Un opéra forain
La cité du Dragon
Un coin d'utopie
Une tour de Babel, méthode de travail
la Compagnie Carcara
Un livret pour l’Opéra " Lanzelot " de Paul Dessau. D’après " Le Dragon " de Evgueni Schwarz. Collaboration à l’écriture de Ginka Tscholakowa.
Ce livret est une oeuvre autonome, un objet littéraire qui est tout à la fois un livret d’Opéra et/ou une pièce de théâtre.
Pour Heiner Müller la mise en regard Opéra et Théâtre n’est pas fortuite : la (re)naissance de l’Opéra est en partie liée à une crise que traverse le théâtre, un théâtre qui aurait épuisé son inscription dans le temps - L’Opéra, une forme qui oblige le théâtre à se redéfinir en réintroduisant la musique dans son écriture - la musique en temps que forme plus porteuse d’utopies que ne l’est la seule parole.
Dans son dernier travail, le metteur en scène Heiner Müller a su faire de Arturo Ui de Bertolt Brecht, une " opérette " , qui conjuguait le texte de Brecht avec " le Roi des Aulnes " de Goethe/Schubert, la chansonnette américaine, le grand air wagnérien - on sait que chez Brecht la musique est constitutive du théâtre : à tout prendre, c’est aussi le cas pour Müller.
Produire " Opéra du Dragon " aujourd’hui à partir de musiques nouvelles
(compositions Le Karak de Donf : Bertrand Binet, Vincent Granger, Pascal Lloret, Daniel Malavergne, orchestre de la compagnie Carcara, artistes associés) pourrait conduire à de nouvelles questions sur l’objet théâtre et sur le lieu qui est le sien dans le monde qui est le nôtre.
Maurice Taszman
Traducteur
Les dictatures ont encore de beaux jours. Le libéralisme, la libre entreprise, la loi du marché, les cours de la bourse, les maîtres du monde, autant de mots qui désignent les nouveaux dragons. Les inégalités sociales augmentent. Il y a encore et toujours de nouvelles guerres. Les nationalismes, les fanatismes de tout bord s'installent dans la légalité des élections.
Opéra du Dragon
Né dans le chaos des débuts de l'humanité, le dragon se présente comme fils de la guerre. Il a sauvé la cité du choléra au temps de la préhistoire et le sang est son élément. Les siècles passent. Dans une cité moderne, le dragon tient sa place et demande toujours une victime : une jeune fille vierge et pleine d'innocence et de beauté. Elsa, fille de Charlemagne le grand archiviste, est désignée et prête pour le sacrifice. Elle se mariera avec le dragon et ensuite mourra pour maintenir la paix encore une année. Ainsi est la loi. Dans cette cité, il se dit que seul le bien commun compte et non l'individu. Lancelot, frère d'Héraklès, arrive dans la ville. Il décide de combattre le dragon et de sauver Elsa. L'amour entre la victime (Elsa) et le héros (Lancelot) consolide les résolutions et fait naître les révoltes. Les habitants de la ville, eux, hésitent. La peur domine leurs actes. Mais dans les sous-sols les ouvriers, clandestinement, préparent les armes qui permettront à Lancelot de vaincre le dragon. Des cendres du vieux dragon naîtra le suivant et ainsi va l'histoire. Revenu une deuxième fois pour sauver la ville et Elsa, Lancelot affirme qu'il est fatigué d'être un héros et demande aux habitants de la ville de se libérer eux-mêmes.
La compagnie Carcara souhaite par son engagement artistique participer elle aussi aux discussions. Depuis des années elle mène ses créations et ses ateliers auprès de publics qui ne vont pas au théâtre. Toujours en mouvement elle cherche par la pratique la confrontation de l’art et du social. Opéra du Dragon se situe au coeur même de ses préoccupations. Ce conte du passé revisité par un poète du XXe siècle s’inscrit aussi bien par la forme (opéra) que par le fond (une réflexion sur le comportement citoyen) dans une démarche en recherche permanente de ce que peut être aujourd’hui un théâtre contemporain ouvert à tous.
A partir des derniers mots de Opéra du Dragon " Libérez-vous vous-mêmes et le reste est joie - joie, le reste " je propose aux artistes associés de la compagnie Carcara comme départ à la mise en scène de former un choeur composé d'un orchestre-compositeur (Le Karak de Donf), d'une plasticienne vidéaste, d'un jongleur-danseur, d'acteurs-chanteurs. En tout premier, Le Karak de Donf crée de la musique : airs, chants, rythmes, timbres, improvisations et, plus tard, les orchestrations. Le piano, le bugle, le cornet, les guitares, l'oud, le balafon, l'hélicon, le tuba, la clarinette, la batterie et diverses percussions composent la palette sonore. La recherche ensemble commence dans l'attention de l'écriture et le souci de la clarté de la fable. Là, émerge une tour de Babel où chacun crie dans sa propre langue : " O difficulté ! " . Le désir profond d'en finir avec l'individualisme nous pousse à accepter le mauvais en prévision des jours meilleurs. Nos orgueils, nos certitudes, nos savoir-faire en prennent un vieux coup. Il faut être patient pour construire un choeur dont tous les artistes qui le composent sont des créateurs. Il faut être attentif pour construire un spectacle avec la langue d'Heiner Müller. Etre seul avec les autres. Nos répétitions sont ouvertes aux habitants de la ville. Ils sont solidaires et attentifs. Ils nous aident à faire exister ce choeur. Sous nos yeux, la ville nous regarde. Sur scène le choeur habite une ville musicale. De la musique, de la musique. Nous chantons. Nous chantons tous, à l'unisson, ou séparés, contre-chant ou voix parlée. La précision et la légèreté gagnent du terrain. Le clown apparaît. Nous découvrons le grotesque, la fantaisie de la danse folklorique ou savante, la tendresse du jonglage, art de la rue, art du partage, et la couleur apparaît dans la vidéo, malgré les machines. Nous introduisons à l'intérieur de la construction, à présent cohérente, une conteuse pour sourds. Elle a 20 ans. Elle signe l'histoire de l'histoire. Elle nous parle en silence. Une nouvelle porte s'ouvre.
Hélène Ninérola, février 2000
Equipe de création : Bertrand Binet, Nicolas Fleury, Vincent Granger, Pascal Lloret, Pierre Louis-Calixte, Nadège Mestre-Munier, Hélène Ninérola
1985 Création de la Compagnie Carcara à l'initiative de Hélène Ninérola, Bertrand Binet et Pierre-Yves Lohier
1986 La presque-innomée d’après J.M Coetzee, réalisation Bertrand Binet, Pierre-Yves Lohier, Hélène Ninérola (Prix spécial du Jury, Rencontres Charles Dullin 86)
1988 Foe d’après J. M Coetzee, jeu et mise en scène Hélène Ninérola, musique Bertrand Binet
1989 Le dieu Bonheur d’Heiner Müller, Collectif de création Xtet pour le Off 90, à l’initiative d’Hélène Ninérola. Dissident, il va sans dire de Michel Vinaver, mise en scène Hélène Ninérola, musique Bertrand Binet
1991 Vie et mort du roi Jean de William Shakespeare, mise en scène Hélène Ninérola, musique Bertrand Binet et Jean-François Lauriol
1992 Off limits d’après Arthur Adamov, à l’initiative d’Elizabeth Marie du Scarface Ensemble et de Francis Schaller de l’AMC. Cette création a été réalisée sous la direction d’Hélène Ninérola avec 18 jeunes mulhousiens en remobilisation
1993 Boucherie de nuit de Jean-Paul Wenzel, mise en scène Hélène Ninérola
1995 Berlin, fin du monde de Lothar Trolle, mise en scène Hélène Ninérola, musique Bertrand Binet
1996 Un riche, trois pauvres de Louis Calaferte, mise en scène Hélène Ninérola, musique Bertrand Binet, Pascal Lloret
Depuis sa création en 1985, la Compagnie travaille avec le théâtre et la musique dans tous ses spectacles. En 1996, l'orchestre de Carcara voit le jour. Répertoire Contemporain de la Compagnie s'enrichit de concerts : Le Karak de Donf Duo Binet-Lloret
211, avenue Jean Jaurès 75019 Paris