs ! On ne voit que des inconnus faire fortune ! ” Montesquieu (cité par Paul Lacroix dans “ XVIIIe siècle ” Paris Firmin-Didot).

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1688 : Naissance à Paris de Pierre Carlet, le futur Marivaux. Son père, Nicolas Carlet, était d’origine normande.
1699 : Nicolas Carlet devient directeur de la monnaie à Riom. La famille s’installe donc en Auvergne.
1706 : Les Carlet sont à Limoges où le futur écrivain fréquente les milieux cultivés.
1710 : Marivaux entreprend des études de droit.
1712 : Marivaux écrit sa première pièce et son premier roman.
1715 : Mort de Louis XIV. Début de la Régence du duc d’Orléans, son neveu.
1716 : Fondation de la Banque Générale de Law : nombreux sont les souscripteurs, notamment dans l’aristocratie et l’intelligentsia parisiennes, de ce nouveau papier à intérêts.
1717 : Mariage de l’écrivain avec Colombe Bologne, qui lui apporte une dot rondelette.
1720 : Marivaux est partiellement ruiné par la banqueroute de Law, comme des centaines de souscripteurs. Il présente au théâtre des Italiens sa première comédie L’Amour et la Vérité puis Arlequin poli par l’amour.
1721 : Marivaux reprend et achève ses études de droit, obtient sa licence et fonde un journal, Le Spectateur français, qui brosse des portraits à portée morale et philosophique, dans la tradition de La Bruyère et du journal anglais The Spectator. Marivaux continuera toute sa vie son activité de journaliste.
1722 : Mort du Régent. Sacre de Louis XV. Création, par les comédiens-italiens, de La Surprise de l’amour, qui rencontre un beau succès.
1723 : Grand succès de La Double Inconstance, toujours jouée par les comédiens-italiens. Ceux-ci deviennent comédiens du roi.
1724 : Création du Prince travesti, de La Fausse Suivante, du Dénouement imprévu.
1725 : Première comédie sociale de Marivaux, L’Ile aux esclaves.
1727 : Echec à la Comédie-Française de la seconde comédie sociale de Marivaux. L’Ile de la raison. Il y est question de l’émancipation de la femme et de l’union libre, idées encore trop neuves pour l’époque !
1730 : Le Jeu de l’amour et du hasard est joué au théâtre des Italiens.
1734 : Publication du Paysan parvenu. Ce roman évoque la situation de Dorante dans Les Fausses Confidences : un homme pauvre contracte grâce à sa bonne mine une brillante alliance, mais il doit triompher du scandale créé par le soupçon de vénalité qui pèse sur son amour sincère.
1735 : La Mère confidente puis Le Legs , l’année suivante, traitent encore des difficultés du mariage sans argent.
1737 : Création au théâtre des Italiens des Fausses Confidences. Le succès est médiocre.
1738 : Reprise des Fausses Confidences à la Comédie-Française, cette fois avec succès.
1740 : L’Epreuve, dernier grand succès de Marivaux.
1742 : Jean-Jacques Rousseau vient solliciter l’auteur de L’Ile des esclaves pour corriger sa pièce    Narcisse. Ce qui confirme bien la modernité des idées sociales de Marivaux. L’auteur publie la suite de La Vie de Marianne et du Paysan parvenu, deux œuvres qui resteront inachevées.
1763 : Mort de Marivaux.
1774 : Mort de Louis XV.

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Le XVIIIe siècle s’ouvre sur une fête retrouvée et se clôture sur une révolution…
Après la fin du règne de Louis XIV (1700-1715), marquée par la crise économique, la guerre et la famine, la Régence (1715-1723) inaugure une période de mieux-vivre. Grâce à l’action énergique du duc Philippe d’Orléans et de son ministre Dubois (est-ce un hasard si Marivaux, quatorze ans plus tard, choisit de donner ce nom à l’habile valet des Fausses Confidences ?), le régime monarchiste tend à rompre avec la pesante politique absolutiste de Louis XIV et la censure imposée par son épouse morganatique, la dévote Mme de Maintenon.
C’est le temps du luxe des “ fêtes galantes ” mais, plus généralement, le libertinage qui donne son style à la Régence la Cour participe d’une large remise en cause des certitudes. Les Modernistes (et Marivaux prendra leur défense) refusent d’admirer par principe les œuvres de l’Antiquité. On invente de nouveaux modèles pour la littérature, les arts, l’économie, l’esthétique. La vieille hiérarchie des valeurs commence à se défaire…
Le bouleversement économique et social est aussi grand que celui des mœurs. Après les ravages des guerres incessantes, une relative stabilité dans l’équilibre européen assure la tranquillité dans les campagnes : il n’y a plus de disettes, la production agricole et industrielle reprend, le commerce extérieur se réveille, les prix augmentent, la mortalité recule – le pays gagne sept millions d’habitants au XVIIIe siècle.
Le renouveau, très manifeste après 1730, pendant le règne de Louis XV, va de pair avec une Europe conquérante : supériorité technique, scientifique, économique et militaire, qui se traduit par des voyages, des échanges commerciaux, des conquêtes coloniales, la traite des Noirs et l’essai d’évangélisation des peuples. Cette expansion domine la pensée des Lumières et oblige aussi, par la découverte du monde, à penser les différences. Comme le feront Voltaire, Montesquieu, Rousseau.
Le siècle des Lumières est aussi celui de l’argent. Et l’avènement de l’argent voit l’ascension de la bourgeoisie. C’est le début des alliances contre nature, alliances d’intérêt, entre la noblesse et la bourgeoisie. Lorsqu’au lendemain de la Régence, les plus grands noms de la noblesse parlementaire – Lamoignon, Mirepoix, Molé – épousent les filles du banquier Samuel Bernard, le tollé est général ! Mais le mouvement est lancé…
Le pouvoir tout neuf de la finance et de la spéculation fait les fortunes aussi vite qu’il les défait, comme le montre le fameux épisode de la banqueroute de Law. Un tel phénomène apparaît comme une sorte de mirage tout à fait révélateur d’un nouvel état d’esprit : l’instabilité des fortunes condamne les anciennes valeurs aristocratiques et introduit l’espoir d’un monde nouveau où toutes les hardiesses sont permises.
Désormais, la “ condition ” se mesure à l’avoir, à la richesse beaucoup plus qu’à l’être, à la naissance. Alors que les institutions restent très figées, la société du XVIIIe siècle manifeste une mobilité nouvelle qui se concrétise par la perméabilité sociale : il apparaît de plus en plus possible de passer d’une “ classe ” à l’autre.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : cette société mouvante reste profondément inégalitaire et source de tensions. Les privilégiés du système, qu’ils soient nobles ou riches bourgeois, sont une poignée face au petit peuple exclu de tout partage de profits. Au sein du tiers-état, troisième ordre à côté de la noblesse et du clergé, se mêlent paysans, valets, artisans et commerçants, hommes de loi, médecins et banquiers : mais quoi de commun entre la masse des paysans largement analphabète et l’élite roturière ?
D’autre part la bourgeoisie, détentrice d’un pouvoir économique de plus en plus important, revendique en conséquence le partage du pouvoir politique.
L’ordre ancien n’a plus de sens, l’ordre nouveau tarde à apparaître. Durant la deuxième moitié du 18e siècle, crise financière et crise économique précipitent cette désintégration. La Révolution est en marche…

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“ On n’a pas toujours marqué que, dans Les Fausses Confidences, l’étude d’un milieu bourgeois où l’argent compte autant sinon plus que l’amour est poussée plus loin que dans aucune autre pièce de Marivaux ”. Bernard Dort
Lorsque Marivaux crée Les Fausses Confidences, il a cinquante et un ans. C’est un homme mûr, qui a eu tout loisir d’observer les changements à l’œuvre dans une société marquée par l’avènement de l’argent, et d’en éprouver lui-même les soubresauts. N’a-t-il pas été partiellement ruiné par le krach boursier de 1720 ?
Sa pièce est donc ancrée dans un contexte historique et socio-économique très réaliste : riche veuve de financier, noble désargenté, bourgeois qui a du mérite mais pas un sou. Aux yeux de certains, Les Fausses Confidences portent en germe l’annonce de lendemains violents. Le poids de l’argent, des intérêts matériels à sauvegarder ou à conquérir, se fait de plus en plus impérieux.
Les projets de Madame Argante pour sa fille l’expriment fort bien : d’un côté la richesse, de l’autre le nom. D’un côté une femme qui peut tout acheter, de l’autre un noble qui n’a plus les moyens d’entretenir ses biens : le mariage n’est qu’une alliance d’intérêts bien comprise.
Quant à Dorante, si sa passion pour Araminte est sincère, ne sait-il pas aussi qu’elle “ a plus de cinquante mille livres de rente ” ? Et Dubois, son valet, entre les mains duquel il a remis son sort, n’assure t-il pas, au début de l’intrigue : “ On vous épousera, toute fière qu’on est et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ? ”.
Marton, elle, n’oublie pas les mille écus promis si Araminte épouse le comte et Monsieur Rémy trouve insensé qu’on puisse refuser un mariage richement doté. Même le naïf Arlequin rappelle à Dorante que dans ce monde, celui qui paye est le maître !
Marivaux peint donc avec une grande précision la comédie de ce XVIIIe siècle, sur fond de mésalliances et de castes sociales.
Est-il pour autant un dénonciateur ? Son discours sur l’argent est omniprésent, certes, mais discret et modéré. La réplique la plus “ subversive ” de la pièce est celle d’Araminte : “ Je suis toujours fâchée de voir d’honnêtes gens sans fortune, tandis qu’une infinité de gens de rien, et sans mérite, en ont une éclatante. ”
De manière générale, le Marivaux journaliste s’est montré un critique social beaucoup plus dur et passionné que le Marivaux dramaturge. Dans son théâtre, la seule liberté qu’il défend, au fond, est la liberté intérieure : celle qui amène un être à surmonter ses préjugés, ses vanités ou sa peur pour faire aller là où le mène son désir. En cela Marivaux est un auteur d’une grande modernité.

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Voltaire disait de lui qu’il passait son temps “ à peser des œufs de mouche dans des balances en toile d’araignée. ”
Car Marivaux n’était pas aimé des philosophes et des penseurs du XVIIIe siècle. Eux qui clamaient leur recherche de la vérité, affichaient des positions morales, prônaient une monarchie éclairée (par leurs lumières, bien entendu !) comment auraient-ils pu apprécier quelqu’un qui se faisait l’apôtre de la dualité, qui refusait le postulat idéologique de la vérité absolue ?
L’animosité de Voltaire se nourrissait sans doute aussi de données plus prosaïques : Marivaux, auteur à succès du théâtre italien, fut son grand rival. Et si Voltaire était la vedette de la Comédie-Française, Marivaux l’a talonné de 1720 à 1750 pour le nombre de spectateurs...
Les contemporains de Marivaux l’ont très vite réduit à son style et à sa préciosité de langage. Mieux que quiconque, par éducation et par goût, Marivaux maîtrise cette prose brillante, ces raffinements de langage qui caractérisent le XVIIIe siècle. Dans cette société qui fait de la conversation un art subtil, Marivaux est certes considéré comme un virtuose. Mais on lui reproche alors de “ courir après l’esprit ”, de “ n’être point naturel ". Et on lui dénie tout sérieux.
Les termes “ marivauder ” et “ marivaudage ” apparaissent dès les années 1750… Ce qui nous vaut aujourd’hui la définition qu’en donne le Petit Robert : “ marivaudage : propos, manège de galanterie délicate et recherchée. ” Et Diderot s’amuse à écrire dans sa correspondance personnelle “ Je marivaude, Marivaux sans le savoir, et moi le sachant ! ”
Les critiques des contemporains de Marivaux auront la vie longue… Pendant presque deux siècles, le dramaturge va se trouver réduit à son “ marivaudage ” : un manège, une escrime, une coquetterie amoureuse partagée sans conflit véritable, une ingéniosité ne cachant pas ce qu’elle prétend cacher, le tout sur le mode souriant. Celui qui marivaude est à la fois véridique et menteur.
Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour que la littérature et le théâtre réhabilitent l’œuvre de Marivaux dans toute sa richesse et sa complexité.

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Araminte : Araminte dans Les Fausses Confidences est un des plus beaux portraits de femme qu’ait brossé Marivaux. Une femme étonnamment moderne.
Jeune et riche bourgeoise, veuve d’un financier qui lui a laissé beaucoup d’argent et une position sociale enviable, elle jouit donc d’un statut privilégié dans une société où les femmes, de manière générale, n’avaient guère d’autonomie. Elle est belle, libre, indépendante mais pourtant (presque) prête à céder aux injonctions de sa mère, qui veut lui assurer un mariage aristocratique.
Jusqu’à ce qu’elle croise Dorante… La beauté de cet homme réveille sa sensualité et dès lors Araminte va livrer un double combat. Combat contre la pression familiale, le poids des conventions sociales – épouser son intendant, homme honnête mais pauvre, serait une mésalliance —, mais surtout combat contre elle-même : le désir qu’Araminte éprouve pour Dorante lui fait peur. Et plus encore lorsqu’elle apprend par Dubois que ce jeune homme qui l’attire tant l’aime en secret, passionnément.
Le corps et le cœur d’Araminte auront le dernier mot. Et sa plus belle réplique est peut-être la réponse qu’elle fait à Dorante quand il lui avoue, à la fin de la pièce, avoir obéi pour la conquérir au stratagème de son valet : “ Après tout, puisque vous m’aimez véritablement, ce que vous avez fait pour gagner mon cœur n’est point blâmable ; il est permis à un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner, lorsqu’il a réussi. ”

Dorante : Le personnage de Dorante est aussi d’une grande richesse et d’une grande complexité. Dorante est un bourgeois comme Araminte, “ honorable” comme elle, mais il est pauvre et c’est comme intendant – donc serviteur – qu’il entre dans sa maison. Dorante n’oserait jamais avouer à Araminte qu’il l’aime : la fortune qui les sépare, son respect pour elle et les valeurs sociales l’en empêchent.
C’est pourtant ce même Dorante qui se laisse emporter dans le stratagème imaginé par Dubois, un Dubois qui lui promet à la fois l’amour d’Araminte et sa richesse :
“ (…) et on vous aimera, toute raisonnable qu’on est ; on vous épousera, toute fière qu’on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ? Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende (…) ”. Dorante a-t-il pour autant l’âme d’un intriguant ? Sans l’existence, la volonté et l’intervention de Dubois, il n’aurait sans doute jamais entrepris quoi que ce soit. Dorante est un passionné mais ce n’est pas un homme d’action.

Dubois : Les Fausses Confidences est la seule pièce de Marivaux où un valet tire à ce point les fils de l’intrigue. Perspicace en amour, fin stratège, usant de tous les artifices pour parvenir à une réussite dont, semble-t-il, il ne doute jamais : Dubois ne rappelle-t-il pas les grandes figures qui ont traversé cette époque ? A commencer par celui qui porta ce nom, l’archevêque de Cambrai, devenu cardinal et l’homme le plus important de France sous la Régence après le duc d’Orléans.
Dubois est dans la pièce un personnage assez énigmatique ; on ne sait rien de lui mais lui, en revanche, sait tout de l’âme humaine. Lorsqu’il distille avec une habileté consommée ses “fausses confidences ”, il provoque à chaque fois chez son interlocuteur l’effet escompté.
Bien des interprétations ont fait de Dubois un valet machiavélique, jouissant de son pouvoir sur les autres. Et puis son entreprise n’est peut-être pas exempte de toute arrière pensée financière (un Dorante devenu riche saura bien l’en remercier !). Mais ce serait oublier que Dubois manifeste un attachement profond et sincère pour son maître. Ne lui dit-il pas :  “ Vous êtes un excellent homme, un homme que j’aime ! ”. Et de surcroît un homme tellement beau – “ Votre bonne mine est un Pérou ! ” — que c’est là, à ses yeux, le vrai gage de la réussite de son plan.

Marton : Le personnage de Marton est particulièrement émouvant : la victime des Fausses Confidences, c’est elle, jeune femme sacrifiée au nom de l’amour.
Marton est jolie, de bonne famille – son père et celui de Dorante étaient très liés – et elle se laisse facilement abuser lorsque Monsieur Remy la presse d’épouser un Dorante supposé être amoureux d’elle.
Marton pouvait légitimement croire à cette histoire. Et le pouvoir de séduction de Dorante est tel qu’elle tombe à son tour amoureuse. Sa déconvenue sera cruelle, d’autant plus cruelle que tous, peu ou prou, entretiendront la méprise.
Amoureuse, jalouse, rivale d’Araminte, puis rivale vaincue mais toujours attachée à l’amitié de sa maîtresse : Marton est aussi un beau portrait de femme…

Madame Argante et le comte

Ils symbolisent tous deux un ordre en voie de disparition. Vestiges un peu pathétiques de l’Ancien Régime, ils s’accrochent à des codes qui, déjà, n’ont plus cours : le comte voudrait sauvegarder ses biens grâce à la fortune d’Araminte et Madame Argante voudrait acquérir pour sa fille le rang nobiliaire qui manque à sa réussite. Le comte, lucide, sera le premier à rendre les armes… Sans doute avait-il compris, bien avant le dénouement, qu’il ne pourrait lutter contre la beauté de Dorante…

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1. Marivaux est lointain. Voire. C’est peut-être pour cela que je l’aime et qu’à travers lui je continue à interroger les auteurs du XXe siècle tels que Strindberg, Brecht, Bond ou Genet que j’ai presque exclusivement montés ces dernières années. Ce n’est donc ni un détour, ni une parenthèse, mais un prolongement. En quoi ?

2. En 1737, quand il crée Les Fausses Confidences, Marivaux est plus qu’un contemporain. C’est un moderne ; résolument. C’est sur la piste de cette modernité que je m’engage dans les répétitions. Où nous mènera-t-elle ? Est-elle seulement praticable ? Nous le verrons bien mais tel est mon état d’esprit initial : se rappeler que Marivaux a su être un auteur contemporain et que le lointain Marivaux a beaucoup à nous dire là-dessus.
3. En 1737, Marivaux est moderne par son théâtre seulement. Vif, nerveux, accessible, divertissant. Dans le style italien. On le dit obscur mais pour ses idées (il ne participe pas aux Lumières). Lui se sait simple, il parle au naturel même en étant subtil et raffiné. C’est un théâtre de l’immédiat dont le style est celui du cœur. Tout y est porté par l’émotion et le sentiment. “ Je pense, pour moi, dit Marivaux, qu’il n’y a que le sentiment qui nous puisse donner des nouvelles un peu sûres de nous… ”.
4. Marivaux choisit le genre comique. Il touche son auditoire par le rire, et toute la gamme des émotions joyeuses. Il sait bien que les sujets les plus sérieux appellent la légèreté distante du sourire, l’émotion chaleureuse de l’éclat de rire. L’esprit de sérieux, lui, a besoin d’assener ; il se nourrit de vérités. Mais pas Marivaux et ni ses personnages qui entrent en scène dans le monde instable de l’incertitude, propice aux trébuchements, aux chutes, aux égarements, aux malentendus, aliments privilégiés du genre comique.
Tout est masque et dissimulation. Marivaux sait qu’en chaque homme il y en a deux : l’un qui se montre et l’autre qui se cache. Son théâtre se tient tout entier au carrefour ironique et subversif de la fausse vérité et du mensonge vrai. Prise entre les vraies et les fausses confidences, la vérité ne saurait se saisir ni se dire entièrement et clairement. Marivaux anticipe là sur Nietzsche, Freud et les Penseurs du XXe. Notre tradition contemporaine a souvent affirmé sans nuance l’existence d’une vérité politique, morale, historique ou sociale et s’est surtout essayé à en faire théâtre, immédiatement, dans l’écriture ou sur scène. Là où pour Marivaux elle ne peut être qu’allusive et oblique. En un mot : jouée et joueuse.
5. Nulle métaphysique dans ce théâtre de l’incertitude, nul renfermement psychologique sur soi. C’est parce que ce théâtre est largement ouvert sur les vastes affaires de son temps qu’il en va ainsi.
Ce qui est perceptible chez Marivaux, c’est que le monde bouscule ses personnages. La modernité mène le bal : elle fait craquer et disloque sous sa poussée l’écorce trop rigide des ordres, des castes. Elle bouleverse la cartographie des sentiments, des idées, des codes, du licite et du légitime.
Tout bouge sous leurs pieds ; la plaque immuable se défait en des mouvements lents et subtils, par ruptures brutales et subites, libérant des énergies considérables, ouvrant des perspectives inconnues, obstruant les chemins battus devenus impasses. Bref, appel d’air et obstacles nouveaux façonnent en profondeur le monde existant, redistribuant les cartes dans un jeu dont les règles changent sans que les joueurs le perçoivent très clairement. Telle est la source première de cette inquiétude : tout est en chantier. La simple marche est hasardeuse, parfois acrobatique dans un paysage où tout est bousculé.
6. Tout ceci ne dessine pas un univers tragique. Au contraire, tout est jouable. Marivaux nous propose le théâtre de la modernité qui appelle courage et détermination, mais croit à la possibilité d’être heureux.
Voilà comment je voudrais donner à voir cette pièce. Elle est la dernière en trois actes dans laquelle il offre au monde nouveau un ultime rêve de bonheur.
Les Fausses Confidences est sa dernière pièce où l’amour, par-delà la tyrannie de l’argent et des nouvelles valeurs, par-delà la violence du clivage social, paraît pouvoir offrir aux êtres une “ surprise ” salvatrice, où le cœur in fine ne connaîtra d’autres lois que la sienne.

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Informations pratiques

Compiègne - Espace Jean Legendre

place Briet Daubigny 60200 Compiègne

Spectacle terminé depuis le mardi 12 novembre 2002

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