A propos de Thomas B. par
Jacques Kraemer
Thomas Bernhard
Lors de la création de
la pièce en 87/88
Extraits du
Dossier de Presse de la Reprise par Jacques Kraemer
A propos de Thomas B. par Jacques Kraemer
Jai écrit cette pièce il y 15 ans. Cétait à lorigine un écrit privé destiné à mentraîner à taper à la machine à écrire. Peut-être ai-je écrit ce monologue pour me libérer de lemprise de Thomas Bernhard dont je venais de créer en France " La Force de lhabitude ". Pas un instant il ne métait venu à lidée de faire lire ce texte ; à plus forte raison, il nétait pas question dans mon esprit ni de le faire éditer, ni de le jouer. ( )
Je mapprêtais à commencer à répéter avec Denis Manuel (cet excellent acteur et ami malheureusement disparu en 1993) " La Contrebasse ", monologue de Patrick Süsskind, pour lequel à notre grande surprise et contre toute attente, celui-ci nous refusa les droits.
Il nous fallait donc un projet de remplacement. A tout hasard, je fis lire à Denis Manuel mon monologue " Thomas B. " et fus surpris quand il me déclara être très convaincu par ce texte et tout à fait décidé à le jouer. Nous lavons alors mis en répétition en septembre 1986 sans savoir ni où ni quand nous le jouerions. Cela aurait pu en rester là, quand une opportunité de le créer au théâtre Renaud-Barrault sest présentée en mars 87. Laccueil du public et de la presse a été suffisamment favorable pour que ce spectacle, très léger dans sa mise en uvre, soit joué pour de nombreuses représentations à Paris, dans plusieurs régions et en Algérie.
Jai repris le rôles quelques années plus tard après la disparition de Denis Manuel, dans le grenier du Théâtre de Chartres dont javais été nommé directeur. Je lai joué 55 fois pour des tous petits groupes de spectateurs. Et depuis, à linvitation de plusieurs théâtres, je lai repris régulièrement, récemment à Boulogne-sur-Mer, Montpellier et Metz.
Mon désir de prolonger cette expérience vient du plaisir que je prends à jouer cette pièce et du sentiment que ce plaisir est partagé par le public.( ) Il sagit dun écrivain autrichien nommé Thomas B. qui connaît depuis plus de trois ans une panne décriture. On le voit décidé à se remettre à écrire, mais incapable de concrétiser son projet. Tout lui sert de diversion : ses considérations sur le papier, sa machine à écrire, sa femme de ménage, lAutriche, Peter Handke, Samuel Beckett
En fin de compte, il se suicide en avalant de fortes doses de tranquilisants, et ce passage à lacte le relance dans lécriture : il va écrire en direct le récit de sa mort.
Dans mon esprit, cet " à la manière de " est un hommage admiratif et amical à un auteur que jaime beaucoup. Dailleurs je nen ai pas " fini " avec Thomas Bernhard puisque je vais mettre en scène la saison prochaine une de ses très belles pièces " Une fête pour Boris ".
Jai limpression que jai pu écrire librement, en étant complètement moi-même, sous le masque avoué de Bernhard, comme javais déjà pu le faire dans le passé sous le masque de Kafka ou de Diderot.
Le jeu auquel je me suis livré est en quelque sorte bernhardien si lon pense à Minetti où Bernhard donne à son personnage le nom dun acteur allemand célèbre avec lequel il prend toute liberté. Dans cet esprit, jai emprunté très librement dans la biographie et luvre de ce grand auteur pour constituer un personnage qui tient également beaucoup de moi. A larrivée, il ne sagit ni de Thomas Bernhard, ni de moi, mais dun personnage nommé Thomas B. dans lequel nombre décrivains pourraient se reconnaître.
Le personnage et son propos sont volontairement négatifs, noirs sur toute la ligne. Mais jespère que le pessimisme et le désespoir sont contredits fortement par lhumour dune part, et dautre part, comme chez Thomas Bernhard au demeurant, par ce que lon pourrait appeler la jubilation imprécatrice. Cette jubilation à écrire des invectives, puis pour lacteur à les proférer est une forme croustillante de plaisir ludique. On répète sur tous les tons " Nous haïssons la vie ", mais le plaisir que lon prend à le dire et à le redire est une forme de joie de vivre qui vient, au moins en partie, démentir le message explicite.
Peut-être est-ce une façon de dire que pour moi, sans le théâtre et le jeu, la vie ne vaudrait guère dêtre vécue.
Jacques Kraemer
Ecrivain et dramaturge autrichien. Une enfance sans père mais marquée par un grand-père écrivain. La maladie, une pleurésie qui devient tuberculose par contagion dans la maison de repos, fut lépreuve capitale dune jeunesse marquée aussi par la musique.
Il sortira diplômé du Mozarteum de Salzbourg avec une dissertation sur Brecht et Artaud. DArtaud, il affectionne une phrase : " la race des prophètes sest éteinte ". Bernhard prouve que la race des râleurs ne lest pas. Toute sa biographie tiendrait dans ses rapports difficiles avec lAutriche, dans la difficulté dêtre autrichien. Dès 1955, un article dénigrant le théâtre de Salzbourg lui vaut un procés ; en 1989, il meurt en plein dans le scandale de sa dernière pièce Heldenplatz, du nom de la place (littéralement : la place des Héros !) où 250 000 viennois firent une ovation à Hitler au lendemain de lAnschluss. Il écrivit dans une de ses dernières Dramolettes : " la plus formidable comédie de tous les temps, cest lAutriche " ; lAutriche est le plus grand théâtre du monde ; cest le théâtre même. Pour ce Timon dAutriche, le théâtre sera linstrument pour dénoncer la comédie et le mensonge du monde ; que le théâtre montre que le monde (lAutriche) est une scène. Et les hommes des marionnettes : un de ses premiers textes pour le théâtre, écrit vers 1956 mais publié en 1970, avait pour titre : La montagne, spectacle pour marionnettes sous forme dêtres humains ou dêtres humains sous forme de marionnettes. Dès Une fête pour Boris (1970) et surtout lignorant et le fou (1972), Bernhard montre son goût pour les personnages les moins " naturels " : estropiés, gnomes, alcooliques, artistes, fous, philosophes, philosophes fous, ce qui fait que des êtres humains sont devenus des créatures parfaitement " artistiques ", cest à dire artificielles. " Les acteurs ne sont pas ici des êtres humains/des marionnettes. Ici tout bouge contre la nature ". Le théâtre de Bernhard déploie sa critique sur deux registres différents. Dabord la politique, avec ces estropiés qui nous gouvernent : La Société de chasse (1974), le Président (1975), les Célèbres (1976), le Déjeuner allemand (dix lignes contre les mentalités nazies !) et Avant la retraite (1979), texte sur lirrésistible théâtralité du nazisme dans lequel un respectable président de tribunal de République fédérale dAllemagne, ci-devant officier SS, revêt son uniforme pour fêter avec ses surs lanniversaire de Himmler. Cest la théâtralité du fascisme version Bernhard et qui mène à une assez simple constatation : " Tous nazis ! ".
Lautre registre est celui du théâtre lui-même ; Bernhard entretient une relation de fascination-répulsion pour le théâtre, pour ceux qui lécrivent :lauteur dramatique de Au but (1981) ; qui le font : le Faiseur de théâtre (1984) ; fasciné par les portraits dacteurs en vieux cabotins, figures obsédantes de vieux acteurs shakespeariens : Les apparences sont trompeuses (1983) ; Simplement compliqué (1986), tous nostalgiques d'un grand théâtre perdu, théâtre adoré et haï, Minetti (1976), acteurs sans théâtre, entre imprécation et désespoir. Au " Tous nazis ! " précédent correspond maintenant un " Tous cabots ! ". Et légalitarisme règne dans le cabotinage : un artiste shakespearien égale un artiste de cirque, un vrai philosophe un philosophe fou (Emmanuel Kant), le faux Wittgenstein du Déjeuner chez Wittgenstein (1984) vaut bien son oncle. Le cabotinage est la forme que prend, chez Thomas Bernhard , la haine du théâtre qui est indispensable et répugnant, un tas de fumier, comme toute la culture. Les pauvres marionnettes de la Force de lhabitude (Die Macht der Gewohnheit, 1974) le disent à leur manière : " Nous haïssons la quintette la Truite mais il faut la jouer ".
J.F. Peyret
Dictionnaire du Théâtre de Michel Corvin
Editions Bordas
Lors de la création de la pièce en 87/88
Télérama
On sourit - on rit sans cesser davoir la gorge nouée. Et,
comme Thomas B. on se laisse avec volupté griser de ces mots qui nous enchantent, nous
torturent et nous tuent. Claude Marie Trémois
LEvènement
Jacques Kraemer a le goût de la mystification. Cette fois-ci ce nest
pas à un écrivain mort quil en a, mais à un vivant, lAutrichien Thomas
Bernhard, géant de la littérature contemporaine
Jacques Kraemer emporte la
conviction
Brigitte Salino
Le Nouvel Observateur
Seul en sène à sa table, un grand écrivain : Thomas B. On évoque
des choses très importantes, comme la qualité du papier ou la couleur de lencre,
et des choses futiles, comme limpossibilité décrire, la mort
Nita
Rousseau
Révolution
Un texte noir comme une immense phrase en spirale qui fouaille, de
disgression en disgression, les échecs, les rancoeurs et les ressassements obsessionnels
de lécriture déserté. Cette mise à distance du vertige provoque pourtant le
rire. Sylviane Gresh
LHumanité
On soupçonne Kraemer davoir beaucoup de lui-même dans cet
autoportrait de lautre. Cest intelligent, grinçant, convaincant et
authentiquement drôle. Jean Pierre Léonardini
Le Matin
Kraemer a écrit ce soliloque désordoné, drôle, touchant très finement
du doigt la solitude et les contradictions de lécrivain. Gilles Costaz
Extraits du Dossier de Presse de la Reprise par Jacques Kraemer
LEcho Républicain
On le sait, cette pièce grinçante et drôle, pleine dallant, avait
été créée par Denis Manuel, alors que Thomas Bernhard vivait encore. Aujourdhui
lAutrichien et le comédien français sont morts. Huit ans après Kraemer a senti
limpétueux besoin de recréer ce pastiche théâtral. Il a eu bougrement raison,
dabord parce quil nous prouve que derrière le metteur en scène et le
directeur de théâtre, il y a un vrai acteur, sensible et accrocheur. Et puis il y a le
texte, verbeux, délirant, brillant, délicieux.
Bertrand Arbogast
Jacques Kraemer est Thomas B Toujours en retrait, soucieux déviter tous les excés et les dérapages dans le sentimentalisme. Lucide, terriblement lucide. Sincère et fragile. Jusquau dénuemement, inéluctable et prévisible. A ce niveau, on hésite à parler de spectacle. Mais quimporte les mots lorsquon sort de la salle plus riche quon y était rentré ?
Yves Bastide
La République du Centre
Tout se passe dans un décor dépouillé, ascétique. Il y a des étagères
et un bureau blancs : lunivers clos, presque aseptisé dun homme qui
soliloque. Cest un écrivain qui ressemble étrangement à Thomas Bernhard. Jacques
Kraemer brosse avec acuité, intelligence un portrait psychologique aigu de ce personnage
enferré dans ses imprécations, ses manies, ses interrogations, sa solitude. Un beau
travail de comédien qui nous permet de saisir les nuances et contradictions dun
être rageur, désepéré. En vérité, dans ce spectacle sans concession, la fureur
iconoclaste reste tempérée par un humour décapant. Il sagit dun monologue
implacable et drôle rondement mené avec entrain et une bonne maîtrise du jeu
théâtral. Quant au texte signé J.K., il est vivant, bien écrit et construit, on le
suit avec facilité. Sa mise en scène se garde de tout effet et privilégie la
simplicité. Une mention également pour les éclairages qui sapparentent à des
camaïeux aux subtils dégradés.
Thierry Guérin
10, place Charles Dullin 75018 Paris