Un chapeau de paille d'Italie

Paris 4e
du 30 octobre au 31 décembre 2001

Un chapeau de paille d'Italie

CLASSIQUE Terminé

C’est une tragédie ! Un chapeau de paille mangé par mon cheval dans le bois de Vincennes, tandis que sa propriétaire errait dans la forêt avec un jeune milicien !  Voilà, en quelques mots de Fadinard, tout le sujet de la pièce.

    
L’argument
Aimer, rire et chanter
Le vaudeville
Où Labiche rejoint Sophocle…

C’est une tragédie ! Un chapeau de paille mangé par mon cheval dans le bois de Vincennes, tandis que sa propriétaire errait dans la forêt avec un jeune milicien !  Voilà, en quelques mots de Fadinard, tout le sujet de la pièce.
Dès l’arrivée de notre héros, nous apprendrons qu’il se marie aujourd’hui, qu’il attend sa noce, et que la femme au chapeau et son militaire exigent, sous peine de mort, qu’il retrouve ce même jour un chapeau de paille d’Italie pareil au chapeau mangé. La dame est mariée, et son irascible mari attend chez lui sa femme… intacte… avec le chapeau. Le malheureux Fadinard, tel un chien de chasse, va suivre des pistes de plus en plus déroutantes, et toute sa noce le suivra en fiacre…
La course infernale commence à travers Paris. Fadinard entre chez la première modiste (en qui il reconnaît une ancienne maîtresse). Il montre l’échantillon : un chapeau de paille tout pareil était en magasin, mais il a été vendu à la baronne de Champigny chez qui l’on court pour apprendre que ladite baronne l’a offert à Mme de Beauperthuis, rue de Ménars. On y court encore pour y trouver M. de Beauperthuis en train de prendre un bain de pieds à la moutarde en attendant sa femme partie depuis le matin. Beauperthuis reconnaît l’échantillon : Mais c’est le chapeau de ma femme ! On apprend que la dame se trouve précisément dans l’appartement du sieur Fadinard où tous se rendent, noce et Beauperthuis compris… 
Et, ô miracle, Fadinard découvre dans la corbeille de mariage le cadeau d’un vieil oncle : un chapeau de paille d’Italie, provenant de Florence et en tout point semblable au chapeau mangé. Vive l’Italie !
Le personnage de Fadinard appartient au théâtre léger du XIXè siècle qui cache, sous un dehors comique, beaucoup plus de philosophie qu’il n’y paraît. La fantaisie est la reine de ce répertoire, mais elle ressemble à sa grande sœur : la poésie. Les acteurs comiques qui laissent un nom sont bien souvent des poètes sans le savoir…

(d’après l’article de Pierre Bertin dans le Dictionnaire des personnages, Lafont, Bouquins)

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À l’issue de stages de formation et de cours préparatoires, de jeunes comédiens tout juste sortis du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris (CNSAD), de l’ENSATT de Lyon, ou… de nulle part, et seulement porteurs de leur talent, m’ont demandé d’animer pour eux un atelier consacré à une grande œuvre du répertoire. L’invitation était d’autant plus séduisante qu’elle m’était adressée dans un désir de théâtre populaire, d’autant plus flatteuse que je représentais, pour cette bande de jeunes, une certaine idée du théâtre…
La démarche de ces jeunes gens, faite de discrétion et de sensibilité, m’apportait soudain une nouvelle raison d’espérer, donc d’entreprendre : raviver la flamme d’un théâtre du plaisir au contact d’une jeune génération en demande de simplicité et de sincérité, transmettre ce que je crois savoir faire à la clarté de sa spontanéité. C’est pourquoi il ne fallait pas seulement répondre oui. Il fallait recevoir cette proposition d’atelier comme une provocation à vouloir davantage. Et les voici embarqués pour leur premier contrat professionnel dans un Chapeau de paille d’Italie, renforcés par quatre ou cinq compagnons de toujours prêts à une nouvelle aventure dans un petit théâtre, trop petit sans doute pour la vingtaine que nous serons, mais ô combien charmant et où nous allons aimer, rire et chanter. 

Arlette Téphany

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Ce genre dramatique est né à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, notamment grâce à Dufresny et Lesage, se caractérisait par la présence, au sein de la pièce, de vaudevilles, c’est–à-dire de couplets chantés par les personnages, sur des airs connus. 
Ce type de chanson appelé d’abord vau de Vire, puis vau-de-ville, existait depuis le XVè siècle. Son inventeur était un certain Olivier Basselin qui habitait en Normandie, dans la région de Vire, d’où le nom dont on le désignait.
Les parties chantées alternaient avec les parties simplement dites, comme dans l’opéra–comique, à cette différence près que dans ce dernier les airs étaient originaux. Plus tard, par métonymie, on appela vaudevilles les pièces gaies mêlant paroles et chant. Puis, quand les couplets eurent disparu (entre 1860 et 1870), on conserva le même nom pour désigner toute pièce reposant essentiellement sur le comique de situation.

(Henry Gidel, introduction au Chapeau de paille d’Italie dans l’édition du Livre de Poche).

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La tragédie de Sophocle (Œdipe roi) et la comédie de Labiche sont la même pièce où l’oncle Vézinet, qui est sourd, et Tirésias, qui est aveugle, se remplacent. Tirésias dit tout, on ne le croit pas. Vézinet veut tout dire, on ne le laisse pas. En raison d’une infirmité qui les affecte en qualité d’interlocuteurs, personne ne fait crédit à des propos qui, correctement interprétés, eussent mis fin à l’action avant qu’elle eût commencé. (…)
Chaque pièce pose et cherche à résoudre les mêmes problèmes et, pour y parvenir, elles s’y prennent exactement de la même façon. Dans Œdipe roi, le problème initial est de découvrir qui a tué Laïos ; un individu quelconque fera l’affaire pourvu qu’il remplisse les conditions énoncées. Dans Un Chapeau de paille d’Italie, il s’agit au départ de découvrir un chapeau identique à un chapeau disparu. Un chapeau quelconque fera l’affaire pourvu qu’il satisfasse aux conditions énoncées. Mais en plein milieu de chaque pièce, le problème initial bascule. Chez Sophocle, la recherche d’un meurtrier quelconque s’efface progressivement derrière la découverte bien plus intéressante que l’assassin qu’on cherche est celui-là même qui cherche à découvrir l’assassin. De même chez Labiche, la recherche d’un chapeau identique au premier s’estompe derrière la découverte progressive que ce chapeau qu’on cherche n’est autre que celui qui a été détruit.
Pour rapprocher ces données antithétiques et les amener au point où elles iront se confondre, les deux pièces procèdent en trois étapes qui se font respectivement pendant : 
Œdipe roi : 1/ Œdipe apprend de son épouse Jocaste les circonstances du meurtre de Laïos, ce qui lui dicte son plan d’enquête ; 2/ Œdipe apprend du messager qu’il n’est pas le fils de Polybe et de Mérope, mais un enfant trouvé ; 3/ Œdipe apprend du serviteur que cet enfant trouvé est le fils de Laïos et de Jocaste, c’est-à-dire lui-même. 
Et maintenant, Un Chapeau de paille d’Italie : 1/ Fadinard apprend d’une modiste, ancienne maîtresse, qu’un chapeau semblable à celui qu’il cherche existe, ce qui lui dicte son plan d’enquête ; 2/ Fadinard apprend de la propriétaire du chapeau qu’elle ne l’a plus mais l’a donné ; 3/ Fadinard comprend en rencontrant la servante que le chapeau qu’il cherche est celui-là même qui a été mangé. (…)
Sans doute Œdipe roi a sur Un Chapeau de paille d’Italie le privilège d’une longue antériorité, et on pourrait arguer que les deux intrigues ne sont pas vraiment parallèles. Labiche, dira-t-on, n’a fait que ramasser dans les poubelles de la tradition littéraire un schème éculé dont l’invention revient au seul Sophocle, et depuis souvent remployé. Soit ; il ne serait pas étonnant qu’après de solides études secondaires puis à l’École de Droit, Labiche eût gardé le souvenir d’Œdipe roi. Mais en coulant une matière aussi incongrue dans le même moule, il n’en aurait pas moins fourni la démonstration que déjà chez Sophocle, le moule comptait plus que le contenu. (…)
À ce parallèle entre une tragédie sublime et un divertissement bouffon séparés par un laps de temps de quelque deux mille trois cents ans, on opposera peut-être une fin de non-recevoir. Pourtant, les mythes ne sont-ils pas eux aussi intemporels, (…) n’appartiennent-ils pas à des genres qui vont du cours des astres aux fonctions organiques, de la création du monde à la fabrication des pots, du monde des dieux à celui des animaux, des désordres cosmiques aux querelles de ménage ? Et souvenons-nous que les Indiens américains tiennent pour spécialement sacrées des histoires qui, à nous, paraissent vulgaires sinon même obscènes ou franchement scatologiques. 

Claude Lévi-Strauss in La Potière jalouse, Plon

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