Extraits
Lettre de Françoise Arthaud à
l'auteur
Note d'intention
Je suis toute seule et je ne peux parler qu'à moi seule.
Jamais, jamais, je te tiens vie, je te tiens.
JE SUIS SOUVERAINE.
Et j'aurai ma revanche parce que j'ai conscience.
Moi c'est elle, mes robes! frénétiquement mes robes! des parfums! miroirs!
J'aurai confiance, je vous le promets, je me promets.
Et je gagnerai c'est sûr.
Seule dans les velours et les miroirs qui reflètent seuls mes yeux et la mort. Personne juste mes yeux à qui raconter la mort.
Je suis seule pour l'éternité avec moi-même.
Personne jamais ne me séduira.
Tous ces cris qui sortent de leur gorge parce que je ne peux pas. Moi je ne peux pas.
J'ai froid.
Trente ans déjà et cette course effrénée, mes mains vides sur ma poitrine.
Enfants, mari, sang, j'essaie. Essayer la vie.
J'ai tant essayé, je ne peux pas et je cours vers ma mort comme aux noces d'un village.
Brûlez-moi. Torturez-moi. Et la neige toujours. Tout ce noir cette nuit qui vibre.
J'attends alors la mort impassible, elle a toujours été si proche ses mains collées à mon ventre même les sacrifices ne l'ont jamais éloignée, Jamais.
Si je pouvais brûler mon corps et le regarder.
Eteignant à jamais cette morsure de glace au cur
La chair fardée n'a plus la même volupté.
Tous mes serviteurs morts exécutés
Pourquoi?
ils n'ont rien fait.
M'obéir dangereux?
Lettre de Françoise Arthaud à l'auteur
lvane,
je t'ai rencontrée "Sirène", au coeur d'une bulle de champagne géante, tu l'aimais tant! C'était lors d' un tournage, le 19 septembre 1985. La rencontre fut immédiate et intense.
Très vite, j'ai lu tes textes et Une grande période de douceur m'a touchée entre tous. Il y eut de nombreux thés fumés chez toi, des coupes de champagne ou de crémant de Bourgogne que nous allions chercher chez Legrand juste en bas. Des tagines de poulet, des caviars d'aubergine, tu cuisinais très bien, des rendez-vous au salon de thé de Peggy, Galerie Vivienne, ou dans un bar à vins rue des Petits Champs, les courses chez Marks et Spencer et rue Montorgueil, des frénésies de se voir puis des silences, des ellipses comme dans ton écriture. Un coup de fil, un petit mot, parfois un appel à l'aide de l'une de nous lors d'une blessure d'amour, et l'on se retrouvait dans cet univers unique, magique, le tien: les tissus indiens, Foxy le chat, les jolis mugs pour le thé, la lingerie fine séchant dans la salle de bain, tes ongles et ta bouche rouge sombre, Opium, tes magnifiques bracelets manchettes St Laurent, que tu portais sur "tout ce noir qui vibre".
Un parfum de salon du XVIIIème siècle...
En 89 je t'ai demandé si tu pouvais réécrire Une grande période de douceur pour un seul personnage. En une nuit c'était fait. Nous avons commencé à répéter dans ton petit appartement, entre deux tasses de thé, deux coups de téléphone, de délicieux sandwiches anglais au léger goût d'aneth que tu préparais. Mais tu étais débordée, toujours, c'était l'époque du chant du Départ, du reste mettre en scène ne te passionnait pas. Tu n'aimais qu'écrire, et aimer.
Il y eut "une grande période de silence".
Je me souviens t'avoir appelée, tu n'avais le temps ni de parler ni de voir personne; était-ce notre dernière conversation téléphonique?
Je ne peux me souvenir non plus de la dernière fois où je t'ai vue, je pensais que tu serais toujours là.
L'automne 94, je suis partie pour une tournée en Afrique. Je ne sus rien de ta mort. Ces longues absences entre nous n'étaient pas inhabituelles.
L'hiver 95 j'ai entendu "il n'y a plus d'abonné au numéro que vous demandez". Mon unique pensée frit "Ivane est morte", il m'était impossible de t'imaginer ailleurs que dans ta retraite.
En juillet 96, j'ai traversé une période difficile, j'ai relu Une grande période de douceur, ce texte de mort, mort d'Erzebeth, de toutes ces victimes, jusqu'à ta propre mort. J'ai retrouvé ma première fascination intacte, et j'ai décidé de le jouer. Ce fut long. Je suis retournée chez Legrand en septembre 96 et grâce à Francine, j'ai pu retrouver ta maman, croisée une fois seulement; c'est ainsi que j'ai déposé le texte à la SACD car tu ne l'avais jamais fait.
Plusieurs années à chercher un metteur en scène; ton texte les déroutait un peu; l'évidence s est imposée: le monter moi-même. Quand je jouerai j'aurai l'âge que tu avais quand tu l'as réécrit.
"Sorcière on te dit, fascinante et troublante on te dit".
Tu restes lumineuse comme ces petites étoiles et lunes phosphorescentes collées au dessus de ton lit pour Justine. Ton foulard noir à curs beiges et rouges est toujours là. "Rubis, hyacinthes, turquoises, je vous les donne". Pulls, boucles d'oreilles, j'ai tout gardé de toi.
J'ai retourné mon appartement pour retrouver une carte postale que tu m'avais envoyée: un bouquet de roses blanches; chez toi il y avait toujours des fleurs; tes"lys violets en grands bouquets"me manquent.
Françoise Arthaud
Septembre1997- décembre 2000
"La cruauté est théâtre... L 'écriture... nostalgie impure de / l'enfance." J-P Renault (Préface d' "Erzebeth"de Claude Prin)
Erzebeth Bathory était un monstre.
Selon son désir environ 600 jeunes filles écorchées vives, torturées, égorgées, mutilées ont donné leur sang comme élixir de jeunesse.
Erzebeth Bathory fut condamnée à être emmurée dans une chambre de son château de Csejthe. Elle survécut trois ans et demi, et mourut le 21 août 1614, "sans croix et sans lumière".
C'est précisément cette période de la vie d'Erzebeth, qu'Ivane Daoudi a choisi d'évoquer : seule, dans la quasi-obscurité, face à l'ennui et ses souffrances, Erzebeth Bathory déroule pour elle-même le cours de sa vie et fait renaître les personnages marquants de son existence: belle-mère, mari, sorcières, bouffon, prétendants, juge. Ivane Daoudi construit sa pièce en une suite de dialogues isolés, parfois entrecoupés de monologues nostalgiques et récapitulatifs qui s'enchaînent de manière un peu "brouillonne" et désordonnée comme autant de facettes, de reflets d'une femme à l'aube de sa mort, déjà morte d'ennui, et dont l'esprit s'égare dans les limbes d'un mental défaillant.
Cette structure bouillonnante des réminiscences servira de base à l'assise générale de la mise en scène. Cet aller-retour incessant, ce tourbillon de la mémoire permettent un travail approfondi sur le rythme, le texte baroque devient alors portée musicale, partition où la comédienne, seule comme Erzebeth dans son cachot, s'appuiera sur la poésie et le lyrisme du texte comme autant de notes. Rondes, blanches ou noires, croches devront signifier les personnages successifs, l'alternance de la mémoire entre passé et présent, la réalité douloureuse des sentiments, exacerbées par le phrasé.
Parce qu'elle était belle, Erzebeth a tué pour conserver sa jeunesse, et tous les artifices de la séduction, pour toujours être la plus belle, la plus désirable, la plus... Ce culte du corps et du beau, qui la pousse à la monstruosité, est exalté par un esprit défaillant, une épilepsie congénitale qui la mine, la rend folle, l'enferme dans une fatalité morbide sans doute interprétée comme un châtiment divin semblable au destin des Atrides. C'est le corps qui viendra en contrepoint du travail voix/personnages souligner cette dégénérescence du mental. Associé au rythme vocal le corps joue une chorégraphie de I 'alternance entre le fixe et le mouvement, entre la convulsion et le saccadé. Erzebeth n'est plus Erzebeth, dans sa folie, elle devient, elle réinterprète de chair et de sang ses compagnons de vie. L'esprit se perdant, raideur et fluidité s'enchaînent de manière ataxique, comme un automate au mécanisme déréglé ou une danseuse à la colonne vertébrale brisée.
Les juges l'ont condamnée à l'emmurement, c'était rejoindre ce qu'elle connaissait déjà très bien : l'ennui et la solitude. La marionnette désarticulée qu'est devenue Erzebeth, évoluera dans un espace sobre, simple et vide: un miroir, imposé par ses juges, une chaise et quelques accessoires dont elle ne peut se séparer comme son jeu de tarots, reliques de son rang, de sa puissance d'autrefois. Cependant parce qu'Erzebeth aimait la vie, et séduire, les costumes reflèteront par leur luxuriance rouge et blanche une séduction vénéneuse pour laquelle Erzebeth ira jusqu'à assassiner.
Il est à noter cependant que le désir de vie et d'amour si grand chez Erzebeth, cette énergie vitale, cette volonté farouche et tenace d' aller toujours plus loin, plus haut, de dépasser ses limites, sous-tendra constamment le spectacle que l'on voudrait esthétiquement beau et flamboyant.
Enfin, on peut se demander pourquoi aborder par le biais d'un texte poétique, l'auteur de tels actes de barbarie ?
La réponse est peut-être dans le titre, qui peut sembler ironique et cynique : "Une grande période de douceur" ?
Douceur de l'enfance, de la joie de vivre, de l'insouciance des jeux, fussent-ils aussi cruels que d'arracher en toute innocence les ailes d'une mouche ? Ce caprice qu'elle conservera toute sa vie.
Douceur d'être puissant, d'en faire à sa guise, d'avoir un rang à tenir devant Dieu et les hommes ? Jusqu'à traiter les autres comme de simples marchandises, toujours persuadée de son bon droit, et sans repentir aucun.
Douceur de l'amour, de séduire, de plaire, d'être aimée, remarquée, choisie par Ferencz son mari son seul amour perdu ? A sa mort, Erzebeth commencera ses exactions.
Douceur de la tranquille souffrance, et de l'attente de la mort, douceur des souvenirs à dire comme pour ne retenir que les plus délicieux, les plus vivants, les meilleurs ?
Nous ne choisirons pas : Erzebeth est, a été une femme emmurée et le restera; emmurée dans son époque et sa société, emmurée dans son ennui, emmurée dans sa folie. Gardons-lui son mystère. Ses résonances, son écho, s'entendent encore aujourd'hui.
Françoise Arthaud
6 mars 2001
32, rue des Trois bornes 75011 Paris