"Svetlana Alexievitch a osé violer un des derniers tabous : elle a démoli le mythe de la guerre d'Afghanistan, des guerriers libérateurs et, avant tout, celui du soldat soviétique que la télévision montrait en train de planter des pommiers dans les villages alors qu'en réalité, il lançait des grenades dans les maisons d'argile où les femmes et les enfants étaient venus chercher refuge.
Le premier extrait des Cercueils de zinc venait à peine de paraître, le 15 janvier 1990, dans le quotidien Komsomolskaïa Pravda, que Svetlana recevait déjà une pluie de menaces. Qu'avait-elle fait ? Elle avait privé les jeunes gars revenus de la guerre de leur auréole d'héroïsme, elle leur avait ravi leur dernier refuge, la sympathie de leurs concitoyens. C'était même bien pire : ces garçons qui avaient été happés par le hachoir de la guerre, qui avaient perdu leurs amis, leurs illusions, leur sommeil, leur santé, qui étaient devenus incapables de se refaire une vie, ces gamins, souvent estropiés physiquement, étaient devenus aux yeux de leur entourage, et cela dès le premier extrait paru dans la presse, des violeurs, des assassins et des brutes. Cette femme les envoyait de nouveau en première ligne en les exposant au feu croisé des horreurs du passé et de l'indifférence du présent...
Svetlana souffre de la lâcheté de ceux qui, intimidés par leurs supérieurs militaires, sont prêts à désavouer leurs propres témoignages. Mais elle souffre davantage de ceux qui menacent non pas de la tuer elle, mais d'attenter à leurs propres jours ; ils lui hurlent au téléphone qu‘ils ne peuvent plus vivre après son livre."
Dimitri Savttski, 1990, Les Cercueils de zinc, préface
La première guerre d’Afghanistan de l’histoire contemporaine a opposé, du 27 décembre 1979 au 15 février 1989, l’Armée rouge (armée de l’Union soviétique) aux Moudjahiddin ("guerriers saints"). L’URSS justifie son intervention par la volonté de préserver le régime en place et de maintenir le calme en Asie centrale. Toutefois, il apparaît aujourd’hui que cette intervention fut également motivée par la présence de pétrole dans cette région.
Au total, durant leurs 110 mois de présence militaire, plus de 900 000 soviétiques servirent en Afghanistan : 14 000 furent tués et 75 000 blessés. On estime le nombre de morts afghans à 1 242 000 (tous bords confondus), dont 80 % de civils et 30 % de la population aurait quitté le pays ou se serait déplacée à l’intérieur des frontières.
Stéphanie Loïk
"Quand on tue, on sent qu‘on est en vie. Il n‘y a pas de joie à tuer un homme. On tue pour pouvoir rentrer chez soi."
"La vie, c’est un théâtre, chacun a son rôle à jouer. Mon théâtre à moi a disparu. Ceux qui ont été mes amis, avec lesquels je partageais un même passé, une même époque, ne sont plus que des souvenirs, des ombres, je n’arrive plus à les distinguer du rêve. Du délire nocturne. Une époque s’achève, une autre commence."
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