Mettez un jeune couple sexy dans un train, entre Munich et Athènes. Interdisez à ce train les arrêts réels, autrement que par éjection. Introduisez un contrôleur de train macédonien névropathe et également sexy. Que croyez-vous qu’il arrivera ?
Par la Cie Théâtre du Voir.
Cette pièce promet une traversée ferroviaire du nord au sud, de l’occidentale et froide Munich à l’orientale et chaude Athènes, sur la voie de… l’amour. Au gré de cartes postales dignes d’une Carte du Tendre dégénérée, nous parcourons les chemins de l’incommunicabilité des êtres, de l’altérité, de la perte de soi dans l’autre, par l’autre, pour l’autre, en dépit de soi, pour soi. Le tout à travers les ondes de choc du langage, tropismes et autres silences, autant de vexations du coeur et de l’âme. Espérons ne pas sortir indemnes de ce parcours métaphorique dans les méandres incertains du graal humanoïde : Amour. Oui, pourvu que nous en sortions ravagés, rincés même. Pourvu qu’existe encore un espace de vrai danger, un espace entre le couple kleenex et le couple lancé sur des rails.
Amour siège à l’Orient, c’est sûr ; car c’est vers l’Orient que se tournent les visages en quête de l’autre, celui qui se nomme Absolu. Comme aux chevets des églises gothiques, l’Orient nimbe nos entrailles de la lumière du soleil se levant sur une humanité amoureuse, qui sort enfin de l’anthracite : Amour ou le Monsieur Propre de la boue primitive, boue des anthropoïdes, boue des Marie-Madeleine, boue des glaires de la naissance. Pour qu’enfin nettoyés, voire décapés par Amour, nous puissions lever nos regards bleu javel au ciel, et dire avec Aragon : je sais pourquoi je suis né, je suis né pour t’aimer.
Le grand amour est mortifère, c’est sûr. C’est l’Amérique puritaine qui le dit. Lars Norén sait que tout engin de chemin de fer se nomme désir. Oui, le fumet noir et nauséabond qui sort de la cheminée d’acier vole vers les étoiles du désir primordial. Comme à Hollywood, nous aurons notre compte d’allusions judéo-chrétiennes à l’amour rédempteur, de sexe, de violence, d’effroi, de mystère, d’espions et d’espionnes venus de l’Est. C’est que le cocktail amour + train entraîne avec lui son imagerie sulfureuse, et l’on regrette presque l’absence du tunnel hitchcockien et de son trou noir freudien, où le train de La mort aux trousses s’engouffre au moment fatidique, quand Eva Marie-Saint tombe de sa couchette dans les bras de Cary Grant… De Shanghaï Express et Marlene Dietrich aux couples en transit d’Ingmar Bergman…
L’imagerie serait incomplète, enfin, sans le train d’Anna Karénine, où naît l’amour, puis où les sentiments extrêmes sont purifiés dans le sang de l’héroïne, broyée par les roues d’acier, où elle se jette. Tolstoï : "[…] une masse énorme inflexible, la frappa à la tête et l’entraîna par le dos […] Et la lumière qui pour l’infortunée avait éclairé le livre de la vie, avec ses tourments, ses trahisons et ses douleurs, brilla soudain d’un plus vif éclat, illumina les pages demeurées jusqu’alors dans l’ombre, puis crépita, vacilla, et s’éteignit pour toujours". Ainsi mourut Anna Karenina et avec elle l’amour.
L’amour, meilleure parade à l’absurde trouvée par l’homme, est mort sous les roues d’un train. Que cela ne nous empêche pas de le chercher. Après tout, croire au Père Noël est bon, l’assassiner est encore meilleur.
Christine Farenc, 24 juillet 2005
La compagnie Théâtre du Voir est fondée en 2004 par son metteur en scène Christine Farenc, qui en assure la direction artistique, et son administrateur Xavier Rémi, également producteur des spectacles. Ses membres, âgés de 19 à 45 ans, se sont rencontrés pour la plupart au cours de leurs études en art dramatique au Cours Florent, mais aussi à l’occasion de projets théâtraux. Ils ont complété leur formation au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris, aux Ateliers du Théâtre National de Chaillot, au Drama Center de Londres, chez Jacques Lecoq ou encore en Classe Libre de l’Ecole Florent. Beaucoup suivent également un cursus en Etudes Théâtrales à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris III.
Cette troupe se distingue par la diversité d’origine de ses membres. Français de toutes régions : Ile de
France, Rhône-Alpes, Provence, Corse, Réunion, Martinique, Bretagne, Midi-Pyrénées… de toute origine : portugaise, serbe, kabyle, flamande…et des internationaux : américain, allemand, belge, britannique, lithuanien, italien, composent cette équipe réunie autour d’un théâtre commun.
Il s’agit d’un théâtre où la parole est traitée sous l’angle de la partition musicale, théâtre d’énergie, de rythmes, d’engagement corporel sur des textes charnels, épiques et oniriques. Un théâtre de sens, engagé. Un théâtre des sens. Ce théâtre s’adresse avant tout aux boyaux, en écho à l’héroïne de Daniel Danis qui déclare « éteins l’interrupteur de ton cerveau, et tu vas redonner au reste de ton corps le contrôle de la vie »…
8, rue de Nesle 75006 Paris