L'orchestre philarmonique de Rotterdam, dirigé par l'incroyable Yannick Nézet-Séguin, et accompagné de la mezzo-soprano Christianne Stotijn, joue des airs de Smetana, Chausso et Dvořák.
Dirigé par Yannick Nézet-Séguin.
Bedřich Smetana (1824-1884)
La Moldau, extrait de Ma Patrie, cycle de six
poèmes symphoniques
1. Naissance de la Moldau
2. Chasse dans la forêt
3. La noce campagnarde
4. Clair de lune – Jeux de nymphes
5. Les rapides de Saint-Jean
6. La Moldau élargit son cours
7. La Moldau se jette dans l’Elbe
Ernest Chausson (1855-1899)
Poème de l’amour et de la mer, pour voix et
orchestre op. 19
1. La Fleur des eaux
2. Le Temps des lilas (interlude)
3. La Mort de l’amour
Antonín Dvořák (1841-1904)
Symphonie n° 9 en mi mineur op. 95
« Du nouveau monde »
1. Adagio – Allegro molto
2. Largo
3. Scherzo : Molto vivace
4. Allegro con fuoco
Longtemps, La Moldau (en tcheque Vltava ) de Smetana a ete la providence des professeurs de musique, assures de faire saisir a leurs élèves comment l’évolution du morceau suit le même cours que celui d’un ruisseau (arabesques des flûtes puis des clarinettes ponctuees de pizzicati cristallins) grossissant jusqu’a devenir rivière quand la masse des cordes entonne la mélodie principale. Une mélodie qui a fait une telle carriere dans la publicité que chacun l’a en tête, et dont le motif principal, parent d’une chanson moldave (Hatikva), est devenue, en 1948, l’hymne national d’Israel. Des sonneries de cuivres suggèrent que la rivière traverse les forêts de Boheme ou l’on chasse, puis les plaines ou l’on danse jusqu’a la tombée de la nuit. Les flots semblent alors s’endormir sous la clarte de la lune : lentes tenues des violons dans l’aigu loin au-dessus du murmure des flûtes. Le lever du jour voit le retour de la mélodie principale illuminée par les tintements du triangle. S’élargissant toujours, la rivière atteint Prague, puissante cité dont les cuivres et les cymbales soulignent l’éclat. Les formules de cadence, répétées a satiété, devaient donner le signal des applaudissements, mais l’histoire n’est pas finie : la Moldau va de se perdre dans l’Elbe.
La Moldau n’est que le second des six poèmes symphoniques qui forment le cycle Ma Patrie (Ma Vlast) composé entre 1874 et 1879 a une époque particulièrement douloureuse et feconde de la vie du compositeur tcheque. Evince de la direction de l’Opera, alors qu’il sent les premieres atteintes de la surdité et que ses détracteurs lui reprochent son wagnerisme, il puise son inspiration dans l’évocation du passé glorieux, celui qu’a vu le rocher de Vysehrad ≪ embrassant – selon sa propre expression – l’essence des Tchèques et de leur terre ≫, puis de la Vltava qui irrigue la nation. Ernest Chausson fut l’ami et parfois le mécène de Claude Debussy, son cadet de cinq ans. Une commune admiration pour Wagner, pour Maeterlinck et les poetes symbolistes, l’horreur du banal ou du convenu, une même curiosité a l’égard des modes anciens ou exotiques, suffisaient a reunir deux personnalités pourtant tres différentes car, a la différence de Debussy, Chausson resta marqué par l’austère idéal de Cesar Franck (sa Symphonie en garde l’empreinte) et, dans son opéra Le Roi Arthus, ne chercha pas a s’affranchir du modèle wagnerien.
Si le Poème de l’amour et de la mer nous semble plutôt appartenir a l’univers debussyste, c’est par une erreur de perspective a un siècle de distance. Car, c’est au contraire, la création de ce triptyque (a la Société nationale de Musique le 8 avril 1893), en même temps que celle de La Damoiselle élue, qui permit aux deux compositeurs de se découvrir des affinités insoupconnées. Fruit d’une gestation particulièrement longue (pres de 10 ans), l’oeuvre est donc composee de deux parties, La Fleur des eaux puis La Mort de l’amour, séparée par un interlude orchestral, Le Temps des lilas. En 1882, un an apres avoir quitte la classe de Massenet au Conservatoire, Chausson entreprend de mettre en musique trois poèmes de son ami Maurice Bouchor qui formeront La Fleur des eaux. Quatre ans plus tard, il choisit Le Temps des lilas, qui deviendra la conclusion de La Mort de l’amour, complète par la suite. Quand Chausson décida de donner a l’oeuvre son visage définitif, Le Temps des lilas, sans paroles, lui fournit la matière de l’Interlude symphonique entre les deux parties. Ce qui a pu séduire Chausson dans la poèsie de Bouchor, ce sont les retours nostalgiques de mots ou de phrases, comme des themes : peu d’éléments, mais omniprésents. C’est le principe de la composition cyclique franckiste chère a son mentor Vincent d’Indy.
Les mots-clefs découlent les uns des autres par la consonance (l’amour, la mer, la mort) ou par le sens – c’est l’aspect symbolique – : les yeux, le ciel, le soleil ou le temps, le vent, les flots. Insondable mélancolie, langage du désespoir ou chaque modulation entraîne l’auditeur un peu plus au fond de la douleur, cette musique si sincère fait un echo paradoxal a l’existence affectivement comblée de Chausson. Alors qu’on commence seulement, depuis quelques décennies, a prendre conscience, en France, de la richesse et de la variété de l’ensemble de l’oeuvre de Dvořak, sa dernière symphonie fait partie de ces partitions dont il est convenu de dire qu’elles ne sont plus a découvrir ; elle n’en conserve pas moins sa part de mystère. D’abord son titre, ajoute au moment d’envoyer la partition a Anton Seidl (qui dirigea la création au Carnegie Hall de New York le 15 decembre 1893), est plus ambigu en français qu’en tchèque ou en anglais : il faut le comprendre, d’après le compositeur, dans le sens de ≪ Impressions et bons souvenirs du Nouveau Monde ≫. On peut imaginer que Dvořak, appele a diriger le Conservatoire de New York de 1892 a 1895, envoyait ainsi de ses nouvelles a ses amis de l’Ancien Monde. Ambiguité aussi, quant aux sources musicales : ≪ J’ai tout simplement ecrit des thèmes a moi, leur donnant les particularités de la musique des Noirs et des Peaux-Rouges et, me servant de ces thèmes comme du sujet, je les ai développés au moyen de toutes les ressources du rythme, de l’harmonie, du contrepoint et des couleurs de l’orchestre moderne ≫.
Cette declaration du compositeur n’empêcha pas ses compatriotes d’y découvrir des emprunts au folklore tchèque et les Americains d’y reconnaître la melodie d’un spiritual : Swing Low, Sweet Chariot (troisieme thème du premier mouvement). Il est mieux établi, en revanche, que la chanson Going Home, devenue populaire aux Etats-Unis depuis que William Arms Fischer y a mis des paroles en 1922, trouve sa source dans le Largo de la symphonie (et non l’inverse) dont la mélodie chantée par le cor anglais semble calquée sur une de ces ballades irlandaises pentatoniques colportées par les immigrants. Enfin, il est sûr que la lecture des poètes americains, surtout du Chant de Hiawatha de Longfellow – dont la directrice du Conservatoire de New York lui avait suggéré de tirer un opéra – a inspiré a Dvořak les deux mouvements centraux de sa symphonie : le Largo, avec son inoubliable solo, serait ≪ Une scène de funérailles dans la forêt ≫ et le Scherzo ≪ Une fête dans la forêt avec danses de Peaux-Rouges ≫.
L’une des particularités les plus saillantes de l’oeuvre est la resurgence du thème du premier mouvement, confie au cor, le rappel d’autres motifs du premier mouvement dans le Largo et, surtout, la recapitulation des thèmes principaux dans le final. Le modèle pourrait en etre Harold en Italie de Berlioz, partition teintee de la meme melancolie, du meme mal du pays. On associe volontiers Dvořak a Brahms, a cause du soutien que le second apporta a son cadet, mais l’influence de Berlioz et de Wagner sur le compositeur tcheque doit etre soulignée : dans son article sur Schubert, ils étaient, avec Chopin, les deux seuls grands musiciens exemptes du défaut d’avoir trop écrit…
Gérard Condé
L’Orchestre Philharmonique de Rotterdam a été fondé en 1918. Des les années 1930, Eduard Flipse prend en main la destinée de l’orchestre et le transforme en une phalange symphonique de haut niveau. Avec Jean Fournet et Edo de Waart, nomme en 1973, la formation acquiert sa veritable dimension internationale, puis Valery Gergiev, a partir de 1995, le fait entrer dans un nouvel age d’or. Yannick Nezet-Seguin lui succède en 2008. Cette saison, Jiři Bělohlavek rejoint la formation en tant que Principal Chef Invite. Depuis ses débuts, l’orchestre s’attache a faire partager la musique au plus grand nombre (souscriptions, concerts educatifs). Son répertoire comprend les grandes oeuvres symphoniques, mais s’aventure au-delà du classique. L’opéra occupe également une place particuliere, puisque la formation a participé a de très nombreuses productions, dont les plus marquantes sont Life with an Idiot de Schnittke (création mondiale) et Tristan et Isolde de Wagner. Les concerts de l’orchestre attirent chaque saison près de 200 000 personnes dans sa salle du Doelen et a l’étranger. Parmi ses enregistrements, citons un album consacre a Ravel unanimement salue par la critique, un coffret Mahler réunissant des enregistrements historiques de 1954 et 1955 avec Eduard Flipse. L’orchestre se rendra cette saison deux fois en Asie et donnera des concerts au Musikverein de Vienne.
15, avenue Montaigne 75008 Paris