Et si Macbeth et sa Lady avaient rencontré Bourguiba puis fréquenté la Tunisie sous le règne finissant de Ben Ali…
Avec Lotfi Achour et ses comparses, la comédienne Anissa Daoud et le musicien Jawhar Basti, tous complices du Tarmac depuis plusieurs années, soudain Shakespeare trouve un étrange écho sous les soleils des printemps arabes. Macbeth et sa Lady sont devenus Ben Ali et sa Leïla, autre couple diabolique enfermé dans sa déraison mais contrairement à ses aînés élisabethains nullement torturé pas le remords.
Selon leur habitude, le trio d’artistes tunisiens, dérangeurs et dérangeants, propose un théâtre musical, un spectacle complet où se mêlent les mots et les notes, les images et les sons, le cinéma et le théâtre, les marionnettes et la vidéo. Une réflexion sur le pouvoir, son exercice, ses enjeux et sa confiscation par ceux qui se sentent investis d’une mission… souveraine.
Exclusif dans mon amour obsessionnel de la création contemporaine, je n’ai jamais mis en scène un texte classique au bout de 25 créations. Mais le seul auteur classique pour lequel je nourrissais secrètement un vrai désir était Shakespeare. J’ai toujours su que si je « trahissais » un jour les auteurs vivants, ça serait pour cet auteur là. Je crois que c’est parce que de tous les auteurs classiques que je connais, Shakespeare est toujours arrivé à m’atteindre par delà les contextes historiques, culturels, sociaux ou politiques de ses pièces. Et malgré la puissance inouïe de son oeuvre, celle ci laisse largement la place à tous les imaginaires pour l’habiter. Et en tant que tunisien, et suite à la proposition de Deborah Show, Macbeth m’a tout de suite paru l’oeuvre à monter, tant je voyais à quel point elle pouvait parler de ce que nous vivions avec le couple Ben Ali et Leila. Monter Macbeth en le transposantdans le contexte tunisien est pour moi l’occasion d’une plongée dans notre vision collective du pouvoir, notamment à travers le travail documentaire que nous ferons, et où nous donnerons la parole au peuple. Parole absente aussi bien dans l’oeuvre que dans le règne du dictateur, mais que nous essayerons de restituer comme une sorte d’acte de justice et d’apaisement. Car le risque que cette parole soit de nouveau confisquée fait partie de nos véritables craintes aujourd’hui.
Monter Shakespeare engendre donc pour moi un double mouvement, celui d’aller vers l’oeuvre et vers l’imaginaire de l’auteur d’une part, et celui d’amener Shakespeare vers le plus profond de l’inconscient arabe contemporain de l’autre.
Et à plusieurs siècles et quelques mers de distance entre ces deux mondes, j’entrevois déjà l’étrangeté saisissante que cela pourrait produire.
Lofti Achour
Bourguiba : Avocat leader de la lutte pour l’indépendance devenu président de 1957 à 1987. Aussi visionnaire et génial homme politique que despote mégalomane. A fait de la Tunisie le premier pays arabe inscrit réellement dans la modernité. Mais n’a jamais su quitter le pouvoir, et il a donc fallu le lui enlever de force.
Ben Ali : Surnommé Maczine par nous même. Général spécialiste du renseignement, c’est lui qui a enlevé le pouvoir de force à Bourguiba. Sans vision ni génie si ça n’est pour la répression et les affaires mafieuses. Son vrai point faible était son amour insensé pour Leïla. il n’a jamais voulu lui non plus quitter le pouvoir. Il a fallu donc là aussi le lui enlever de force. C’est la Révolution du 14 janvier.
Leïla Trabelsi : Femme de Maczine. Moins amoureuse de lui que lui d’elle. On dit qu’elle était coiffeuse. Et alors où est le problème ? Arrivée au pouvoir grâce à ses charmes et sa redoutable intelligence, elle est devenue un vrai parrain mafieux, régnant sur une véritable empire s’étendant de Dubai à Paris, en passant par Buenos Aires.
7 novembre 1987 : date à laquelle Ben Ali a fait son coup d’état et du début de notre malheur national. Nous a valu 23 films documentaires indigesteset des célébrations ruineuses et à mourir d’ennui et de dégoût.
11 septembre 2001 : date dramatique pour les américains mais magique pour Ben Ali, puisque tout le monde occidental lui a donné un chèque en blanc pour réprimer son peuple, sous prétexte de lutte contre le terrorisme islamiste. Le malheur des uns fait toujours le bonheur des autres.
Code du Statut personnel : ensemble de lois décidées par Bourguiba, faisant de l’égalité hommes – femmes un fait historique inimaginable dans le monde arabe. Et même en Europe parfois, puisque les tunisiennes ont voté depuis 1957, trente ans avant certains cantons en Suisse ! Devenu sous Ben Ali un spot publicitaire destiné à l’Union Européenne pour obtenir des subventions.
Chariaa : Ben ceux qui veulent l’appliquer ce sont ceux qui veulent abroger le Code du Statut Personnel. La chariaa est un ensemble de lois ou de coutumes souvent révolutionnaires en leur temps avec l’avènement de l’Islam il y a plus de 1400 ans, mais qui nous semblent un peu décalées dans le monde moderne on va dire. Penchez vous un peu sur la vie en Arabie Saoudite ou le Soudan qui les pratiquent et vous comprendrez ce qu’on veut dire
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