« Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes »
Résumé
Un drame en cinq actes
Le théâtre de Maurice Maeterlinck
La poétique du silence dans le premier théâtre
Une date dans l’histoire du théâtre
Perdue dans la forêt, Mélisande est recueillie par le prince Golaud, homme mûr dont elle devient l'épouse. Cependant, elle est irrésistiblement attirée par Pelléas, jeune demi-frère du prince. Par une chaude nuit d'été, Mélisande peigne sa longue chevelure, Pelléas s'en enveloppe, mais Golaud les surprend... et tue son demi-frère, tandis que Mélisande ne lui survit que brièvement. Les mots et les gestes de ce couple d'amants poursuivis par la fatalité composent un univers d'une grande intensité symbolique.
Le moteur de la pièce est une réflexion sur la condition féminine. Ne devine-t-on pas, dans ce seul mot de Mélisande à Golaud : " Ne me touchez pas ", qu'au soir de ses noces, elle a été l'objet de violences ? Avant que Golaud ne tue Pelléas de sa main, Mélisande s'écrie : " Je ne mens jamais. Je ne mens qu'à Golaud".
Terrible aveu, au sein même de l'innocence éperdue.
1 - Le petit-fils d’Arkel, roi d’Allemonde, Golaud, dont les cheveux sont déjà gris, trouve dans la forêt une jeune fille qui pleure au bord d’une fontaine. C’est Mélisande. Il l’emmène avec lui. Six mois plus tard, Arkel et sa fille Geneviève attendent Golaud qui, dans une lettre, annonce son mariage avec Mélisande.
Mélisande est accueillie au Château par Geneviève et par Pelléas, frère de Golaud, beaucoup plus jeune que lui.
2 - Pelléas et Mélisande sont près d’une fontaine dans le parc. Elle regarde l’eau profonde en jouant avec son anneau de mariage. La bague tombe au fond de l’eau.
Golaud, qui s’est blessé à la chasse, est veillé par Mélisande. Elle lui demande de quitter le château d’Arkel, où elle n’est pas heureuse. Golaud remarque la disparition de sa bague : Mélisande n’ose lui dire la vérité et prétend qu’elle l’a perdue en cherchant des coquillages dans une grotte près de la mer.
Golaud l’envoie chercher la bague avec Pelléas en pleine nuit. Mais quand ils vont pénétrer dans la grotte, ils aperçoivent trois mendiants endormis et s’éloignent.
3 - Pelléas, au pied de la tour, parle à Mélisande, qui se penche à la fenêtre et dont les longs cheveux tombent jusqu’à lui. Il les caresse amoureusement. Golaud survient et sort avec Pelléas.
Le lendemain, Golaud conduit Pelléas dans les souterrains du château et l’engage à se pencher sur le gouffre d’eau stagnante. Ils remontent à la surface. Golaud ordonne à Pelléas d’éviter Mélisande.
Sous les fenêtres de Mélisande, Golaud interroge son fils d’un premier lit, Yniold : « Pelléas et Mélisande sont-ils souvent ensemble ? De quoi parlent-ils ? S’embrassent-ils ? »
Golaud hisse Yniold jusqu’à la fenêtre de la chambre où se trouvent les deux jeunes gens et lui demande ce que font Pelléas et Mélisande : ils sont immobiles et silencieux, ils regardent la lumière. Yniold s’effraie. Golaud l’entraîne.
4 - Pelléas, qui va quitter le château, donne pour le soir à Mélisande un dernier rendez-vous dans le parc, près de la fontaine.
Arkel exprime à la jeune femme son affection et sa pitié. Golaud survient et insulte la jeune femme. Il la traîne par les cheveux, la menace mystérieusement.
Au bord de la fontaine, la nuit, Pelléas et Mélisande se retrouvent. Ils s’enlacent et s’avouent leur amour. Golaud, qui les épiait, tue Pelléas, et poursuit Mélisande, l’épée à la main.
5 - Golaud a blessé Mélisande. Elle a mis au monde une petite fille. Elle a déliré plusieurs jours. Elle est mourante à présent dans une chambre du château. Golaud lui demande pardon, et tente, en vain, de lui faire avouer qu’elle fut coupable. Mélisande meurt doucement, en silence.
Maeterlinck donne au symbolisme le théâtre qui lui manquait. Ce théâtre de l'âme où sont représentées des forces intérieures plus que des personnages réels présente deux caractéristiques : un travail de la langue qui sort de la langue classique ou naturaliste et une déconnexion du langage par rapport au réel.
C'est une déconnexion de l'univers chrétien - il n'y plus de Dieu rédempteur - et un retour au tragique exprimé par le théâtre grec. Les textes sont suffisamment ouverts, mystérieux pour être traités sur plusieurs plans : l'image, le rythme de la parole, l'orchestration des voix, le rapport entre le visible et l'invisible.
Maeterlinck : « Ce qu'on entend sous le Roi Lear, sous Macbeth, sous Hamlet par exemple, le chant mystérieux de l'infini, le silence menaçant des âmes ou des Dieux, l'éternité qui gronde à l'horizon, la destinée ou la fatalité qu'on aperçoit intérieurement sans que l'on puisse dire à quels signes on la reconnaît, ne pourrait-on, par je ne sais quelle interversion des rôles, les rapprocher de nous tandis qu'on éloignerait les acteurs ? Est-il donc hasardeux d'affirmer que le véritable tragique de la vie, le tragique normal, profond et général, ne commence qu'au moment où ce qu'on appelle les aventures, les douleurs et les dangers sont passés ?
N'est-ce pas la tranquillité qui est terrible lorsqu'on y réfléchit et que les astres la surveillent ; et le sens de la vie se développe-t-il dans le tumulte ou le silence ?
N'est-ce pas quand on nous dit à la fin des histoires "Ils furent heureux…" que la grande inquiétude devrait faire son entrée ? Qu'arrive-t-il tandis qu'ils sont heureux ? »
(…) Mais la poétique du silence se manifeste aussi sous la forme d’une « crise du langage ». Bien souvent, le langage se désagrège sous l’effet des flux de conscience qui traversent l’âme des personnages. Cette expression heurtée traduit la profonde hébétude de la vie psychique. Nous en avons des manifestations particulièrement saisissantes sous la forme de ce que la stylistique dénomme « monorhème », autrement dit « l’explosion subite d’un sentiment à travers un seul mot, traduisant l’incapacité à verbaliser sous le coup de l’émotion ». Ils fourmillent dans les dénouements des drames, en particulier dans
La Princesse Maleine :
Hjalmar : « Oui ! oui ! oui ! oh ! oh ! (dehors) Arrivez ! arrivez ! Etranglée ! étranglée ! étranglée ! Oh ! oh ! oh ! Etranglée ! Oh ! oh ! oh ! Etranglée ! étranglée ! »
Ce cri à peine formulé (qui correspond à la fonction émotive de Jakobson) s’atomise sous la forme d’exclamations qui sont bien souvent la seule manifestation verbale du roi, et la seule du fou (« oh ! oh ! oh ! », cf. p. 171, 180, 186, 213 ...) Il prend parfois l’aspect du balbutiement qui est une réduction, une fragmentation du mot (« monstru… monstrueuse putain ! », p. 266). Cette parole qui se désagrège et qui fait affleurer des ses interstices le blanc du silence relève de ce que Pierre Van den Heuvel dénomme la « parole sauvage », qui est un retour à la non-parole ou plutôt à la parole première, irrationnelle, non construite, désarticulée ». Elle se signale par une manifestation phatique sans qu’il y ait articulation de la parole, comme dans un cri. Or tout le premier théâtre est déchiré par des cris : cinq occurrences dans La Princesse Maleine, deux dans Les Aveugles, une dans L’Intruse, deux dans Les Sept Princesses, trois dans Aglavaine. Par cet état de paroxysme émotionnel, l’être retourne à un état de « nature », antérieur à la détention culturelle du langage. Par cette prégnance d’un langage déchiqueté qui s’impose sous la forme de fragments bruts du subconscient, il nous apparaît que Maeterlinck avait réalisé avant l’heure le projet d’Antonin Artaud : « Il s’agit de substituer au langage articulé un langage différent de nature, dont les possibilités expressives équivaudront au langage des mots, mais dont la source sera prise à un point encore plus enfoui et plus reculé de la pensée. (…) Il part de la nécessité de la parole beaucoup plus que de la parole déjà formée. (…) Il refait poétiquement le trajet qui a abouti à la création du langage ».
Du silence au cri, du cri au balbutiement, et de celui-ci au verbe, c’est exactement ce qu’illustre le premier théâtre de Maeterlinck : « Il refait poétiquement le trajet qui a abouti à la création du langage », proche encore de la gestation du silence qui vient endiguer. Maeterlinck appartient à cette poésie du blanc qui est aussi celle d’un Reverdy ou celle de l’expressionnisme.
Delphine Cantoni
In Présence/ Absence de Maurice Maeterlinck
L’année 1893, dans Paris, un jeune homme - Lugné-Poe, il a 24 ans - est à la recherche d’une salle de répétition, d’un peu d’argent aussi, et d’un théâtre. Il veut créer Pelléas et Mélisande dont Maeterlinck lui a confié le destin scénique. Il y parvient le 17 mai pour une seule représentation. Quelques autres se donneront ensuite à Bruxelles en juin. Et c’est une véritable révolution que fait le théâtre et bien au-delà de la scène française.
« L’impression fut énorme » nous rapporte Lugné-Poe.
Et elle le fut, parce qu’après les vaines tentatives au Théâtre d’Art de jouer Axel de Villiers de l’Isle Adam, le poème dramatique de Maurice Maeterlinck réalisait sur scène l’idéal théâtral espéré par la génération symboliste. Ce faisant, Maeterlinck et son metteur en scène libéraient la scène de son asservissement à un réalisme social conduit par l’ambition la plus réductrice : produire « des décalques photographiques de la simple nature ».
L’ambition de Maeterlinck était toute autre : « Il ne s’agit pas d’exprimer le rationnel et le sentiment lucide qui sont compréhensibles en des mots sûrs et clairs mais ce qui se trouve au-delà de la raison et avant le sentiment, les débuts ternes et confus d’une sensation, tous les phénomènes étranges qui restent tapis sous le seuil de la conscience et ne sont ressentis que comme un gémissement sourd qui sort du dernier abîme de la nature, là où l’esprit ne pénètre pas… »
Sur scène, aujourd’hui, nous agirons librement avec le « gothique » que nous ressentons comme trop circonstancié au contingent de l’époque, pour ne nous attacher qu’à incarner l’esprit de l’œuvre. Saisir sa réalité poétique. Nous efforçant de réaliser ce qu’écrit Gaston Bachelard, qui nous semble si bien définir l’esprit de Pelléas et Mélisande : « Maeterlinck a travaillé aux confins de la poésie et du silence, au minimum de la voix, dans la sonorité des eaux dormantes. »
Avec la musique de Debussy, Pelléas et Mélisande est entré dans la mythologie. L’opéra ne doit pas nous faire oublier le poème dramatique qui a été à l’origine du renouveau du théâtre et de la création du Théâtre de l’Œuvre à qui nous devons tant de découvertes.
Alain Ollivier
C'était exellent. Le meilleur spectacle de la République Française !!!!! Mes félicitations au 2 Yniolds que j'ai vu !!! Aussi à tous les autres acteurs !!! Mes compliments au metteur en scène Alain Ollivier ! Gad Elmalet
C'était exellent. Le meilleur spectacle de la République Française !!!!! Mes félicitations au 2 Yniolds que j'ai vu !!! Aussi à tous les autres acteurs !!! Mes compliments au metteur en scène Alain Ollivier ! Gad Elmalet
59, boulevard Jules Guesde 93207 Saint-Denis
Voiture : Depuis Paris : Porte de la Chapelle - Autoroute A1 - sortie n°2 Saint-Denis centre (Stade de France), suivre « Saint-Denis centre ». Contourner la Porte de Paris en prenant la file de gauche. Continuer tout droit puis suivre le fléchage « Théâtre Gérard Philipe » (emprunter le bd Marcel Sembat puis le bd Jules Guesde).