« On aime sans raison et sans raison on hait. »
La jeune et belle Agathe est tenue au secret par son tuteur jaloux, Albert. Prisonnière d’une cage dorée, elle a pour seule alliée dans la place Lisette, la servante délurée d’Albert, qui a, elle aussi, à se plaindre des défauts de son maître.
Albert, suspicieux, ombrageux et défiant, est persuadé que l’âge ne va pas tarder à lui arracher Agathe. Pour l’attacher à lui, il a le projet de faire de sa pupille sa femme. Mais c’est sans compter sur la malice et l’esprit d’entreprise des femmes qui fomentent, pendant leurs escapades nocturnes dans le parc du château, les moyens d’échapper au barbon. Car sa protégée préfère à ses charmes poussiéreux et rances ceux du bel Eraste.
Ce dernier, amant d’Agathe, et son fidèle valet Crispin, tournent justement autour du charmant oiseau et de sa prison. Gagnant la confiance de ce lourdaud d’Albert, les deux jeunes gens se font les complices d’Agathe, qui simule la démence pour tromper son geôlier et lui échapper.
Travestie et masquée, Agathe trouve en Crispin un acolyte à la hauteur de son génie théâtral ! Le valet se fait passer pour un spécialiste des tourments intérieurs, habile guérisseur de la folie. Il soigne sans peine la maladie imaginaire d’Agathe en la transférant sur Eraste, complice du subterfuge. Celui-ci, mimant à son tour une furieuse possession, permet d’éloigner Albert, le temps que les amants prennent la clé des champs. Comme le dit Lisette à la fin : « Vivat la folie ! »
Quelle idée d’exhumer Regnard, cet auteur si peu joué et si méconnu ?
Pascal Zelcer : Ma rencontre avec Regnard est le fruit du hasard et une des nombreuses coïncidences de l’existence !
Il y a sept ou huit ans, au festival d’Avignon, dans une librairie où j’adorais fouiner dans les beaux vieux livres, je suis tombé sur les œuvres complètes de Regnard, dans une mignonne petite collection en maroquin rouge. J’en ai survolé le contenu et ce qui m’a d’abord plu, intrigué et fait rire, ce furent les titres des pièces : Le Distrait, Le Légataire universel, Les Folies amoureuses.
J’ai commencé ensuite à lire ces pièces avec, je crois, déjà, l’envie inconsciente de les monter. J’ai découvert une fraîcheur inédite dans cette écriture, quelque chose de nouveau, qui oscille entre Molière et Marivaux sans pourtant ressembler à aucun des deux. On y retrouve le baroque de Marivaux et l’art de l’intrigue classique des pièces de Molière (avec un tuteur jaloux, une jeune fille prisonnière de la folie du barbon, des serviteurs malins, etc.). Entre ces deux influences, pourtant, le texte ne s’étiole pas et conserve son originalité. La qualité des Folies amoureuses, que je souhaite mettre en scène, se suffit à elle-même : pour moi, ce texte n’est pas un prétexte et son choix n’est pas un simple caprice d’originalité.
Après avoir laissé de côté ce texte, je l’ai relu et j’ai retrouvé la même évidence, la même fraîcheur. Peu de gens connaissent Regnard et c’est vrai qu’il est très peu monté. Raison de plus pour redécouvrir ce théâtre de qualité : il y a des pièces de Molière beaucoup plus fades que ça !
Pourquoi avoir choisi Les Folies amoureuses ?
Pascal Zelcer : Je veux d’abord et avant tout travailler sur une comédie, sur la musicalité des vers et sur la richesse de la langue.
Travailler un tel texte est une entreprise paradoxalement aussi facile que compliquée ! Les vers sont plus faciles à apprendre que la prose : il y a en eux une mécanique quasi-mathématique, une aisance qu’appellent la rime et les alexandrins. Lorsqu’un vers se déploie, on attend le mot qui va le clore et, comme par miracle, il arrive ! Si tout le monde pouvait parler en vers, ça serait tellement magique ! Il y a dans cette langue quelque chose situé au-delà du poétique, mieux que très classique, très classieux !
Ce dont j’ai envie, c’est de casser avec le caractère compassé de la forme, afin que cette langue-là devienne fluide, qu’elle donne l’impression d’être quotidienne.
Ce qui me plaît particulièrement dans Les Folies amoureuses, c’est que la parfaite maîtrise de l’écriture est au service d’une folie délirante des personnages. Il y a bien des pièces où l’on voit les personnages feindre la folie et user du travestissement, mais rarement au point de délire que se permet le personnage d’Agathe. Il y a quelque chose de ludique dans cette manière de feindre et une folie assez atypique dans le théâtre que je connais.
Et puis il s’agit d’une comédie dans toute sa splendeur, sans gravité, sans message pesant, une comédie vraiment divertissante.
Quelles idées de mise en scène avez-vous déjà pour ce spectacle ?
Pascal Zelcer : Ce dont j’ai envie, c’est d’un spectacle à base de ruptures, de clins d’œil, de glissements inattendus, avec des références plus contemporaines visant à faire rire le public voyant ce texte monté aujourd’hui.
Cette pièce a été écrite au début du XVIIIe siècle, on pourrait la monter tel quel.
Je ne veux pas y toucher mais, autour des chansons, des costumes, des postures et des manières, du ton, jouer d’un certain décalage nourri de la littérature, du cinéma, du théâtre des vingt dernières années, de la comédie musicale. Ma perspective est plutôt celle de la parodie que celle du pastiche avec la volonté de trouver un lien entre le XVIIIe siècle et notre époque par le biais universalisant de l’humour.
La scénographie sera évidemment largement dictée par le lieu d’accueil du spectacle mais je sais déjà, la pièce l’impose, que le décor reproduira un extérieur champêtre.
J’ai aussi envie d’utiliser la vidéo pour mettre en évidence les flashes-back et de détourner l’usage de la sonorisation. Puisque la pièce comporte beaucoup d’apartés, je veux utiliser des enregistrements, quitte à les rendre farfelus ou délirants, en faisant par exemple en sorte que la voix enregistrée des personnages ne soit pas la leur et qu’il y ait un décalage entre leur personnage intérieur et leur être social, toujours dans cette perspective de travestissement.
Pensez-vous déjà à des comédiens pour les rôles ?
Pascal Zelcer : Le but est de trouver cinq comédiens en adéquation avec la folie de leurs personnages. A cet égard, il est évident que pour cette pièce, le travail des personnages est aussi important que le travail du texte. Je rêve de cinq OVNI apportant chacun leur grain de folie au spectacle. Le baroque naissant du mélange, il est évident qu’il faudra aussi trouver des comédiens à la fois contrastés et complémentaires.
Quelle perspective globale guide votre travail ?
Pascal Zelcer : Le but est de travailler sur la précision et la fragilité. Comme si on était à une générale d’un spectacle très fragile, comme si les comédiens n’étaient pas au courant des incidents que subit la représentation, comme s’ils ne maîtrisaient pas ce qui leur arrive, les voix off, les choses qui leur échappent, etc. Pour prendre une image à titre de comparaison, je pense à cette scène de Chantons sous la pluie où se font les premiers essais avec le micro au moment du passage au film parlant. Comment cacher le micro, comment éviter les effets sonores intempestifs : les comédiens ne sont pas conscients de ce qui se passe et c’est ça qui est rigolo !
Le plus difficile pour les spectacles comiques, c’est de régler la mécanique et d’en huiler les rouages pour donner l’impression que c’est facile et en même temps que c’est parfait. C’est bien pour cela que souvent, il faut travailler à l’écœurement avant de trouver le plaisir.
Le travail de la comédie nécessite une efficacité et une énergie beaucoup plus importantes que les pièces dramatiques. C’est beaucoup plus difficile de faire rire et le seul rempart à la facilité, c’est la précision. Tous les comiques, Buster Keaton, Laurel et Hardy, Louis de Funès, une fois trouvé leur clown, ont cette incroyable sincérité dans l’efficacité, cette évidence dans la fragilité.
Ce qui m’intéresse, c’est cet équilibre entre la précision et la fragilité : des comédiens sont là, sur un plateau, sont dépendants des effets techniques et doivent trouver la subtile manière de laisser croire que peut-être ce n’est pas joué, comme si à un moment, on voyait le comédien sortir de son personnage et assumer son paradoxe.
Réalisé par Catherine Robert, journaliste à la Terrasse.
7, rue des Plâtrières 75020 Paris