Présentation
Lintrigue
Rencontre entre un auteur et
un metteur en scène
Le contexte
historique et social de luvre de Marivaux
quelques repères chronologiques
La France du 18e
siècle : une société en pleine mutation
Marivaux, témoin de son époque
Marivaux vu par ses contemporains
Les principaux personnages
des Fausses Confidences
Un ultime rêve de bonheur - par
Alain Milianti
Les Fausses Confidences est l'uvre d'un Marivaux au sommet de son art. Deux siècles après, le texte n'a rien perdu de sa fraîcheur. L'intrigue pourrait se résumer ainsi : Dorante, un homme pauvre et extrêmement beau, aime sans espoir la riche Araminte. Son ancien domestique Dubois se fait fort d'amener Araminte à l'épouser, malgré l'interdit de la distance sociale qui les sépare.
Comme dans un conte de fées, le berger finira par se faire aimer de sa princesse. Mais ce sera au prix d'un combat incertain qui, lui, est bien ancré dans la réalité du 18ème siècle. Un 18ème siècle fascinant où les extrêmes se rejoignent, où tout se brouille, tout devient possible.
Araminte et Dorante ne sont pas des personnages éthérés, occupés à nous divertir de leur manège amoureux. Ce sont des héros de chair et de désirs, qui vont là où les mènent leurs appétits, bousculant les codes, les préjugés et leur propre peur.
C'est ce Marivaux-là, auteur moderne, contemporain, que nous invite à rencontrer Alain Milianti suivi par une troupe de jeunes acteurs trépidant d'énergie.
" Les Fausses Confidences est sa dernière pièce où l'amour, par-delà la tyrannie de l'argent et des nouvelles valeurs, par-delà la violence du clivage social paraît pouvoir offrir aux êtres une " surprise " salvatrice, où le cur in fine ne connaîtra d'autres lois que la sienne. " Alain Milianti
Créée le 16 mars 1737, Les Fausses Confidences est la dernière grande pièce de Marivaux qui n'écrira par la suite que des uvres en un acte.
Cette pièce se situe de manière singulière dans l'écriture de Marivaux. Elle clôt brillamment un cycle d'uvres magistrales et en même temps est annonciatrice d'une façon nouvelle de mener l'action.
Selon Frédéric Deloffre, plusieurs ingrédients distinguent la pièce des précédentes : de nombreux éléments réalistes nous dessinent avec une précision romanesque l'univers social qui entoure la pièce. Les dialogues sont plus nuancés, faits de sous-entendus, de mots effleurés, de phrases qui laissent songeurs. L'intrigue qui se dévoile sous nos yeux se dépouille peu à peu des artifices, nous invitant à sentir, à percevoir la profondeur des personnages. Ce ne sont plus des jeunes gens mais des femmes et des hommes dans la force de l'âge.
Laffaire se passe dans une journée. Un beau matin, un jeune homme se présente comme intendant chez une jeune et riche veuve dont il est amoureux. Il a de longue main préparé ses batteries pour arriver à se faire aimer car il a introduit dans la place son ancien maître dhôtel : grâce à cette complicité, il va, dans la journée, et en un tour de main, cambrioler le cur de la jeune femme. Louis Jouvet
Dorante, un jeune homme pauvre et extrêmement beau, aime sans espoir la riche
Araminte. Son ancien domestique Dubois se fait fort damener Araminte à
lépouser, malgré limmensité de la distance sociale qui les sépare. Créée
le 16 mars 1937, Les Fausses Confidences est la dernière grande pièce de Marivaux qui
nécrira par la suite que des uvres en un acte. Cette pièce se situe de
manière singulière dans lécriture de Marivaux. Elle clôt brillamment un cycle
duvres magistrales et en même temps est annonciatrice dune façon
nouvelle de mener laction.
Selon Frédéric Deloffre, plusieurs ingrédients distinguent Les Fausses Confidences : de
nombreux éléments réalistes dessinent avec une précision romanesque lunivers
social qui entoure la pièce. Les dialogues sont plus nuancés, faits de sous-entendus, de
mots effleurés, de phrases qui laissent songeur. Lintrigue, en se dévoilant, se
dépouille peu à peu des artifices, invitant à sentir, à percevoir la profondeur des
personnages. Ce ne sont plus des jeunes gens mais des femmes et des hommes dans la force
de lâge, Araminte et Dorante. Les Fausses Confidences est luvre
dun Marivaux au sommet de son art.
Marivaux, Genet : ce sont les deux auteurs de prédilection dAlain Milianti. Deux
auteurs que deux siècles séparent mais que réunit, à ses yeux, une même modernité.
Marivaux est le seul auteur quait monté au Volcan Alain Milianti en dehors du
répertoire contemporain. Il sy attaque une première fois en 1994 avec Le Legs et
LEpreuve. Les Fausses Confidences marque sa deuxième rencontre avec le grand
dramaturge du XVIIIe siècle. Et il le retrouve avec un infini plaisir :
Jaime Marivaux parce que cet auteur nest ni idéologique ni politique.
Jaime sa manière de mettre en relation les gens au monde. Pour lui, tout est
double, il ny a pas de vérité absolue. Alors que ses contemporains prônent la
recherche de la vérité, affichent des positions morales, lui se fait lapôtre de
la dualité. Il nest quà voir les personnages des Fausses Confidences :
lattitude, les propos de chacun deux peuvent être justifiés, expliqués de
deux façons contraires. Dorante est-il seulement amoureux ? Surtout calculateur ? On ne
peut pas privilégier une lecture par rapport à une autre, ce serait absurde. Dorante est
sans doute intriguant à la fois par amour et par intérêt. Ce sera au spectateur
dinterpréter comme il lentend, librement. Et lauteur contemporain qui
se rapproche le plus de cette vision du monde, cest Jean Genet.
Explorer le langage de Marivaux, saventurer dans son théâtre damour,
cest prendre la mesure de son étonnante modernité :
Marivaux a exploré à sa manière les voies de linconscient. Il a montré
que les sentiments, les affects pouvaient vivre longtemps avant datteindre leur
forme consciente ; et cette idée là était très moderne. Dailleurs nest-ce
pas lui qui a inventé la formule "tomber amoureux" à une époque où lon
disait "se rendre amoureux" comme on se rend à la raison ? Or on ne domine pas
le sentiment amoureux, cest lui qui nous surprend.
Marivaux est aussi un fin observateur de son temps. Sa pièce Les Fausses Confidences est
celle qui traduit le mieux les préoccupations dune époque où sopère une
véritable mue sociale, sous limpulsion dun tout nouveau pouvoir : celui de
largent.
Marivaux met en scène largent en tant que valeur universelle, et qui, à ce
titre, entre en conflit avec toutes les autres valeurs. Marivaux a connu la création de
la première banque sous la Régence, il a connu la fortune rapide puis la ruine. Et
lintrigue de Dorante exprime bien cette possibilité nouvelle de devenir riche très
vite, en une seule fois, dans une société où tous les repères traditionnels se
brouillent, où plus rien nest figé.
Mais ce nest pas largent en soi qui intéresse Marivaux. Il nest en rien
le protagoniste des Fausses Confidences. Il nest que le vecteur dun formidable
bouleversement dont Montesquieu, contemporain de Marivaux, sest fait lui aussi
lécho. Largent rend tout instable, il ébranle tous les étages de
lédifice social, libérant des énergies nouvelles. Cest là la véritable
toile de fond de la pièce, cest là que réside aussi la modernité de Marivaux.
Toute la démarche dAlain Milianti consiste à saisir cette modernité, à
marcher dans les pas du Marivaux sensible aux appétits du monde : pour cela, il
faut faire abstraction de ce que lhistoire nous a enseigné : le poids du passé, la
révolution qui est proche
jai abordé la pièce en aveugle
Le metteur en scène a cherché à traduire, au-delà du texte, cette idée dune
société suspendue entre le passé et lavenir et pourtant animée dune
infinité de mouvements internes. Le décor de la maison dAraminte où se
déroule la pièce ressemble à un chantier : tout est en construction, tout est
possible, tout est interrogation. Les costumes, sils sont dépoque, rendent
aussi perceptible cette tension entre le XVIIIe et le XIXe siècle.
Lamour lui-même néchappe pas à ces soubresauts, à ces pulsions nouvelles.
On a souvent dit que Marivaux écrivait toujours la même pièce puisquil y parlait
toujours du même thème: léternelle surprise de lamour. Mais il a su en
explorer toutes les facettes. Lamour est un sentiment complexe qui peut se montrer
sous un visage ou sous un autre. Dans Les Fausses Confidences, lamour fait fi des
rituels, ne sembarrasse plus de codes moraux ou sociaux :
Il est conquérant et dans cette conquête "sauvage", tous les coups sont
permis. Araminte ne dit pas autre chose lorsquelle pardonne à Dorante davoir
accepté le stratagème de Dubois pour mieux la conquérir ! .
Les héros des Fausses Confidences ne sont pas des personnages éthérés occupés à se
divertir dans un manège amoureux. Ce sont des héros de chair, des hommes et des femmes
qui doivent composer avec leur désir. Pour Alain Milianti, il sagit bien
dincarner Marivaux.
Tous ceux qui étaient riches il y a six mois sont à présent dans la pauvreté,
et ceux qui navaient pas de pain regorgent de richesses. Jamais ces deux
extrémités ne se sont touchées de si près. Létranger (Law) a tourné
lEtat comme un fripier retourne un habit : il fait paraître dessus ce qui était
dessous, et ce qui était dessus il le met à lenvers.
Quelles fortunes inespérées, incroyables même à ceux qui les ont faites ! Dieu ne tire
pas plus rapidement les hommes du néant. Que de valets servis par leurs camarades et
peut-être demain par leurs maîtres ! Tout ceci produit souvent des choses bizarres : les
laquais qui avaient fait fortune sous le règne précédent vantent aujourdhui leur
naissance ; ils rendent à ceux qui viennent de quitter leur livrée, dans une certaine
rue (la rue Quincampoix) tout le mépris quon avait pour eux il y a six mois ; ils
crient de toutes leurs forces : "La noblesse est ruinée!".
Quel désordre dans lEtat ! Quelle confusion dans les rangs ! On ne voit que des
inconnus faire fortune ! Montesquieu (cité par Paul Lacroix dans
XVIIIe siècle Paris Firmin-Didot).
1688 : Naissance à Paris de Pierre Carlet, le futur Marivaux. Son père, Nicolas
Carlet, était dorigine normande.
1699 : Nicolas Carlet devient directeur de la monnaie à Riom. La famille
sinstalle donc en Auvergne.
1706 : Les Carlet sont à Limoges où le futur écrivain fréquente les milieux
cultivés.
1710 : Marivaux entreprend des études de droit.
1712 : Marivaux écrit sa première pièce et son premier roman.
1715 : Mort de Louis XIV. Début de la Régence du duc dOrléans, son neveu.
1716 : Fondation de la Banque Générale de Law : nombreux sont les souscripteurs,
notamment dans laristocratie et lintelligentsia parisiennes, de ce nouveau
papier à intérêts.
1717 : Mariage de lécrivain avec Colombe Bologne, qui lui apporte une dot
rondelette.
1720 : Marivaux est partiellement ruiné par la banqueroute de Law, comme des
centaines de souscripteurs. Il présente au théâtre des Italiens sa première comédie
LAmour et la Vérité puis Arlequin poli par lamour.
1721 : Marivaux reprend et achève ses études de droit, obtient sa licence et fonde un
journal, Le Spectateur français, qui brosse des portraits à portée morale et
philosophique, dans la tradition de La Bruyère et du journal anglais The Spectator.
Marivaux continuera toute sa vie son activité de journaliste.
1722 : Mort du Régent. Sacre de Louis XV. Création, par les comédiens-italiens, de La
Surprise de lamour, qui rencontre un beau succès.
1723 : Grand succès de La Double Inconstance, toujours jouée par les
comédiens-italiens. Ceux-ci deviennent comédiens du roi.
1724 : Création du Prince travesti, de La Fausse Suivante, du Dénouement imprévu.
1725 : Première comédie sociale de Marivaux, LIle aux esclaves.
1727 : Echec à la Comédie-Française de la seconde comédie sociale de Marivaux.
LIle de la raison. Il y est question de lémancipation de la femme et de
lunion libre, idées encore trop neuves pour lépoque !
1730 : Le Jeu de lamour et du hasard est joué au théâtre des Italiens.
1734 : Publication du Paysan parvenu. Ce roman évoque la situation de Dorante dans
Les Fausses Confidences : un homme pauvre contracte grâce à sa bonne mine une brillante
alliance, mais il doit triompher du scandale créé par le soupçon de vénalité qui
pèse sur son amour sincère.
1735 : La Mère confidente puis Le Legs , lannée suivante, traitent encore des
difficultés du mariage sans argent.
1737 : Création au théâtre des Italiens des Fausses Confidences. Le succès est
médiocre.
1738 : Reprise des Fausses Confidences à la Comédie-Française, cette fois avec
succès.
1740 : LEpreuve, dernier grand succès de Marivaux.
1742 : Jean-Jacques Rousseau vient solliciter lauteur de LIle des
esclaves pour corriger sa pièce Narcisse. Ce qui confirme bien la
modernité des idées sociales de Marivaux. Lauteur publie la suite de La Vie de
Marianne et du Paysan parvenu, deux uvres qui resteront inachevées.
1763 : Mort de Marivaux.
1774 : Mort de Louis XV.
Le XVIIIe siècle souvre sur une fête retrouvée et se clôture sur une
révolution
Après la fin du règne de Louis XIV (1700-1715), marquée par la crise économique, la
guerre et la famine, la Régence (1715-1723) inaugure une période de mieux-vivre. Grâce
à laction énergique du duc Philippe dOrléans et de son ministre Dubois
(est-ce un hasard si Marivaux, quatorze ans plus tard, choisit de donner ce nom à
lhabile valet des Fausses Confidences ?), le régime monarchiste tend à rompre avec
la pesante politique absolutiste de Louis XIV et la censure imposée par son épouse
morganatique, la dévote Mme de Maintenon.
Cest le temps du luxe des fêtes galantes mais, plus généralement,
le libertinage qui donne son style à la Régence la Cour participe dune large
remise en cause des certitudes. Les Modernistes (et Marivaux prendra leur défense)
refusent dadmirer par principe les uvres de lAntiquité. On invente de
nouveaux modèles pour la littérature, les arts, léconomie, lesthétique. La
vieille hiérarchie des valeurs commence à se défaire
Le bouleversement économique et social est aussi grand que celui des murs. Après
les ravages des guerres incessantes, une relative stabilité dans léquilibre
européen assure la tranquillité dans les campagnes : il ny a plus de disettes, la
production agricole et industrielle reprend, le commerce extérieur se réveille, les prix
augmentent, la mortalité recule le pays gagne sept millions dhabitants au
XVIIIe siècle.
Le renouveau, très manifeste après 1730, pendant le règne de Louis XV, va de pair avec
une Europe conquérante : supériorité technique, scientifique, économique et militaire,
qui se traduit par des voyages, des échanges commerciaux, des conquêtes coloniales, la
traite des Noirs et lessai dévangélisation des peuples. Cette expansion
domine la pensée des Lumières et oblige aussi, par la découverte du monde, à penser
les différences. Comme le feront Voltaire, Montesquieu, Rousseau.
Le siècle des Lumières est aussi celui de largent. Et lavènement de
largent voit lascension de la bourgeoisie. Cest le début des alliances
contre nature, alliances dintérêt, entre la noblesse et la bourgeoisie.
Lorsquau lendemain de la Régence, les plus grands noms de la noblesse parlementaire
Lamoignon, Mirepoix, Molé épousent les filles du banquier Samuel Bernard,
le tollé est général ! Mais le mouvement est lancé
Le pouvoir tout neuf de la finance et de la spéculation fait les fortunes aussi vite
quil les défait, comme le montre le fameux épisode de la banqueroute de Law. Un
tel phénomène apparaît comme une sorte de mirage tout à fait révélateur dun
nouvel état desprit : linstabilité des fortunes condamne les anciennes
valeurs aristocratiques et introduit lespoir dun monde nouveau où toutes les
hardiesses sont permises.
Désormais, la condition se mesure à lavoir, à la richesse beaucoup
plus quà lêtre, à la naissance. Alors que les institutions restent très
figées, la société du XVIIIe siècle manifeste une mobilité nouvelle qui se
concrétise par la perméabilité sociale : il apparaît de plus en plus possible de
passer dune classe à lautre.
Mais que lon ne sy trompe pas : cette société mouvante reste profondément
inégalitaire et source de tensions. Les privilégiés du système, quils soient
nobles ou riches bourgeois, sont une poignée face au petit peuple exclu de tout partage
de profits. Au sein du tiers-état, troisième ordre à côté de la noblesse et du
clergé, se mêlent paysans, valets, artisans et commerçants, hommes de loi, médecins et
banquiers : mais quoi de commun entre la masse des paysans largement analphabète et
lélite roturière ?
Dautre part la bourgeoisie, détentrice dun pouvoir économique de plus en
plus important, revendique en conséquence le partage du pouvoir politique.
Lordre ancien na plus de sens, lordre nouveau tarde à apparaître.
Durant la deuxième moitié du 18e siècle, crise financière et crise économique
précipitent cette désintégration. La Révolution est en marche
On na pas toujours marqué que, dans Les Fausses Confidences,
létude dun milieu bourgeois où largent compte autant sinon plus que
lamour est poussée plus loin que dans aucune autre pièce de Marivaux . Bernard
Dort
Lorsque Marivaux crée Les Fausses Confidences, il a cinquante et un ans. Cest un
homme mûr, qui a eu tout loisir dobserver les changements à luvre dans
une société marquée par lavènement de largent, et den éprouver
lui-même les soubresauts. Na-t-il pas été partiellement ruiné par le krach
boursier de 1720 ?
Sa pièce est donc ancrée dans un contexte historique et socio-économique très
réaliste : riche veuve de financier, noble désargenté, bourgeois qui a du mérite mais
pas un sou. Aux yeux de certains, Les Fausses Confidences portent en germe lannonce
de lendemains violents. Le poids de largent, des intérêts matériels à
sauvegarder ou à conquérir, se fait de plus en plus impérieux.
Les projets de Madame Argante pour sa fille lexpriment fort bien : dun côté
la richesse, de lautre le nom. Dun côté une femme qui peut tout acheter, de
lautre un noble qui na plus les moyens dentretenir ses biens : le
mariage nest quune alliance dintérêts bien comprise.
Quant à Dorante, si sa passion pour Araminte est sincère, ne sait-il pas aussi
quelle a plus de cinquante mille livres de rente ? Et Dubois, son
valet, entre les mains duquel il a remis son sort, nassure t-il pas, au début de
lintrigue : On vous épousera, toute fière quon est et on vous
enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ? .
Marton, elle, noublie pas les mille écus promis si Araminte épouse le comte et
Monsieur Rémy trouve insensé quon puisse refuser un mariage richement doté. Même
le naïf Arlequin rappelle à Dorante que dans ce monde, celui qui paye est le maître !
Marivaux peint donc avec une grande précision la comédie de ce XVIIIe siècle, sur fond
de mésalliances et de castes sociales.
Est-il pour autant un dénonciateur ? Son discours sur largent est omniprésent,
certes, mais discret et modéré. La réplique la plus subversive de la
pièce est celle dAraminte : Je suis toujours fâchée de voir
dhonnêtes gens sans fortune, tandis quune infinité de gens de rien, et sans
mérite, en ont une éclatante.
De manière générale, le Marivaux journaliste sest montré un critique social
beaucoup plus dur et passionné que le Marivaux dramaturge. Dans son théâtre, la seule
liberté quil défend, au fond, est la liberté intérieure : celle qui amène un
être à surmonter ses préjugés, ses vanités ou sa peur pour faire aller là où le
mène son désir. En cela Marivaux est un auteur dune grande modernité.
Voltaire disait de lui quil passait son temps à peser des ufs de
mouche dans des balances en toile daraignée.
Car Marivaux nétait pas aimé des philosophes et des penseurs du XVIIIe siècle.
Eux qui clamaient leur recherche de la vérité, affichaient des positions morales,
prônaient une monarchie éclairée (par leurs lumières, bien entendu !) comment
auraient-ils pu apprécier quelquun qui se faisait lapôtre de la dualité,
qui refusait le postulat idéologique de la vérité absolue ?
Lanimosité de Voltaire se nourrissait sans doute aussi de données plus prosaïques
: Marivaux, auteur à succès du théâtre italien, fut son grand rival. Et si Voltaire
était la vedette de la Comédie-Française, Marivaux la talonné de 1720 à 1750
pour le nombre de spectateurs...
Les contemporains de Marivaux lont très vite réduit à son style et à sa
préciosité de langage. Mieux que quiconque, par éducation et par goût, Marivaux
maîtrise cette prose brillante, ces raffinements de langage qui caractérisent le XVIIIe
siècle. Dans cette société qui fait de la conversation un art subtil, Marivaux est
certes considéré comme un virtuose. Mais on lui reproche alors de courir après
lesprit , de nêtre point naturel ". Et on lui dénie tout
sérieux.
Les termes marivauder et marivaudage apparaissent dès les
années 1750
Ce qui nous vaut aujourdhui la définition quen donne le
Petit Robert : marivaudage : propos, manège de galanterie délicate et
recherchée. Et Diderot samuse à écrire dans sa correspondance personnelle
Je marivaude, Marivaux sans le savoir, et moi le sachant !
Les critiques des contemporains de Marivaux auront la vie longue
Pendant presque
deux siècles, le dramaturge va se trouver réduit à son marivaudage : un
manège, une escrime, une coquetterie amoureuse partagée sans conflit véritable, une
ingéniosité ne cachant pas ce quelle prétend cacher, le tout sur le mode
souriant. Celui qui marivaude est à la fois véridique et menteur.
Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour que la littérature et le théâtre
réhabilitent luvre de Marivaux dans toute sa richesse et sa complexité.
Araminte : Araminte dans Les Fausses Confidences est un des
plus beaux portraits de femme quait brossé Marivaux. Une femme étonnamment
moderne.
Jeune et riche bourgeoise, veuve dun financier qui lui a laissé beaucoup
dargent et une position sociale enviable, elle jouit donc dun statut
privilégié dans une société où les femmes, de manière générale, navaient
guère dautonomie. Elle est belle, libre, indépendante mais pourtant (presque)
prête à céder aux injonctions de sa mère, qui veut lui assurer un mariage
aristocratique.
Jusquà ce quelle croise Dorante
La beauté de cet homme réveille sa
sensualité et dès lors Araminte va livrer un double combat. Combat contre la pression
familiale, le poids des conventions sociales épouser son intendant, homme honnête
mais pauvre, serait une mésalliance , mais surtout combat contre elle-même : le
désir quAraminte éprouve pour Dorante lui fait peur. Et plus encore
lorsquelle apprend par Dubois que ce jeune homme qui lattire tant laime
en secret, passionnément.
Le corps et le cur dAraminte auront le dernier mot. Et sa plus belle réplique
est peut-être la réponse quelle fait à Dorante quand il lui avoue, à la fin de
la pièce, avoir obéi pour la conquérir au stratagème de son valet : Après
tout, puisque vous maimez véritablement, ce que vous avez fait pour gagner mon
cur nest point blâmable ; il est permis à un amant de chercher les moyens de
plaire, et on doit lui pardonner, lorsquil a réussi.
Dorante : Le personnage de Dorante est aussi dune
grande richesse et dune grande complexité. Dorante est un bourgeois comme Araminte,
honorable comme elle, mais il est pauvre et cest comme intendant
donc serviteur quil entre dans sa maison. Dorante noserait jamais
avouer à Araminte quil laime : la fortune qui les sépare, son respect pour
elle et les valeurs sociales len empêchent.
Cest pourtant ce même Dorante qui se laisse emporter dans le stratagème imaginé
par Dubois, un Dubois qui lui promet à la fois lamour dAraminte et sa
richesse :
(
) et on vous aimera, toute raisonnable quon est ; on vous épousera,
toute fière quon est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes,
entendez-vous ? Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende (
) .
Dorante a-t-il pour autant lâme dun intriguant ? Sans lexistence, la
volonté et lintervention de Dubois, il naurait sans doute jamais entrepris
quoi que ce soit. Dorante est un passionné mais ce nest pas un homme daction.
Dubois : Les Fausses Confidences est la seule pièce de
Marivaux où un valet tire à ce point les fils de lintrigue. Perspicace en amour,
fin stratège, usant de tous les artifices pour parvenir à une réussite dont,
semble-t-il, il ne doute jamais : Dubois ne rappelle-t-il pas les grandes figures qui ont
traversé cette époque ? A commencer par celui qui porta ce nom, larchevêque de
Cambrai, devenu cardinal et lhomme le plus important de France sous la Régence
après le duc dOrléans.
Dubois est dans la pièce un personnage assez énigmatique ; on ne sait rien de lui mais
lui, en revanche, sait tout de lâme humaine. Lorsquil distille avec une
habileté consommée ses fausses confidences , il provoque à chaque fois chez
son interlocuteur leffet escompté.
Bien des interprétations ont fait de Dubois un valet machiavélique, jouissant de son
pouvoir sur les autres. Et puis son entreprise nest peut-être pas exempte de toute
arrière pensée financière (un Dorante devenu riche saura bien len remercier !).
Mais ce serait oublier que Dubois manifeste un attachement profond et sincère pour son
maître. Ne lui dit-il pas : Vous êtes un excellent homme, un homme que
jaime ! . Et de surcroît un homme tellement beau Votre bonne
mine est un Pérou ! que cest là, à ses yeux, le vrai gage de la
réussite de son plan.
Marton : Le personnage de Marton est particulièrement
émouvant : la victime des Fausses Confidences, cest elle, jeune femme sacrifiée au
nom de lamour.
Marton est jolie, de bonne famille son père et celui de Dorante étaient très
liés et elle se laisse facilement abuser lorsque Monsieur Remy la presse
dépouser un Dorante supposé être amoureux delle.
Marton pouvait légitimement croire à cette histoire. Et le pouvoir de séduction de
Dorante est tel quelle tombe à son tour amoureuse. Sa déconvenue sera cruelle,
dautant plus cruelle que tous, peu ou prou, entretiendront la méprise.
Amoureuse, jalouse, rivale dAraminte, puis rivale vaincue mais toujours attachée à
lamitié de sa maîtresse : Marton est aussi un beau portrait de femme
Madame Argante et le comte
Ils symbolisent tous deux un ordre en voie de disparition. Vestiges un peu pathétiques de lAncien Régime, ils saccrochent à des codes qui, déjà, nont plus cours : le comte voudrait sauvegarder ses biens grâce à la fortune dAraminte et Madame Argante voudrait acquérir pour sa fille le rang nobiliaire qui manque à sa réussite. Le comte, lucide, sera le premier à rendre les armes Sans doute avait-il compris, bien avant le dénouement, quil ne pourrait lutter contre la beauté de Dorante
1. Marivaux est lointain. Voire. Cest peut-être pour cela que je laime et
quà travers lui je continue à interroger les auteurs du XXe siècle tels que
Strindberg, Brecht, Bond ou Genet que jai presque exclusivement montés ces
dernières années. Ce nest donc ni un détour, ni une parenthèse, mais un
prolongement. En quoi ?
2. En 1737, quand il crée Les Fausses Confidences, Marivaux est plus quun
contemporain. Cest un moderne ; résolument. Cest sur la piste de cette
modernité que je mengage dans les répétitions. Où nous mènera-t-elle ? Est-elle
seulement praticable ? Nous le verrons bien mais tel est mon état desprit initial :
se rappeler que Marivaux a su être un auteur contemporain et que le lointain Marivaux a
beaucoup à nous dire là-dessus.
3. En 1737, Marivaux est moderne par son théâtre seulement. Vif, nerveux, accessible,
divertissant. Dans le style italien. On le dit obscur mais pour ses idées (il ne
participe pas aux Lumières). Lui se sait simple, il parle au naturel même en étant
subtil et raffiné. Cest un théâtre de limmédiat dont le style est celui du
cur. Tout y est porté par lémotion et le sentiment. Je pense, pour
moi, dit Marivaux, quil ny a que le sentiment qui nous puisse donner des
nouvelles un peu sûres de nous
.
4. Marivaux choisit le genre comique. Il touche son auditoire par le rire, et toute la
gamme des émotions joyeuses. Il sait bien que les sujets les plus sérieux appellent la
légèreté distante du sourire, lémotion chaleureuse de léclat de rire.
Lesprit de sérieux, lui, a besoin dassener ; il se nourrit de vérités. Mais
pas Marivaux et ni ses personnages qui entrent en scène dans le monde instable de
lincertitude, propice aux trébuchements, aux chutes, aux égarements, aux
malentendus, aliments privilégiés du genre comique.
Tout est masque et dissimulation. Marivaux sait quen chaque homme il y en a deux :
lun qui se montre et lautre qui se cache. Son théâtre se tient tout entier
au carrefour ironique et subversif de la fausse vérité et du mensonge vrai. Prise entre
les vraies et les fausses confidences, la vérité ne saurait se saisir ni se dire
entièrement et clairement. Marivaux anticipe là sur Nietzsche, Freud et les Penseurs du
XXe. Notre tradition contemporaine a souvent affirmé sans nuance lexistence
dune vérité politique, morale, historique ou sociale et sest surtout essayé
à en faire théâtre, immédiatement, dans lécriture ou sur scène. Là où pour
Marivaux elle ne peut être quallusive et oblique. En un mot : jouée et joueuse.
5. Nulle métaphysique dans ce théâtre de lincertitude, nul renfermement
psychologique sur soi. Cest parce que ce théâtre est largement ouvert sur les
vastes affaires de son temps quil en va ainsi.
Ce qui est perceptible chez Marivaux, cest que le monde bouscule ses personnages. La
modernité mène le bal : elle fait craquer et disloque sous sa poussée lécorce
trop rigide des ordres, des castes. Elle bouleverse la cartographie des sentiments, des
idées, des codes, du licite et du légitime.
Tout bouge sous leurs pieds ; la plaque immuable se défait en des mouvements lents et
subtils, par ruptures brutales et subites, libérant des énergies considérables, ouvrant
des perspectives inconnues, obstruant les chemins battus devenus impasses. Bref, appel
dair et obstacles nouveaux façonnent en profondeur le monde existant, redistribuant
les cartes dans un jeu dont les règles changent sans que les joueurs le perçoivent très
clairement. Telle est la source première de cette inquiétude : tout est en chantier. La
simple marche est hasardeuse, parfois acrobatique dans un paysage où tout est bousculé.
6. Tout ceci ne dessine pas un univers tragique. Au contraire, tout est jouable. Marivaux
nous propose le théâtre de la modernité qui appelle courage et détermination, mais
croit à la possibilité dêtre heureux.
Voilà comment je voudrais donner à voir cette pièce. Elle est la dernière en trois
actes dans laquelle il offre au monde nouveau un ultime rêve de bonheur.
Les Fausses Confidences est sa dernière pièce où lamour, par-delà la tyrannie de
largent et des nouvelles valeurs, par-delà la violence du clivage social, paraît
pouvoir offrir aux êtres une surprise salvatrice, où le cur in fine
ne connaîtra dautres lois que la sienne.
place Briet Daubigny 60200 Compiègne