Medea

  • De : Euripide
  • Mise en scène : Deborah Warner
  • Avec : Fiona Shaw, Jonathan Cake, Struan Rodger, Leo Wringer, Shiobhan McCarthy, Jonathan Slinger, Robert Hines, Moya Brady, Emma Dewhurst, Kate Fleetwood, Gillian Hanna, Joyce Henderson, Gabrielle Llyod, Pauline Lynch, Rhonwen Hayes
Spectacle en Anglais. Médée sous le regard d’Albion, ou le chant éternel de la tragédie antique.

Médée ou le chant éternel de la tragédie antique
Résumé de Médée
Quelques extraits presse
Une tragédie antique parfaitement en phase avec le monde d’aujourd’hui

Spectacle en anglais surtitré en français.

Electre, Richard II, Footfalls, The Wasteland ou Hedda Gabler marquent l’un des liens les plus puissants qu’un metteur en scène et son actrice n’ont jamais tissé sur les planches. Dès la fin des années quatre-vingt, Deborah Warner rencontre sa comédienne d’élection et alter ego, sa sœur de scène Fiona Shaw, qui comme elle partage sa carrière entre les planches du Royal National Theatre et de la Royal Shakespeare Company. Plusieurs fois titulaire du « Laurence Olivier Award for best actress » et du « London Critic's Award », la comédienne joue Shakespeare, Ibsen, Laclos, Sophocle. Au cinéma, elle apparaît dans des productions au succès international - The Avengers ou Harry Potter - comme dans des œuvres d'auteurs, tel My left foot. Elle entre évidemment dans l’univers filmé de Deborah Warner, également cinéaste pour The Waste Land, d’après T.S. Eliot ou The Last September, d’après Elizabeth Bowen.

Ensemble, Deborah Warner et Fiona Shaw tentent sans cesse de bousculer l’approche traditionnelle du jeu, de la narration, des personnages et de l’espace scénique. Elles se penchent ici sur la figure suprême d’une jalousie devenue meurtrière, décrite quatre siècles avant J-C par le poète grec Euripide. Médée égorge ses enfants, se vengeant ainsi de l’amour perdu de Jason par le crime paroxystique. Dotée de nombreux prix et récompenses, cette vision ardemment contemporaine de Medée marquait lors de sa création, à Londres, l'un des plus grands événements et succès théâtraux de cette dernière décennie. Pour la BBC News Online, « Shaw est formidable dans le rôle de la femme dont la fureur, à l'égard d'un mari traître, explose comme un volcan devant une audience médusée… Sa réputation d’être l'une des plus grandes actrices de théâtre est bien méritée. » Dans The Independent, Paul Taylor écrit : « La merveilleuse production de Deborah Warner vous donne un sens dévastateur de la psychologie derrière l'héroïne. » Deborah Warner et Fiona Shaw conjuguent ici la force d’une légende universelle et le destin unique d’une femme d’aujourd’hui, passionnée, criminellement libre, mais non coupable.

Cette production a été crée à l’Abbey Theatre de Dublin en juin 2000, présentée au Queens Theatre de Londres du 19 janvier au 14 avril 2001, à la Brooklyn Academy of Music (Harvey Theatre) de New York du 1er au 12 octobre 2002, à Boston du 23 octobre au 3 novembre 2002, et elle est actuellement à Broadway, au Brooks Atkinson Theatre jusqu’au 22 février 2003. 

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Réfugiée à Corinthe avec Jason, son époux pour lequel elle a trahi les siens, Médée est bannie par le roi Créon qui a donné sa fille (la princesse Créüse, ou Glauké selon les versions de la légende ; Euripide ne lui donne pas de nom) à Jason, le héros conquérant de la Toison d’or. Dans une rage folle, Médée ne mange plus, ne veut plus parler à ses enfants, ni à ses serviteurs. A sa demande, Créon consent à lui laisser un jour de répit afin de trouver une destination d’exil pour elle et ses enfants.

En vérité, Médée veut mettre ce délai à profit pour se venger de l’amour et de l’honneur perdus. Elle souhaite avant tout faire mourir Jason, sa nouvelle femme et le roi Créon. Elle confie ses projets à sa seule nourrice. Simulant un ralliement au choix de Jason, elle charge ses enfants de porter à la princesse un magnifique bandeau d’or et des voiles légers, somptueux cadeaux empoisonnés par ses soins. En les revêtant, la jeune épouse royale meurt dans d’atroces souffrances. Le roi Créon, se jetant sur le cadavre de sa fille, subit le même sort.

Médée parvient par ailleurs à faire jurer Egée, le roi d’Athènes, de l’accueillir et de la protéger dans son royaume en n’importe quelle circonstance. Pour parfaire sa vengeance contre Jason, elle décide d’éliminer sa propre descendance et égorge ses propres enfants. Elle s’enfuit alors sur un char ailé en direction d’Athènes. L’infortuné Jason a tout perdu.

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The Guardian, Lyn Gradner, 10 juin 2000

Cette Medea est la faillite de l'amour romantique, la violation de toutes promesses, le chancre au cœur des relations hommes-femmes, ce fossé entre ce que les hommes souhaitent et ce dont les femmes ont besoin. Il n'y a pas d'espoir parce que Médée est tombée dans le panneau du mythe romantique, elle a cru aux promesses, aux chansons. Sa folie est telle qu'en dépit de tout, elle veut que Jason lui revienne. La pièce vue sous cet angle se rétrécit mais s'élargit en même temps. Ce n'est plus l'habituelle tornade de terreur et de pitié, mais une consternante tragédie familiale. C'est la première Médée que j'ai eu envie de prendre dans mes bras et de consoler. 

A la fin, Médée se tient debout derrière Jason au désespoir ; d'une chiquenaude elle lui envoie des gouttelettes, tente d'attirer son attention. Les petits voiliers des enfants morts dansottent encore sur l'eau. Après tout ce qui s'est passé, le désir qu'elle éprouve encore pour Jason est effrayant, comme celui d'un enfant. C'est une vraie folie. Une horreur.

The Stage, Deirdre Green, 15 juin 2000

La traduction de Kenneth McLeish nous rend la pièce contemporaine, mais permet également de faire émerger une sorte d'humour. Médée fait rire les femmes de Corinthe avec ses observations pointues et drôles sur les rapports entre les hommes et les femmes. Deborah Warner et son scénographe Tom Pye situent la pièce dans un espace en béton, aride, fonctionnel, qui permet à la musique (Mel Mercier) et aux couleurs d'exprimer la profondeur de la tragédie.

Médée, jouée avec éclat par Fiona Shaw, surgit après une introduction par la nourrice (Fiona Bell) et tient alors le public en haleine. C'est un personnage émouvant, ses actes sont horribles, mais son désespoir est réel. Vêtue d'une robe de cocktail noire, qu'elle porte telle une armure, elle est l'étrangère, l'intellectuelle, l'ensorceleuse, l'épicentre d'une puissante mise en scène.

The Friday Review in The Independant, Paul Taylor, 2 février 2002

Dans la version d'Euripide, Médée s'enfuit dans un char conduit par un dragon envoyé par son grand-père, le Soleil. Il est évident que Deborah Warner refuse ce dénouement qu'elle tient pour une dérobade, une trahison face à ce que l'on pressent de plus profond et de plus noir dans la pièce. Aucun dieu jamais ne pourra procurer un quelconque engin pour fuir ce monde dévasté, ce champ de mort qu'est la scénographie. Bien au contraire, la pièce se termine sur un horrible suspense.

Médée casse d'un bruit sec les voiles des petits bateaux des enfants qui voguent encore sur l'étang, comme si elle voulait dire qu'il s'agit maintenant d'un statu quo, et, cherchant encore honteusement à attirer l'attention de Jason, elle envoie des gouttelettes vers son mari qui lui tourne le dos. On se rend alors compte en les voyant que cela ressemble à une parodie grotesque de ce que Médée souhaitait. Elle a certes à nouveau Jason pour elle et pour toujours, mais un fol acte de sauvagerie les unit, les scelle désormais tous deux dans une récrimination éternelle. Cela rappelle ces couples d'amants qui, dans l'Inferno de Dante, sont forcés de revivre à jamais l'imperfection de leur relation. L'originalité de la conception de Deborah Warner tient du fait qu'elle laisse supposer que Jason et Médée ne sont pas devenus ces ennemis froids, mortels qu'ils sont généralement dès le début dans la plupart des mises en scène. Bien au contraire elle nous montre un couple qui n'a toujours pas renoncé à s'aimer. Il y a une charge sexuelle évidente dans leurs querelles pleines de hargne. Jusqu'à très tard dans l'interprétation de Warner, on garde un faible espoir que l'infanticide pourra être évité. Le carnage paroxystique explose après une séquence d'une tension intolérable, choquante, en rupture avec la convention grecque qui veut que la violence ait lieu hors scène. Une soirée inoubliable.

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Le bruit s’est répandu dans Corinthe qu’une célébrité est en détresse dans les environs. Et lorsque les groupies avides du sang fumant des vedettes viennent frapper à sa porte, Médée ne les déçoit pas.

La voici, en chair et en os, comme réincarnée dans sa navrante insignifiance par la brillante Fiona Shaw. On reconnaît ses traits embués de tristesse, ses yeux cachés derrière le bouclier conventionnel des lunettes noires, sa tenue disparate, enfilée à la va-vite, baskets, cardigan, petite robe imprimée. Elle pourrait sortir tout droit des pages du National Enquirer, ce fichier voué aux stars assez imprudentes pour s’aventurer hors de chez elles sans maquillage. Et on se pose la question : va-t-elle nous parler ? Va-t-elle nous laisser pénétrer au cœur de ses problèmes vraiment sensationnels ? On parie qu’elle le fera. Après tout, quelle satisfaction peut apporter la vengeance si vous n’avez pas un public qui la diffuse, la magnifie, la transforme en légende ? Sans cette pression, comment saurez-vous qui vous êtes véritablement ? Dans la saisissante production de la Medea d’Euripide de l’Abbey Teatre, la plus spectaculaire des femmes en quête de vengeance enfantée par la tragédie grecque ressuscite à l’aube du 21ème siècle. Et, à vrai dire, c’est un peu effrayant de voir combien cette femme furieusement mal dans sa peau, trouve aisément sa place dans le monde d’aujourd’hui.

Ce que Fiona Shaw et son metteur en scène Deborah Warner (on se souvient de leur collaboration dans The Waste Land d’Eliot) ont accompli ici semble d’une telle évidence que l’on s’étonne que cela n’ait pas été fait plus tôt. Car cette Medea met en parallèle la tragédie grecque originale (avec ses héros et héroïnes hors du commun dialoguant avec les plus communs des mortels, représentés par le chœur) et notre époque où les déprimés, les ruptures, les retrouvailles et les humiliations sont devenus rituels publics. 

Bien sûr, si c’était le seul argument fort de cette Medea, elle ne serait pas devenue le spectacle incontournable de cette saison théâtrale. Ce n’est pas une de ces mises en scène où les personnages sont réduits au rang de simple illustration d’un concept astucieux.

Le miracle de cette Medea tient à sa façon d’intégrer son idée d’une culture moderne de la célébrité au sein d’un texte classique (nouvellement retraduit par Kenneth McLeich et Frédéric Raphael) sans qu’on puisse la soupçonner d’en pervertir l’esprit. Le parfum inquiétant qui baigne cette production est un composé des passions, terreurs et ambivalences existentielles qui harcèlent les humains depuis que le monde est monde.

La Médée de Fiona Shaw a peu à voir avec l’habituelle sorcière pompeusement courroucée qui n’a qu’une idée en tête : prendre sa revanche sur son mari Jason pour lequel elle a trahi sa patrie et qui vient de la quitter pour la jeune princesse de Corinthe. Il ne reste plus grand chose de l’intelligence glaciale et dominatrice qu’incarnait si élégamment Diana Rigg dans la mise en scène de Jonathan Kent - une Medea pré- féministe, représentée à Broadway en 1994. 

Ce n’est pas que l’on doute de l’intelligence de la Médée de Fiona Shaw. Mais ses malheurs déchirants ont brisé les circuits de cette intelligence et ses réponses ne sont plus qu’un bredouillage toxique.

Comme si ses nerfs recouvraient sa peau. Torpeur et douleur insupportable, colère aiguë et humour caustique, fantasque, parcourent tour à tour son visage écorché vif.

Le décor unique (signé Tom Pye) - une cour en construction où traînent des jouets d’enfants, des parpaings - suggère une vie interrompue et tout le spectacle semble se dérouler sur ce mode exacerbé, désorientant, qui préside à l’urgence. La respiration haletante qui nous saisit dès le début ne nous quittera pratiquement plus. Et, si terrifiant soit-il, le spectacle rayonne d’une telle énergie théâtrale, d’une telle clairvoyance qu’on ne peut s’empêcher d’arborer un large sourire pendant presque toute la représentation.

La première image est celle de la nourrice de Médée (Siobhan McCarthy), présentée ici comme une étudiante au pair. Elle arrive en courant sur la scène les mains pleines de couteaux. Elle transporte également, on s’en aperçoit peu après, des boîtes de pilules. Et entreprend de cacher ces objets courants de la maison devenus soudain menaçants dans le contexte.

Cette séquence est brillante par son caractère d’urgence, sa banalité. Elle traduit la terreur abstraite en termes physiques explicites et familiers. On ne peut s’empêcher de se sentir un visiteur qui débarque au mauvais moment. Bien sûr, on continue à regarder. Et si on ne le fait pas, cinq femmes de la ville constituant le chœur sortent des rangs du public et grimpent sur la scène comme pour jouer en votre nom.

Elles ont l’allure fébrile de ces fans dopés à la télé-réalité. Comme ces gens qui se sont précipités sur le site du meurtrier de Nicole Simpson et on suivi en ligne le procès de Michael C. Skakel. Leur implacable discours à Médée, mélange diffus de compassion et de luxure, semble parfaitement naturel. Plus étonnant encore, l’empressement avec lequel Médée accepte de leur répondre.

D’un autre côté, quel autre interlocuteur lui reste-t-il encore, à elle, la célèbre exilée, désormais rejetée même par l’époux qui l’a amenée ici ? En outre, comme le dira méchamment Jason (Jonathan Cake) un peu plus tard, Médée et lui sont devenus des personnages qui « préfèreraient qu’on les chante plutôt que de chanter eux-même »

Cette production met l’accent sur la notoriété, la gloire, leurs conséquences. On peut voir que Jason et, aussi à sa façon plus embrouillée, Médée, sont très enjoués à faire circuler les versions respectives de leur vie commune. Médée sait pertinemment qu’elle joue pour une foule et, au-delà pour l’histoire. Elle accepte comme un dû les applaudissements dont le chœur la gratifie après qu’elle a imploré avec succès Créon (Stuart Rodger), le roi de Crète, de reporter son exil.

Si la Médée de Fiona Shaw vous paraît une douce siphonnée, c’est que je vous la présente mal. Ce qu’il y a de fascinant et de proprement effrayant dans son jeu, c’est sa puissance à suggérer un cerveau qui est tout sauf clair. Cette Médée est un instrument de musique beaucoup trop sensible avec lequel jouent des forces écrasantes venues tout autant de l’extérieur que de l’intérieur.

Entre autres, le désir sexuel, brutal. Le Jason de Jonathan Cake, plein de superbe, imbu de lui-même, n’a certes pas la candeur de sa femme. Mais il sait parfaitement où toucher Médée pour la faire fondre. Leurs disputes les plus rancunières sont ponctuées d’éclats sexuels pervers qui menacent de réduire Médée à la soumission. Alors le charme est rompu et elle en ressort d’autant plus désemparée et furieuse.

L’apogée monstrueux de la pièce (interprété ici sans ménagements), l’assassinat des enfants, ne semble pas couru d’avance. Fiona Shaw et Deborah Warner ont élaboré une Médée qui n’est pas elle-même sûre de ses actes d’une minute à l’autre. Il y a des moments - lorsque Médée plastronne sur ses diaboliques projets de vengeance - où l’on pense : « Oh, elle joue la comédie » ou, pour utiliser le jargon psy, « elle fait de l’acting-out »

Car cette Médée a l’esprit combinard qui, même dans les souffrances les plus noires, ne cesse de faire bouger les perspectives. Soudain, sans crier gare, elle va par exemple saisir un revolver d’enfant et simuler un meurtre en arborant un sourire béat. Elle nous fait sourire lorsqu’elle se moque de son mari et de sa future épouse, trouvant l’idée de leur couple tellement indicible qu’elle en est réduite à s’exprimer par des onomatopées. Qui suggèrent aussi que cette femme normalement douée pour la parole ne trouve plus désormais de mots adéquats.

Lorsque, vers la fin de la pièce, un messager (Derek Hutchinson) vient raconter les morts cruelles de Créon et de sa fille, le visage de Fiona Shaw devient pâle comme la mort, se fige, laisse percer des lueurs de satisfaction autant que d’incompréhension quant à la réalisation de ses plans.

Fiona Shaw et Deborah Warner ont créé la plus humaine des Médée jamais vue parce qu’elles ont justement refusé de la simplifier. Les actes de Médée peuvent bien être monstrueux, la femme qui les joue est un écheveau d’impulsions confuses, d’énergies contrariées qui la rendent inclassable. C’est ce brouillage, ce flou qui la rend aussi vivante, obsédante, et qui nous permet de nous identifier à elle aussi aisément.

4 octobre 2002, New York Time, Ben Brantley

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Spectacle terminé depuis le dimanche 30 mars 2003

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