Qui ne travaille pas ne mange pas

du 18 novembre au 5 décembre 2004

Qui ne travaille pas ne mange pas

S’interrogeant sur un programme de rééducation des détenus, le gouvernement soviétique organisait au goulag toutes sortes d’activités de masse dont le théâtre. A partir d’archives et d’interviews d’anciens détenus ayant pratiqué ou fréquenté le théâtre dans les camps staliniens, un spectacle qui pose la question essentielle de l’existence même de l’art dans des situations les plus extrêmes, sous des régimes totalitaires.

Revue de théâtre au goulag
Note de mise en scène
La presse

Le théâtre au goulag n’a pas été une expérience isolée ni un acte de résistance.

Fort de mener une « entreprise d’orthopédie sociale », pour reprendre l’expression de Michel Foucault, par volonté de contrôle des âmes et des corps, le gouvernement soviétique s’interrogea sur un programme de rééducation en relation étroite avec la productivité des détenus. Le programme avait l’ambition de faire de chaque prisonnier un animal social, de le transformer en bon citoyen soviétique.

Il a favorisé la naissance d’une véritable activité théâtrale qui, selon l’alchimie du lieu, de l’époque et des détenus en présence, a pris des formes variées...

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Comment se fait-il que l’art suive l’évolution de l’humanité, comment se fait-il qu’il résiste aux progrès scientifiques et technologiques ? Comment se fait-il que même dans les situations les plus extrêmes, sous des régimes totalitaires, dans les terribles conditions d’enfermement du Goulag, l’art puisse exister et à sa façon prospérer ? Telles sont les questions essentielles que contient un thème aussi grave que celui de « théâtre au Goulag ».

On le sait, l’URSS de Staline a développé, sous couvert de la dictature du prolétariat, une forme d’oppression sociale inédite, basée sur la classification et l’exclusion des individus, recourant notamment à l’internement dans des camps de travail forcé. Le Goulag, immortalisé par la plume de Soljenitsyne, est devenu à jamais le symbole de l’empire des camps soviétiques, de la négation de l’homme et de l’arbitraire.

Mais si le Goulag a force de métaphore dans la littérature mondiale pour désigner l’univers concentrationnaire, en russe, les cinq lettres G.U.L.A.G. forment initialement un acronyme qui désigne la Direction générale des camps, administration rattachée respectivement à la police politique, au commissariat du peuple à l’Intérieur et au ministère de l’Intérieur (OGPU, NKVD, MVD) de 1930 à 1960. Cette administration se circonscrit à un vaste système répressif, dont la particularité est de gérer des camps de travail correctif, instrument punitif et économique.

Le théâtre au Goulag n’a pas été une expérience isolée ni un acte de résistance. Fort de mener une « entreprise d’orthopédie sociale », pour reprendre l’expression de Michel Foucault, par volonté de contrôle des âmes et des corps, le gouvernement soviétique s’interrogea sur un programme de rééducation en relation étroite avec la productivité des détenus. Le programme avait l’ambition de faire de chaque prisonnier un animal social, de le transformer en bon citoyen soviétique. Il envisageait toutes sortes d’activités de masse dont le théâtre. En effet, le théâtre pouvait s’organiser à peu près partout et avec à peu près n’importe qui, pourvu que le processus de la représentation soit respecté et qu’un semblant de contrôle idéologique soit exercé. Le programme a favorisé la naissance d’une véritable activité théâtrale qui selon l’alchimie du lieu, de l’époque et des détenus en présence, a pris des formes variées, d’un art pauvre et amateur à d’importantes manifestations dans les règles classiques de l’art.

« Sourire de captivité », le théâtre au Goulag entrouvre un espace de liberté. Il devient le lieu de la vraie vie. La réalité est vécue comme un artifice et l’artifice devient réalité.

Judith Depaule

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«(...) Qui ne travaille pas ne mange pas est une pièce tout à fait inhabituelle, tout à fait poignante. » Michel Cournot, Le Monde, 20 novembre 2004

« Impulsé par les autorités soviétiques pour "redresser" les détenus, le jeu était vécu par eux comme une bouffée d'air. A partir de ses recherches sur le Goulag, Judith Depaule a créé une pièce, aujourd'hui présentée à Genevilliers. (...) Personne avant elle n'avait défriché ce terrain. Il lui aura fallu sept ans pour explorer ce pan de l'histoire des camps staliniens, comprendre comment, dans l'abomination de l'univers concentrationnaire, le théâtre a non seulement survécu, mais prospéré, sous l'impulsion de l'appareil répressif. (...) La jeune femme a mis trois ans à monter le spectacle qui résume ses recherches. Le voici sur scène, mais ses rêves ne sont pas pour autant épuisés. Il lui en reste au moins un : le présenter dans cette Russie qui tente d'occulter son passé soviétique. Et - pourquoi pas ? - dans les théâtres construits par les détenus, à Magadan ou ailleurs. » Marie-Pierre Subtil, Le Monde, 21 novembre 2004

«(...) Elle a traqué la trace de ces théâtres qui avaient été construits par les détenus eux-mêmes. (...) Mais c'est avant tout à la rencontre des artistes survivants qu'est partie l'actrice française. Des vies brisées dont restent une litanie de souvenirs épars ou précis, quelques photos, des histoires incroyables, parfois effroyables. Judith Depaule va en faire un livre (à paraître en 2005 chez Hachette littérature) mais, femme de théâtre avant tout, elle a commencé par un spectacle, ayant pour titre l'un des leitmotive des camps : Qui ne travaille pas ne mange pas.

Loin d'un montage efficace, émouvant, qui aurait seulement orchestré ces témoignages, Judith Depaule a voulu aller plus loin et les inscrire dans un geste artistique fort. Le projet emprunte un genre, celui de la revue, qui était le plus en vogue au goulag. Sur le mode d'une revue de music-hall (avec films d'animation, monologues, sketches, chants, saynètes), on suit la chronologie des destins : arrestation, arrivée au camp, audition, répétition, spectacle, libération progressive des détenus-artistes après la mort de Staline (1953), fin (faute de combattants) des théâtres du goulag, chant final. Avec, en contrepoint et leitmotiv, l'histoire de Dimitri : un scénographe qui, onze mois avant sa libération, se pendit aux cintres du théâtre, pendant que ses collègues dansaient le Lac des cygnes dans l'un de ses décors. Une histoire vraie, comme toutes. (...) » Libération, 19 novembre 2004

« Au cours de ses voyages sur les lieux des anciens camps - créé en 1923, officiellement supprimé le 25 janvier 1960, le goulag, alias direction générale des camps, a en fait perduré jusque dans les années 1980 - Judith Depaule a rencontré une quarantaine d'anciens détenus : « Paradoxalement, dit-elle, leurs récits recèlent une forme de légèreté. Ces moments de théâtre étaient très forts. Il ne s'agit pas de nostalgie, bien sûr, mais du souvenir d'un travail dans lequel ils se sont donnés comme jamais. Car, dans ce domaine aussi, il fallait respecter, voire dépasser, le plan. Les premières s'enchaînaient soir après soir. » (...) Fascinée par la permutation qui s'est faite entre artifice et réalité, théâtre et vie, Judith Depaule souligne cette aberration qui consista, pour un Etat totalitaire, à « créer lui-même un espace de liberté. La représentation, dit-elle, est un moment incontrôlable où l'imaginaire du spectateur l'amène à penser qu'il est encore un homme et qu'il pourra le redevenir ». Mais combien le sont redevenus? » Laurence Liban, L'Express, 8 novembre 2004

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