Présentation
Intentions de mise en scène
Ubu Trash
Lorsque Alfred Jarry, lycéen de 15 ans écrit avec ses camarades du Lycée de Rennes UBU Roi en 1890, il l’écrit pour des marionnettes sans savoir que le texte deviendrait une sorte de manifeste théâtral. Lorsque Dan Jemmett en fait la mise en scène à Londres en 1998, il porte sur UBU son regard d’homme de théâtre anglais habitué aux audaces du texte et du jeu. Dan Jemmett prépare la version française de son UBU, il a en tête les recommandations de celui dont le texte théorique essentiel s’intitule "De l’inutilité du théâtre au théâtre." Sous le regard et la direction de Dan Jemmett, la pièce de Jarry devient un cabaret sanglant. Le mélange de la pataphysique et de l’humour " british " provoque un beau jeu de massacre.
J'ai déjà monté Ubu à Londres. Quand on m'a proposé de le créer en France avec des acteurs français, j'ai bondi de joie. Pour moi, qui suis anglais, avoir l'opportunité de monter ce monument du théâtre français en France est d'une grande excitation.
Comme à Londres il y aura dans cette version française trois acteurs, le Père et la Mère Ubu et un Compère qui joue le reste de l'humanité.
Jarry avait écrit cette pièce pour des marionnettes, je me suis inspiré de Punch et Judy qui sont à l'Angleterre ce que Guignol et Gnafron sont pour la France. J'ai donc choisi de cacher les Ubu derrière un rideau dans un petit théâtre rouge et vide. Peut-être parce que cette petite scène est comme un enfer où existent les deux monstres. Ils parlent vite, disent des choses bizarres et atroces, mais ils ne bougent pas. Jamais. Ils vont rester là pour toute l'éternité. Peut-être que c'est dans la tête du Compère, l'autre acteur, qu'ils existent. Alors bien sûr lui, il apparaît comme un maître des marionnettes, mais aussi comme quelqu'un qui peut communiquer avec les spectateurs. Ou du moins essaye de communiquer. Au fur et à mesure on a l'impression que c'est lui qui a créé ces types grotesques, et qu'en fait il a envie de monter une sorte de spectacle, un cabaret extrême. C'était un peu comme ça avec notre ami Frankenstein, non ? Mais ce n'est pas certain. Les monstres ne veulent pas lui obéir. C'est peut-être pour ça qu'il commence à boire ce curieux liquide vert caché dans son placard. Bientôt la réalité de cet improbable trio va se désintégrer, alors le Compère va essayer de continuer le spectacle tout seul, de raconter l'histoire avec ses mots, ses mains, mais aussi les objets qu'il trouve dans son placard. Et c'est vraiment ici, au moment du chaos, dans une salle où la vie d'une pièce de théâtre a commencé à vaciller, qu'on peut apercevoir le monde d'Ubu et entendre sa poésie brutale.
Dan Jemmett
Je me souviens de la surprise éprouvée l'hiver dernier dans les soutes du Théâtre de Bobigny, où j'étais descendue presque par hasard, en découvrant un Ubu anglais d'un metteur en scène inconnu. Un théâtre guignol rouge sang pour trois acteurs-marionnettes : Ubu vissé sur son trône, Ma sa femelle, masse épaisse, tournant lourdement autour de lui, tandis qu'un compère tenait tous les autres rôles. " C'est avec un regret extrême que je dois vous annoncer un changement dans la distribution, prévient-il. Jean Gervais qui jouait le rôle du Capitaine Bordure est indisponible pour la bonne raison qu'il a été mangé par ses partenaires. Nous sommes désolés de ce manque d'éducation. "
Sorry. C'est un théâtre pauvre. Le texte a dû être adapté en conséquence pour retrouver la verdeur et la poésie des monstres enfantés par un collégien de quinze ans que l'école n'avait pas décérébré, qui inventait et illustrait le mot " décervelage " ; et ajoutait une lettre aux cinq qu'on n'imprimait qu'en pointillés.
Cet Ubu, c'est Jarry plus l'humour anglais. Plutôt trash que british, rappelant les débuts de Joan Littlewood. Une confiserie poivrée et indigeste qui laisse la langue rouge comme les bonbons vitaminés de mon enfance. Et les joues en feu.
Nicole Zand
17, boulevard Jourdan 75014 Paris