Monsieur chasse ! c’est le vaudeville des vaudevilles.
C’est celui dont le succès a sorti Feydeau de ses difficultés en 1892 et lui a ouvert les larges trottoirs du Boulevard.
On y retrouve ce déchaînement de situations impossibles qui mélangent mari, femme, maîtresse, amant, voisins… et qui vaudront à Feydeau, jamais égalé dans cet exercice, les qualifications « d’ingénieur du rire » et « d’horloger de génie ».
Avec Monsieur Chasse !, Feydeau est au comble de sa rigueur : « Je garde le sérieux et le sang-froid du chimiste qui dose un médicament. J'introduis dans ma pilule un gramme d’imbroglio, un gramme de libertinage, un gramme d’observation ».
La mise en scène sera, comme il se doit, enlevée, tournoyante, colorée, rapide, infernale, affolée, délirante, surprenante, musicale, décalée… enfin tout ce qu’on veut, pourvu que le spectateur (et l’acteur) ressorte de là essoufflé, et souriant.
Le décor sera réduit à l’essentiel : des portes (beaucoup) et un lit (grand et confortable). De la musique, bien sûr et puis des costumes et plein d’autres choses encore.
Comment Feydeau fait-il pour demeurer à ce point le chantre de nos folies ? Des centaines de mises en scène plus tard, toutes ses pièces régulièrement montées, dont on peut dire maintenant qu’elles sont d’un autre siècle, continuent à remplir à ce point nos théâtres et à nous amuser ?
Point de grande poésie chez Feydeau, pas plus que d’envolée lyrique, d’homérique pensée ou de romantique tirade. Non. Rien de cela. Pas plus de référence culturelle, ni de page d’histoire.
Et pourtant, malgré cela (ou plutôt malgré l’absence de tout cela), Feydeau continu de nous divertir inlassablement !
C’est que Feydeau touche à la seule question, qui depuis la nuit des temps nous taraude inlassablement : la sexualité. Comment notre sexualité est passée du libertinage joyeusement subversif du 18ème siècle à cet écartèlement entre désirs et ordre moral du 19ème, pour aboutir à la marchandisation consensuelle et consommatrice de notre époque ? Serai-ce qu’à travers toutes ces tentatives, de « réguler » la sexualité les rapports hommes / femmes aient si peu changés ?
Il nous faut replacer Feydeau dans son contexte, à la charnière du 19ème et du 20ème siècle : La Belle Epoque s’avance, pleine de promesses, celles des Temps Modernes et de l’industrialisation. L’homme devient consommateur, il a le choix, (la première publicité filmée date de 1898, pour la société Ripolin), et qui dit choix, dit début de la suprématie des désirs. Quelques années auparavant Guizot a exhorté les Français de son célèbre « Enrichissez-vous » et Offenbach leur a fait chanter « Je veux m’en fourrer, fourrer, jusque-là ! ».
Les personnages de Feydeau, à l’instar de leur époque sont donc pris en tenaille entre leurs désirs qu'ils estiment légitimes (les trois essais sur la sexualité de Freud datent de 1905) et leur volonté hypocrite (nécessaire ?) de respectabilité sociale. Cette situation schizophrénique les fait sombrer inexorablement dans le mensonge, lequel se retourne tout aussi inexorablement contre eux. Car si la morale est toujours sauve (le menteur est démasqué) et si les personnages s'en sortent (bon gré, et surtout mal gré), c’est parce qu'au dernier moment, il y a une porte pour les cacher. Leur désir ainsi cloué au pilori (ou plutôt coincé dans le placard), ils peuvent s’en revenir dans le salon, déguster un Bitter bien amère.
Rions donc de bon cœur, parce que c’est drôle, mécanique et intelligent. Rions aussi parce que c’est une catharsis.
« Le deuxième acte est d’une écriture si brillante que toute l’équipe est embarquée dans une mécanique comique délirante et irrésistible. Quand la machine s’emballe, le spectacle vaut d’être vu. » Sylviane Bernard-Gresh, Télérama Sortir, le 26 juin 2013
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