Résumé
Le temps de la première fois
Première note de mise en scène
Mon chéri, ce n'est pas maman qui a condamné papa à mort…
Le père de Fernando Arrabal a été condamné à mort au début de la guerre
civile espagnole. Une année plus tard sa peine a été commuée en celle de
travaux forcés à perpétuité. Il est passé par diverses prisons et le 4
novembre 1941, il s’est échappé et a disparu… pour toujours. Arrabal vient
d’écrire le monologue d’une mère qui revoit son fils après une vie de
silence et qui tente de le convaincre que ce n’est pas elle qui a dénoncé
son père
En écrivant Lettre d’amour, je revivais le temps de “la première fois”. La pièce faisait de moi son oeuvre, comme dans la pêche le noyau engendre la vie. Lorsque j’ai commencé à la rédiger, j’avais l’impression que des sentinelles minuscules attendaient des messages, postées aux articulations de mes mains et de mes pieds, au bout de mes doigts, de mon sexe, et sur la rétine de mes yeux.
Le souffle du nouveau-né me régénérait : c'était la respiration embryonnaire de qui ne peut s'élever, être heureux, immortel, que par le théâtre. De qui inverse le processus vital pour parvenir à la création. Je me sentais habité par le firmament. J'oubliais même que j'écrivais : j’étais enfermé en moi-même alors que je révélais mon intimité. Lettre d’amour anéantissait mon rapport au temps et à l’espace, comme si elle renfermait le secret de l'éternité.
Ma gorge était nouée par les liens d’amour-haine tissés avec la femme qui m’a donné le jour. Comme si le conflit oedipien et la tragédie de l’Histoire, la condamnation à mort de mon père et le mystère de sa disparition venaient de surgir à l’instant. Parfois, j’étais convaincu que j'avais échoué en tout : je croyais que mon corps abritait des scorpions venimeux, des serpents pervers, des bourdons mouchards qui dénonçaient à ma tête les fautes de mon ventre. Je ne pouvais les expulser qu'en écrivant.
Parfois aussi, maîtrisant mes craintes, je me laissais éblouir par mes infortunes fatales. J'écrivais sous la dictée de ma vie, de mon enfance, de mes rêves, dans l'espoir de les retrouver conformes à mes désirs dans ma mémoire. Avec quelle soudaineté un souvenir m'emportait vers un paradis ou un enfer inconnu, comme si, des ailes fixées sur mon dos, je pouvais m'élever vers le firmament. Je ne souhaite pas voir mon théâtre s’inscrire dans les Registres de l'Immortalité... je désire seulement jouir chaque jour de quelques instants de bonheur. Je conçois Lettre d’amour comme un égarement lucide. Forme et fond, esprit et délire, en tous points semblables, s'unissant pour ne faire qu'un.
J’ai tant rêvé d’écouter cette pièce (le jour de la première mondiale à l’Habimah National Theatre), interprétée par la prodigieuse Orna Porat. L’exil est ma découverte inépuisable. Quelle joie imméritée que Lettre d’amour soit précisément créée en Israël, depuis la révélation qu’a été mon voyage aux sources de l’ineffable.
Fernando Arrabal
Picasso a dit « D’abord je trouve, ensuite je cherche », Merci Picasso. J’ai trouvé. Ensuite j’ai cherché. Parmi les deux cent cinquante et quelque textes écrits par Arrabal- pièces, romans et épîtres, essais, poèmes, livres d’art…- j’avais trouvé la perle rare, l’œuvre dramatique dense, intense, tendre, humaine, gaie, pathétique, poème d’amour et de vie, de grâce et de pureté : Lettre d’amour.
Intemporel, universel, d’une simplicité biblique et d’une puissance d’émotion incandescente, ce monologue d’un poète contemporain reconnu dans le monde entier - mais curieusement oublié dans son pays - est particulier dans l’œuvre d’Arrabal. Il est écrit comme une prière venue du fond de l’être. Il exige du créateur théâtral, humilité et rigueur, passion et générosité, légèreté et justesse, force et attachement à la vérité.
La rencontre avec Françoise Fabian, cette merveilleuse comédienne, discrète et sensible - étoile née de la galaxie des plus belles créations théâtrales et cinématographiques de ces dernières années - apporte à cette réalisation en devenir la lumière magique de l’espérance.
Lettre d’amour - traduite et jouée dans plusieurs pays - triomphe depuis des mois partout où elle est présentée. Sa création en France sera, sans aucun doute, l’un des évènements majeurs de la vie théâtrale d’expression française de la saison 2003-2004. Merci à Jean-Michel Ribes d’accueillir dans la salle Jean Tardieu du Rond-Point, ce chant profond écrit pour la scène pour l’un des plus importants écrivains vivants, du théâtre d’aujourd’hui.
Claude Confortès
2 bis, avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris