Les Amandiers dans la ville
Victor Hugo, Lucrèce
Borgia, deux monstres de théâtre
Extraits tirés de l'oeuvre
de Victor Hugo
Depuis lautomne 1999, Le Théâtre des Amandiers propose aux habitants de Nanterre un nouveau programme de création et de rencontres, Les Amandiers dans la Ville, qui dès son lancement a suscité un enthousiasme et une adhésion remarquables.
Au cur de ce dispositif, la création théâtrale : Les Amandiers dans la Ville, offre aux habitants de Nanterre de sengager personnellement en tant quacteurs dans deux créations produites selon des critères professionnels et programmées dans le cadre de la saison du Théâtre des Amandiers.
Ainsi, depuis décembre 1999, une cinquantaine de personnes participent sous la direction dAnne Torrès aux répétitions qui conduiront à la création de Lucrèce Borgia de Victor Hugo en septembre 2000 dans la salle transformable du théâtre.
Jean-Pierre Vincent avec ce même groupe dacteurs amateurs en partir renouvelé engagera dès lautomne 2000 les répétitions qui conduiront en avril 2001 la création de la pièce de Valère Novarina Le Drame de la vie . Le croisement dénergies entre professionnels et acteurs amateurs est le principe de ces deux créations.
Victor Hugo, Lucrèce Borgia, deux monstres de théâtre
Dans logresse Lucrèce, exécrable empoisonneuse, femme et mère déchirée par lamour, le jeune poète romantique trouve un sujet à la hauteur de son ambition : révolutionner les conventions du théâtre classique, porter un drame en prose à la hauteur de la tragédie. Les Borgia, disait Hugo, sont les Atrides du Moyen Age. Lucrèce Borgia, drame populaire, pièce admirable, cest dipe et Médée et Titus Andronicus. La fatalité intime est aussi politique.
Laction est à Venise, puis à Ferrare. Séparés par un secret, une mère et son fils se cherchent, saiment, sentretuent. Une génération de jeunes gens succombe. Un cadavre flotte sur le Tibre. Au milieu du banquet, des cercueils attendent les convives. Celui qui arrive sans nom et aurait pu les sauver tous meurt à son tour. LItalie titube, le monde se réveille lil vague pour découvrir quil a, au plus noir de la nuit, sacrifié le meilleur de lui-même.
Hugo écrit au cur du tumulte, des déchirements, des bégaiements, des torsions douloureuses de lhistoire. Son sujet, cest le seizième siècle, sa référence, Michel-Ange. Et son regret, que la France de 1832 ne soit capable, en politique comme en art, de produire quun déprimant reflet du tumulte et du sublime de la Renaissance.
Amour et meurtre, fête et poison, fête et boisson. Même le plus innocent sintoxique ici par choix, par goût, par désespoir, en chantant. On vieillit très vite chez Lucrèce Borgia. Mais le poison, Hugo le sait bien, nest quun leurre. Enfant, vieillard, poète de trente ans, Hugo se bat, une fiole à la main, contre cette fulgurance, cette pure angoisse du passage du temps.
Et qui sommes-nous pour affronter ces monstres ? Les Acteurs Amateurs des Amandiers jouent ici pour la première fois après un an de travail, rejoints par la chorale Dix de Chur. Jai demandé au compositeur Fabrice Parmentier décrire pour eux une musique de scène originale.
Anne Torrès
Extraits tirés de l'oeuvre de Victor Hugo
Hélas ! tout est sépulcre. On en sort, on y tombe :
La nuit est la muraille immense de la tombe.
Les astres, dont luit la clarté,
Orion, Sirius, Mars, Jupiter, Mercure,
Sont les cailloux qu'on voit dans la tranchée obscure,
O sombre fosse Eternité !
Une nuit, un esprit me parla dans un rêve,
Et me dit : - Je suis aigle en un ciel où se lève
Un soleil qui t'est inconnu.
Jai voulu soulever un coin du vaste voile ;
Jai voulu voir de près ton ciel et ton étoile ;
Et c'est pourquoi je suis venu ;
Et, quand j'ai traversé les cieux grands et terribles,
Quand j'ai vu le monceau des ténèbres horribles
Et l'abîme énorme où l'il fuit,
Je me suis demandé si cette ombre où l'on souffre
Pourrait jamais combler ce puits, et si ce gouffre
Pourrait contenir cette nuit !
Et, moi, l'aigle lointain, épouvanté, j'arrive ;
Et je crie, et je viens, m'abattre sur ta rive,
Près de toi, songeur sans flambeau.
Connais-tu ces frissons, cette horreur, ce vertige,
Toi, l'autre aigle de l'autre azur ? - Je suis, lui dis-je,
L'autre ver de l'autre tombeau.
In Les Contemplations, au bord de linfini
Au dolmen de la Corbière, juin 1855.
Qu'est-ce que c'est que Lucrèce Borgia ? Prenez la difformité morale la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là où elle ressort le mieux, dans le cur d'une femme, avec toutes les conditions de beauté physique et de grandeur royale qui donne de la saillie au crime ; et maintenant mêlez à toute cette difformité morale un sentiment pur, le plus pur que la femme puisse éprouver, le sentiment maternel ; dans votre monstre, mettez une mère ; et le monstre intéressera, et le monstre fera pleurer, et cette créature qui faisait peur fera pitié, et cette âme difforme deviendra presque aussi belle à vos yeux.
Victor Hugo
février 1833
Lart et lauteur de ce livre na jamais varié dans cette pensée, lart a sa loi quil suit, comme le reste a la sienne. Parce que la terre tremble, est-ce une raison pour quil ne marche pas ? Voyez le seizième siècle. Cest une immense époque pour la société humaine, mais cest une immense époque pour lart. Cest le passage de lunité religieuse et politique à la liberté de conscience et de cité, de lorthodoxie au schisme, de la discipline à lexamen, de la grande synthèse sacerdotale qui a fait le moyen-âge à lanalyse philosophique qui va le dissoudre ; cest tout cela ; et cest aussi le tournant magnifique et éblouissant de perspectives sans nombre, de lart gothique à lart classique. Ce nest partout, sur le sol de la vieille Europe, que guerres religieuses, guerre civiles, guerre pour un dogme, guerres pour un sacrement, guerre pour une idée, de peuple à peuple, de roi à roi, dhomme à homme, que cliquetis dépées toujours tirées et de docteurs toujours irrités, que commotions politiques, que chutes et écroulements des choses anciennes, que bruyant et sonore avènement des nouveautés ; en même temps, ce nest dans lart que chefs-duvre. On convoque la diète de Worms, mais on peint la chapelle Sixtine. Il y a Luther, mais il y a Michel-Ange.
Ce nest donc pas une raison, parce que aujourdhui dautres vieilleries croulent à leur tour autour de nous et remarquons en passant que Luther est dans les vieilleries et que Michel-Ange ny est pas, ce nest pas une raison parce quà leur tour aussi dautres nouveautés surgissent dans ces décombres, pour que lart, cette chose éternelle, ne continue pas de verdoyer et de florir entre la ruine dune société qui nest plus et lébauche dune société qui nest pas encore.
Parce que la tribune aux harangues regorge de Démosthènes, parce que les rostres sont encombrés de Cirérons, parce que nous avons trop de Mirabeaux, ce nest pas une raison pour que nous nayons pas, dans quelque coin obscur, un poète.
Il est donc tout simple, que soit le tumulte de la place publique, que lart persiste, que lart sentête, que lart se reste fidèle à lui-même, tenax prosositi. Car la poésie ne sadresse pas seulement au sujet de telle monarchie, au sénateur de telle oligarchie, au citoyen de telle république, au natif de telle nation ; elle sadresse à lhomme, à lhomme tout entier. A ladolescent, elle parle de lamour ; au père, de la famille ; au vieillard, du passé ; et, quoi quon fasse, quelles que soient les révolutions futures, soit quelles prennent les sociétés caduques aux entrailles, soit quelles leur écorchent seulement lépiderme, à travers tous les changements politiques possibles, il y aura toujours des enfants, des mères, des jeunes filles, des vieillards, des hommes enfin, qui aimeront, qui se réjouiront, qui souffriront. Cest à eux que va la poésie. Les révolutions, ces glorieux changements dâge de lhumanité, les révolutions transforment tout, excepté le cur humain. Le cur humain est comme la terre ; on peut semer, on peut planter, on peut bâtir ce quon veut à sa surface ; mais il nen continuera pas moins à produire ses verdures, des fleurs, ses fruits naturels ; mais jamais pioches ni sondes ne le troubleront à de certaines profondeur ; mais, de même quelle sera toujours la terre, il sera toujours le cur humain ; la baser de lart, comme elle de la nature.
Pour que lart fût détruit, il faudrait donc commencer par détruire le cur humain.
In Les feuilles dautomne
7, av. Pablo Picasso 92000 Nanterre
Voiture : Accès par la RN 13, place de la Boule, puis itinéraire fléché.
Accès par la A 86, direction La Défense, sortie Nanterre Centre, puis itinéraire fléché.
Depuis Paris Porte Maillot, prendre l'avenue Charles-de-Gaulle jusqu'au pont de Neuilly, après le pont, prendre à droite le boulevard circulaire direction Nanterre, suivre Nanterre Centre, puis itinéraire fléché.