Spectacle en portugais ancien surtitré en français.
Tchiloli ou La dramatique histoire du Marquis de Mantoue et de l’Empereur Charlemagne
São Tomé, une petite île baignant dans les eaux du Golfe de Guinée à 200 km au large du Gabon, appartient à l’archipel de São Tomé et Principe, portugais depuis le XIVe siècle jusqu’à son indépendance en 1975.
Masqués de blanc, des personnages dansants, sautillants, sortent de la forêt et s’avancent en file vers la clairière. Ils portent des fracs, des gants, des cannes à pommeau, des épées de bois, des capes de velours, des bas noirs, des mantilles, des couronnes dorées au papier de chocolat, des bicornes. Ils s’expriment en portugais ancien, la langue de Baltasar Dias, dramaturge de Madère au XVIe siècle, qui créa à partir de fables populaires issues de la litteratura de Cordel La tragédie du marquis de Mantoue et de l’Empereur Charlemagne. Des tirades en portugais moderne se mêlent au texte original.
Depuis quatre siècles, cette unique pièce du répertoire de tchiloli est jouée une fois l’an, le jour de la fête du saint local. Le récit est simple : Carlotto, fils de Charlemagne, devient meurtrier par amour et tue le neveu du marquis de Mantoue. Les Mantoue réclament justice et finissent par l’obtenir de Charlemagne qui, déchiré, ordonne pourtant la mise à mort du prince. Le procès se déroule avec les tracasseries et les emphases d’une cérémonie médiévale ou d’un procès moderne. Ce théâtre musical et dansé pourrait ne constituer qu’une trace de la culture du colonisateur, et pourtant le tchiloli est beaucoup plus ! Un décodage du texte écrit montre que Charlemagne incarne le roi et le gouvernement du Portugal, tandis que Carlotto n’est autre que le tyrannique potentat local, gouverneur portugais de l’île. Enfin, les gens de la famille Mantoue représentent les grandes familles métisses de São Tomé.
La chorégraphie, inscrite dans un espace rituel, oriente l’oeuvre vers une autre lecture : celle d’une cérémonie de funérailles occultée par une représentation brillante et carnavalesque, tournant en dérision le modèle occidental. Les masques blancs signalent la présence des esprits des morts. Les miroirs placés sur les coiffures protègent les corps des influences néfastes. Avant même que la pièce ne commence, du vin de palme est versé sur le sol, afin d’abreuver les ancêtres. L’ensemble musical reproduit une fanfare portugaise en utilisant des instruments africains (tambours, flûtes et hochets).
Plus qu’un fragment d’archéologie du théâtre, le tchiloli apparaît comme une tentative de subversion d’une grande finesse en même temps qu’une réappropriation constante des mythes africains. On a affaire ici à un exemple intelligent de détournement d’une culture.
F.G. in L’Atlas de l’Imaginaire, Maison des Cultures du Monde / Favre, 1996.
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