Song : un cabaret de mémoire
Pour célébrer chaque événement important, les familles chinoises, quelles soient riches ou pauvres, préparent des raviolis, les jiaozhi. Fabriquer les raviolis se dit baoxian : " envelopper la farce ". Mais baoxian, cest aussi la sécurité, la protection. Ainsi, par ce geste, cest comme si lon recouvrait symboliquement erreurs, mauvaises paroles et mauvais souvenirs pour favoriser une année nouvelle heureuse et limpide.
Occasion dun rassemblement joyeux et prolixe où lon rompt avec le souci, la préparation des jiaozhi est le point de départ du spectacle. Mais pour rire et oublier il faut se souvenir. De telle sorte quà travers chants et récits, cest toute lhistoire de la Chine contemporaine qui sera traversée, passée au tamis des histoires singulières. Le temps de la faim, de la guerre, les ruses de la survie, sur le fond dun rite ancestral. Peines et joies roulées dans la pâte. Festin de paroles.
La première étape du travail a consisté en une sorte dinventaire des chants de toutes sortes (chansons des rues, chansons militaires et militantes, comptines, romances des années 30) ayant marqué les différentes périodes de la vie de chacun des acteurs, inventaire qui a lui-même déclenché le feu roulant des souvenirs qui lui sont liés.
Le travail se poursuit : sélection des chants, écriture des récits et réglage des enchaînements, jusquà devenir un véritable cabaret de mémoire.
Six chanteurs chinois, dâge, dorigine et de parcours très différents vont donc nous raconter avec humour leurs souvenirs mouvementés : loccupation japonaise, la guerre de Corée, les années damitié avec lUnion Soviétique, la mort de Staline, le Grand Bond en Avant et les années de famine qui lui succédèrent, la Révolution Culturelle, la mort de Mao, le grand espoir de changement, puis les événements de la place Tiananmen, et la vie, aujourdhui, en France.
Gilberte Tsaï
En pleine révolution culturelle, un professeur dart lyrique osa écrire les mots suivants sur les murs du Conservatoire de Pékin : " si un chanteur cesse de chanter un jour, lui seul sen aperçoit. Deux jours, son professeur sen aperçoit. Après trois jours, le public sen aperçoit ". Depuis 1949, le régime communiste a fait écrire et mettre en musique, à chaque variation de la ligne politique, des chansons destinées à diffuser son nouveau message. Cest ainsi quavec les années sest constitué dans la mémoire chinoise un répertoire où se sont déposés les sédiments dun demi-siècle de versions officielles, et avec eux, la couleur intime de chaque époque. Gilberte Tsaï et Anne Fischer ont invité six artistes chinois aujourdhui exilés en France à nouer devant nous par le biais de tels chants, dans leur langue et dans la nôtre, les étapes de leur pays à celles de leurs propres vies. Parmi les artistes de ce " cabaret de mémoire ", le professeur du Conservatoire de Pékin, mais aussi une soprano du Théâtre des Armées qui se produisait devant Mao ou un étudiant darts plastiques qui milita Place Tian anmen. " La création de ce spectacle, " écrit Gilberte Tsaï, " coïncide avec le dixième anniversaire des événements tragiques du 4 juin 1989 et les cinquante ans de la République Populaire de Chine, le 1er octobre 1949. "
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