Les fourberies de Scapin

du 13 avril au 24 mai 2000

Les fourberies de Scapin

CLASSIQUE Terminé

Des personnages pittoresques dans un Théâtre des paroxysmes. La pièce la plus jouée de notre grand auteur. Un formidable mécanisme comique de l'univers théâtral.

Notes de mise en scène
Un théâtre de la catastrophe
Un théâtre virtuel
Un théâtre du mal
Les personnages

Notes de mise en scène

Après le triomphe de psyché, comédie féerique en vers, Molière, homme-orchestre du théâtre à la fois comédien, metteur en scène, auteur, chef de troupe, voire attaché commercial, jonglant avec les genres littéraires comme avec les styles d’écriture, revient à la source de son inspiration théâtrale : la commedia dell’arte et la farce de tréteaux, pour écrire l’une de ses pièces qui sera la plus jouée dans les siècles à venir, Les Fourberies de Scapin.

Mais, là encore, le créateur de " l’Illustre Théâtre ", par l’un de ses coups de génie qui nous enchante tant, ne va pas se situer exactement là où on l’attend. Sans doute le personnel dramatique de la pièce est-il puisé dans la tradition italienne (les amoureux, les vieux barbons, les valets rusés) et les ressorts comiques dans ceux de la farce, mais Molière va prendre plaisir à inverser discrètement l’univers habituel de ce type de théâtralité, et semble-t-il par trois procédés.

Un théâtre de la catastrophe

Même si le titre évoque la vivacité méridionale et la gaîté fantasque du carnaval, l’auteur nous fait pénétrer immédiatement dans ce que l’on pourrait appeler en effet, un théâtre de la catastrophe. Ce sera là, l’axe principal de la mise en scène qui s’attachera à rendre palpable les frayeurs des personnages, à faire naître une tension allant s’amplifiant au fil des scènes, à traduire cette impression d’urgence qui s’empare des protagonistes devant les nouvelles désastreuses qui ne cessent d’éclater, venant battre comme des vagues furieuses le long du port de Naples : retour du père, annonce du mariage, enlèvement réel de Zerbinette, enlèvement inventé de Léandre, arrivée des soudards, accident de Scapin. Tous ces événements démultiplient l’ampleur du danger sur des sentiments exacerbés.

Molière s’amuse à nous faire pénétrer, par le truchement de ses héros, l’univers fantastique des peurs primitives voire enfantines, peur du père, crainte de l’amour retiré, peur des coups ou de la mort, menace de la faute découverte. Mais la tension qui s’empare des esprits électrisés des personnages peut se décharger en une sorte d’immense éclat de rire nerveux jaillissant au bord du gouffre.

Un théâtre virtuel

Une farce, ou une grande pièce comique, développe des péripéties, les événements s’y succèdent, mais ici Molière vide la scène de toute action concrète et immédiate. Rien ne s’y produit, tout y est raconté. L’auteur nous transporte dans l’espace immatériel des terreurs (souvent anticipées). C’est cet espace que le décor tentera de traduire : au fond, la toile peinte d’un ciel d’orage, à cour le débarcadère menant au port, à jardin l’arche conduisant à la ville, deux accès ouverts sur tous les dangers. Théâtre d’ombres fantasmatiques se déroulant sur le pâle écran de la conscience des protagonistes. Jeu de masques où il s’agit presque toujours de feindre : Scapin conseille Léandre et Sylvestre dans l’art de paraître, lui-même mime la mort à la fin.

La seule réalité est celle de la parole. Le verbe est l’unique créateur de l’action. La distance, créée ainsi par rapport au réel, creuse un espace incertain et flottant dans lequel les personnages ont peine à trouver leurs repères et à affirmer leur personnalité. Cette impression de flou et d’éloignement suggérée par la pièce, nous a conduit à une esthétique indienne faite de costumes légers, de voiles flottants et colorés, de maquillages très prononcés pour chacun des personnages.

Un théâtre du mal

Molière, pour écrire une pièce, n’a jamais recouru à un échantillon d’humanité aussi sordide. Ici pas de pères nobles, de jeunes gens altiers et courageux. Tout se passe comme si l’auteur s’était diverti à enfermer ses personnages dans une sorte de huis clos grinçant et drolatique, tels des mouches capturées sous un verre. Aucun d’eux ne trouve grâce aux yeux des spectateurs.

Les personnages

SCAPIN : repris de justice, rangé des affaires (louches) plus par paresse que par repentir, funambule de la parole, grand maître du verbe, mais quelquefois laborieux dans ses affrontements avec les barbons. En avouant avoir volé et battu son maître, le héros a les traits parfois d’un antihéros. Philosophe à ses heures, il dissimule mal au fond de lui-même comme une sorte de fêlure.
OCTAVE : amoureux pusillanime et geignard devant son père, incapable de trouver la moindre solution à ses problèmes dans son esprit immature.
LEANDRE : fils gâté, prétentieux, violent face à son valet mais tremblant devant l’autorité paternelle.
LES JEUNES FILLES : bavardes, elles aussi se laissent porter par les événements, futiles dans leurs discours et transparentes dans leur beauté.
ARGANTE : cupide, gourmand, légèrement sadique, vindicatif, colérique et d’une grande lâcheté devant l’adversité.
GERONTE : personnage plus pâle, sorte de pantin de chiffon, dissimulateur, encombré de son passé et comme le précédant lâche et avare jusqu’à l’extrême.
SYLVESTRE : serviteur sans doute honnête mais très vite affolé et démuni devant les événements.
CARLE : témoin amusé et ironique.

Aucune aspiration véritable ne semble vibrer au cœur de ces personnages, et chacun d’entre eux tremble sous la menace d’un secret révélé. Ils s’agitent au bord de l’échec comme marqués par le poids de l’existence. Ils se retrouvent tous à un moment ou à un autre en face de leurs contradictions, de leurs faiblesses, de la partie la plus noire d’eux-mêmes. La pièce a quelque chose d’une thérapie de choc et certaines scènes (comme celle où Scapin oblige Géronte à verser de l’argent pour sauver son fils) résonnent avec la violence d’un exorcisme de pantomime. C’est dans ces moments de forte intensité que les cœurs et les muscles, alors mis à nu, peuvent faire surgir tout leur ridicule. Et cependant, par une alchimie miraculeuse, Molière, dénonçant toujours mais ne condamnant jamais, parvient à bâtir une des plus formidables machines comiques de l’univers théâtral.

Suivons donc, Scapin dans ce dédale de turpitudes, dans cette comédie féroce où le temps tout à coup s’est accéléré, pour ne déboucher que sur la sentence triomphale et étrangement moderne d’un valet désabusé et ironique " et moi qu’on me porte au bout de la table, en attendant que je meure ".

Laissons-nous entraîner par Molière entre " nul temps et nul part ", afin de voir la jeunesse et la beauté triompher une nouvelle fois de la bêtise sur les chemins du plus haut comique.

Daniel Leduc

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Spectacle terminé depuis le mercredi 24 mai 2000

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