"Nous voulions nous réapproprier les mythes qui hantent notre inconscient et les réintégrer dans notre modernité."
Le propos
L’écriture dramatique
Contributions…
L’espace de jeu
La presse
Dans une grande proximité qui révèle l’intime, cette œuvre singulière, nouvelle et autonome - où la poésie contemporaine se mêle aux vers tragiques - fait résonner lespassions amoureuses aux « cris » de la guerre originelle. Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime Hector qui est mort. L’histoire se joue à six : cinq comédiens et un public confident, oreille précieuse qui accueille et se fait écho des plaintes, douleurs et espoirs.
"D’abord une passion pour la Tragédie, la langue, l’envie de la partager avec d’autres, les acteurs bien sûr mais aussi et surtout le public.J’ai voulu éprouver la capacité de cette langue exigeante à parler à chacun et faire le pari que la rencontre avec Marc Blanchet, Poète, ouvrirait l’accès au théâtre à des gens peu habitués à sa fréquentation. Il s’agissait donc de se rapproprier les mythes qui hantent nos inconscients et de les réintégrer dans notre modernité.
C’est une œuvre à part entière. Un bien commun, un héritage neutre à partager dans la plus grande intimité. Pour trouver l’espace favorisant cet échange, nous avons interrogé la matière même de la représentation, les rituels, les lieux, l’espace… Nous sommes allés plus loin dans l’épure en concentrant le maximum de sens dans le minimum d’espace. Ce lieu de vie confidentiel révèle au grand jour le jeu des pulsions engendré par la grande promiscuité des corps et des voix. Un travail sur les forces physiques de l’espace et de la langue. Pour que l’on se sente respirer ensemble."
Marie-Claude Morland
D'après l'oeuvre de Jean Racine et les poèmes de Marc Blanchet.
Que la présence d'une langue contemporaine à l'intérieur même d'une pièce de Racine crée une certaine appréhension fut la porte par laquelle je suis entré dans ce travail. Je pensais ne pas pouvoir dépasser ce sentiment : mais j'ai parlé de porte, signe qu'un espace s'est ouvert et que nous nous sommes retrouvés, le Théâtre du Trèfle et moi, dans la chambre racinienne où se jouent les passions et la douleur des devoirs.
Parlons donc, via une seconde langue poétique, d'une visitation, aboutissant après plusieurs mois de travail à un objet singulier. Il ne s'agit donc pas ici d'un détournement ou d'une réécriture : la pensée de Racine, l'histoire d'Andromaque se font entendre dans ce spectacle tout comme ma propre écriture vient s'immiscer, rythmer, contraster avec la beauté de feu glacé des paroles de Racine.
Traversé d'un long poème véhiculant l'image d'un fleuve, continuité et discontinuité d'un monde liquide qui "ne meurt jamais", entrecoupé des souffles, halètements et aspirations d'une parole qui s'espère non moins vivante que celle du fleuve racinien, Une autre Andromaque met en scène à travers la lecture d'une pièce classique nos devoirs plus que nos lois, nos désirs plus que nos envies. La pièce n'affirme rien mais suggère, elle appelle à un discernement que la langue classique porte en elle et qu'une écriture contemporaine poursuit dans ses échos, ses clameurs, peut-être sa vérité.
Si on allait voir une pièce de Racine "pour pleurer", j'espère qu'à ces pleurs versés, qu'ils le soient sur la pudeur d'un visage ou dans les paysages intérieurs et intouchables du coeur, s'ajoutera un peu de ma fièvre et ma passion de vivre.
Marc Blanchet, poète
« Une autre Andromaque ? Toutes les Andromaque, aimerait-on plutôt avancer, ni celle de Racine - que l’on entend pourtant magnifiquement, comme une voix que la coexistence avec d’autres paroles fait résonner encore davantage, et au plus près -, ni celle de Marc Blanchet, dont le lyrisme, aux traits parfois délibérément archaïsants, n’est ni d’hier ni d’aujourd’hui, plutôt hors temps, comme une voix primaire.
Celle des éléments qui sourdent, s’annoncent et traversent les personnages. Traversent les "acteurs", puisque c’est ainsi qu’on désignait les personnages au XVIIe siècle : des corps, d’abord, agis par les mots qu’ils profèrent, qui leur sont offerts, non en guise de consolation mais parce qu’il leur appartient de dire par quoi ils souffrent, par quoi ils meurent. Par quoi ils sont habités, là, sous nos yeux, dans cet espace de tout commencement et de toute fin, et comme aliénés, au sens propre, c’est-à-dire rendus autres : quelque chose leur échappe, quelque chose les brûle, quelque chose profondément les entaille, que chaque poète tente de dire avec ses mots propres. »
Dominique Moncond’huy / professeur à l’Université de Poitiers
Spécialiste de l’Esthétique tragique
« L’espace de la tragédie est pour moi un espace de sécheresse, d’aridité, de chaleur, un espace où les forces de la nature sont très présentes mais invisibles - Un espace d’éternité - Un désert habité de forces. L’espace de jeu central ne pouvait qu’être un morceau prélevé. Un plateau minéral, une grande dalle de pierre, comme ces grandes plaques de lave volcanique que j’ai vues un jour à Volvic. Le choix du carré s’imposait pour la rigueur et l’équilibre nécessaires à " sacraliser " cet espace, ce ring, cet autel, où va se jouer le drame.
Mais bien que le minéral soit éternel, il est, comme l’homme, faillible. Ainsi la dalle de pierre se craque et se fend sous la poussée des forces chthoniennes, laissant deviner à travers les fentes de ses faiblesses un autre monde d’outre monde, où les puissances obscures sont à l’œuvre pour nouer et dénouer les destins humains. »
François Peyrat / plasticien - céramiste
« Personnellement, je n’aime pas que l’on bricole les classiques. Racine m’appartient et n’appartient qu’à moi. Qui peut avoir l’impudence de couler ses propres vers dans les alexandrins immortels ? Marc Blanchet a eu cette audace et, heureuse surprise, l’objet théâtral existe et effectivement une autre Andromaque souffre à nos yeux. Les vers de Marc Blanchet, sans servilité ni rupture, se coulent dans ceux de Racine à l’image du fleuve de sang qu’il offre à notre effroi. (...) C’est donc effectivement une autre Andromaque qui nous est donnée à découvrir, un spectacle exigeant qui parle à la sensibilité autant qu’à l’intelligence. » J. R., Vaucluse Hebdo, 15 juillet
53, rue Notre Dame des Champs 75006 Paris