« Mon théâtre parle de secret. » Howard Barker
Anna Galactia, femme peintre, conduit ses affaires (dans l'art comme dans la vie) de manière si fougueuse, refusant toute concession, qu'elle finit par croupir dans une geôle de la république de Venise... Pourtant, tout commence bien pour elle : le Doge Urgentino lui a passé commande d'un tableau gigantesque pour célébrer la victoire navale de Lépante. Nous entrons dès lors dans l'atelier de Galactia ; nous découvrons son intelligence spirituelle, son goût de la provocation, sa drôlerie féroce, son orgueilleuse intégrité.
« L'exécution d'un tableau » désigne, en anglais comme en français, le travail de réalisation d'une œuvre. Quel amateur d'art, quel spectateur averti, n'a pas rêvé de se cacher dans l'atelier d'un maître pour y surprendre à découvert les rouages de la création ? La pièce de Barker nous propose d'assister au processus secret et sacré qui sous-tend l'acte artistique. De ce point de vue, elle s'accorde parfaitement à la pratique théâtrale de Christian Esnay, qui aime à exhiber la machinerie théâtrale afin d'en décupler la jubilation : ici, la mise à nu des artifices du théâtre ne nuit en rien à leur puissance émotive.
Mais Tableau d'une exécution est également une œuvre noire. Car une « exécution » désigne aussi une mise à mort. De la bataille glorieuse qu'elle est censée sublimer, Galactia révèle la réalité horrible : cette victoire fut un charnier. Quelles relations l'artiste entretient-il avec le pouvoir qui commandite ses œuvres ou le public qui les consomme ? Quels sont les rapports entre la réalité d'un sujet, la vision du créateur chargé de le représenter, l'interprétation à tirer du produit de son travail ? Quelle est la responsabilité du poète vis-à-vis de la vérité ? Autant de questions que Barker porte sur scène sans intellectualisme, de façon directe et vivante.
Galactia est jetée en prison, son scandaleux chef-d'œuvre est d'abord voué à disparaître. Cependant leur histoire ne s'arrête pas là, car le Doge le sait bien : contre la virulence d'une œuvre, une certaine forme de tolérance peut être un antidote beaucoup plus efficace que la censure la plus brutale. Un art privé de son secret - divulgué, expliqué, livré aux puissances corrosives de la publicité et du consensus - n'est-il pas en passe d'être insidieusement maîtrisé ? Galactia retrouve donc la « liberté », et elle qui se voulait héroïne et martyre s'exclame douloureusement : « Être comprise c'est la mort. Une mort atroce... ». Mais si tel est bien le cas, alors dans quel silence, par quelles voies ironiques ou dissimulées, ces deux libertés singulières - celle de l'artiste, celle de chaque individu devant l'œuvre - parviennent-elles malgré tout à s'entendre ?
Tableau d'une exécution, Œuvres choisies, vol. 1, éditions Théâtrales, coll. Scènes étrangères, 2001
Texte français : Jean-Michel Desprats
8, boulevard Berthier 75017 Paris
Entrée du public : angle de la rue André Suarès et du Bd Berthier.