Un vendredi soir du mois de novembre 2010, une salle comble et un public singulier ! Des travailleurs handicapés issus de l'ESAT de Ménilmontant assistent à notre lecture des Ratés dans le cadre d'une simple commande. Un silence accompagne la fin la lecture et puis ce fut une pluie d'applaudissements, de doutes et d’interrogations. Des questions fusent ! Des récits de vie s'immiscent ! Des tristesses et des rires s'étalent au grand jour ! Un rare moment d'émotion avait fait de chacun d'entre nous un membre à part entière d'une même communauté humaine au-delà de nos différences prétendues. C'est cette expérience, fondatrice de la fraternité, qui est à l'origine de la création des Ratés.
« La metteuse en scène a trouvé la juste distance pour exprimer cet univers de laissés-pour-compte, entre fresque à la Zola et fait divers d'aujourd'hui. Le père règne (bravo à Jean-Yves Duparc). » Emmanuelle Bouchez, Télérama Sortir TT, 25 février 2015
« Il s'agir d'une étonnante pièce engagée (...), qui interpelle aussi nos sens à tous les niveaux, qu'ils oient poétiques, frileux, comiques ou douloureux, à traveres des mots, des phrases venues dici et d'ailleurs, parfois en apesanteur (...) À voir absolument ! » Evelyne Tran, blog Le Monde, 7 février 2015
« Le spectacle qu'a concçu Fanny Malterre est splendide. C'est d'une beauté nouvelle, plus violente que la violence. » Gilles Costaz, France Inter (Le masque et la plume), 8 avril 2012
« Une pièce pleine d'émotion, parfois austère et dérangeante, qui emmène le spectateur dans la spirale infernale de la vie de ces " ratés " ! ! » Alexandra Thézan, La Provence, 16 juillet 20
Jef et Jeffy sont des jumeaux nés avec une tête de rat... Dès leur naissance, ils sentent la honte des parents, la peur des amis : on cache leur visage sous des capuches. Ils jouent avec des camarades qui les dépouillent, ils travaillent dans un supermarché qui les disqualifie. Chahutés par l’arrogance de l’autre qui les rejette, Jef et Jeffy sont titulaires de leur statut de remplaçants... de rien : ils restent enfermés « dehors » ! La pièce, toute en témoignage, partagé entre les deux fils et le père, déroule les fils d'une subtile toile d'araignée que l'indifférence du monde a tissée autour de Jef et Jeffy, impuissants à s'en délivrer. Et pourtant on en rit ! On rit de cette tragédie contemporaine.
Une coulée de mots ramène ces vilains petits canards sur les rives du burlesque. D’acrobatie verbale en instabilité syntaxique, Jef et Jeffy trouvent leur équilibre dans un jonglage de mots qui, par soubresauts, dégringolent en jubilation pour le spectateur. Leurs « ratés » de langage rendent toute possibilité de communication illusoire mais bouffonne... La mise en scène s'est donc attachée à filer cette fatalité sociale sans en dévoiler les rouages. Un travail dépouillé s'est imposé avec trois comédiens au plus près du public, assis sur des tabourets, exécutant comme une partition musicale les arias de cette comédie du langage enracinée dans une violence sociale.
Chacun a pour vocation de transporter l'imaginaire du public avec justesse et sobriété dans le monde gris de l'indifférence. Le rôle primordial confié au silence préserve une tension permanente entre le burlesque et le tragique et imprime à la situation insoutenable de ces deux laissés-pour-compte une dimension universelle. Les ratés ne se paient pas de mots la réalité humaine. Natacha de Pontcharra dote Jef et Jeffy d'une puissance de marionnettes agitées par leur destin ; et leurs mots, comme le dit Fabrice Melquiot dans son Avant-propos, " n’hésitent pas à tirer sur le lecteur et le spectateur ; ils tirent à bout portant et l’explosion est silencieuse, et le silence fait mouche. " Prolongements des ratés qui visent le plaisir, l'étude et défient la cécité... Notre spectacle est tout public, à partir de la classe de troisième.
Une immersion au coeur des rouages de la pièce, fondée sur une pratique théâtrale et menée par la metteure en scène ou/et les comédiens, est envisageable sous formes d’ateliers pédagogiques, et surtout avec le concours de l'imagination. Un accompagnement des ratés en audiodescription à destination d'un public de non-voyants est réalisable selon la volonté et la possibilité de chaque lieu.
Fanny Malterre
Jef et Jeffy n'ont plus leurs capuches. Ils sont sur un banc avec Papa. Ils semblent tous trois s'adresser à une caméra, le père a du mal à expliquer, les fils parfois terminent ses phrases, le poussent à continuer. Parfois la conversation se joue entre eux et brusquement revient sur l'extérieur.
JEF : On était faits.
JEFFY : Faits l'un comme l'autre.
JEF : Faits comme des rats.
JEFFY : Tous les deux des têtes de rats.
PAPA : Un accident génétique quoi. On y est pas pour quelque chose. Ça remonte à loin, du côté de Nogent une invasion spontanée de cas de rats dans la lignée des Bordurier époux Duchaussoix.
JEFFY : On a eu les papiers qui en parlent.
PAPA : C'est arrivé par un arrière-arrière-arrière aïeul qui avait une tête, une sacré tête de rat.
JEFFY : Et c'est ressorti chez nous.
PAPA : Et c'est ressorti chez nous franchement. La tête de l'arrière-arrière-grand-père qui leur est revenue à eux. Son frère et lui. Nous rappeler à tous d'où on vient. Les Bordurier- Duchaussoix. De loin.
JEFFY : Du caniveau.
PAPA : Du caniveau.
JEFFY : On s'en sort pas.
PAPA : On peut pas dire qu'on s'en sort.
JEF : On le dit pas d'ailleurs, on sort. Les deux autres le regardent sans comprendre. On nous sort non ?
PAPA : Oui, mais ça bloque ça passe pas Jef comme il faudrait. Deux grosses têtes de rat dans un couffin, ça passe pas pour des gens. A peine sortis on a qu’une envie, de les tuer, les gens, avec leurs airs de se demander là ce qui nous arrive.
JEFFY : Même ma mère en avait les jetons d'en avoir deux.
PAPA : Deux comme ça. Attraper comme ça deux têtes de rat d'un coup, pour ma femme qui en voulait pas du tout on peut le comprendre qu'à deux c'est déjà trop.
JEF : C'est trop bête, un rat, avec même les poils.
Extrait des Ratés, Édition Quartett, 2009
53, rue Notre Dame des Champs 75006 Paris