Des poings qui parlent
Note d'intention
Extrait
Ce monde qui nous entoure
Comment pense le boxeur
Norbert Ekassi
« Quand les mots sont muets, les poings parlent ! » Profession de foi d’un boxeur éclairé ou triste constat d’un homme sur son espèce, on est en droit de s’interroger ? Pour Eugène Djikine, il semble que seule compte les quatre cordes du ring et le gong qui sonne la défaite de ses adversaires. A ces victoires qui ne cessent de s’accumuler, Eugène ne souhaite qu’une chose pour la suivante, qu’elle soit plus rapide, plus éclatante, exemplaire…
Prisonnier de « beau succès » Eugène attend la reconnaissance de sa dimension de champion ; la lui donnera t’on ? Questionné sur ce point son manager, François-Joseph Movenko est sans détour, « Eugène reste notre dernier espoir pour asseoir cette suprématie mondiale qui nous fait défaut ». Privé de titre, l’homme attend dans l’espoir de l’organisation de ce combat qui lui échappe. Est-il le champion ou, ainsi que nous l’évoque ce sentiment saisi lors de son dernier combat, « je ne suis pas le passager de la cabine 213 dans la croisière du Pharaon palace ».
Impression à chaud qui nous oblige à détourner les yeux du ring pour nous concentré sur la pensée de cet homme, ce boxeur, Eugène Djikine. Un homme qui se bat pour faire exister sa vie…
Désireux de rester fidèle aux principes de vérité, la mise en scène se veut l'illumination du théâtre vivant et de ses qualités essentielles ; l'union des contraires et l'hétérogénéité, le refus du point de vue unique l'impureté, l'ambiguïté sans que cela empêche la clarté, l'évidence - aussi énigmatique soit elle - la matérialité, la mobilité, la recherche d'une fluidité et d'une organicité qui préservent l'essentielle contradiction. Autant de valeurs qui peuvent être incarnées en un mot, «juste». Indice majeur d'une démarche esthétique propre à restaurer la confiance et l'ouverture dans l'homme et au monde sans en privilégier aucun, mais en veillant à leur commune présence.
En s'opposant de fait à l'artifice, la scénographie apparaît alors comme une manifestation de la vie concentrée dans une coexistence de l'acteur et du personnage, de la scène à la salle. Cette volonté d'adaptation scénique à notre époque, au temps qui transforme tout, est essentielle, car elle signifie justement que l'on est en vie. Condition sine qua non pour mettre à nu l'essence tragique de cette pièce, et surtout la tragédie de homme « en qui l'on ne croit pas ».
L'homme, cet élément formaté, composant de notre société ou la qualité est devenue un défaut et le défaut une qualité. Dans ce brassage terrifiant, que devient l'être humain normal qui n'a pour seul but que d'essayer d'accréditer en lui, la qualité comme une chose nécessaire ? L'homme de talent est inutile, et l'homme sans talent est important - tout est complètement retourné. Dans une civilisation de masse, il faut aplanir, aplanir au maximum.
Permettons alors, au théâtre vivant dans sa juste expression, de continuer à dire toutes ses vérités au monde, même les plus gênantes et les plus terribles. C'est le seul endroit où cela est permis, encore. C'est l'endroit, le lieu unique où la conscience des individus est encore en contact avec elle-même et peut débattre intérieurement en silence, avec l'esprit, depuis que le monde est monde.
Movenko : (il s’adresse au garçon) Tomate et vodka. (il reprend la communication, le garçon se dirige derrière le bar) Non ! Treize heures c’est treize heures, et puis merde, j’en ai plein les bottes ! Non, il fait une chaleur infernale, j’ai faim et... Exactement, je vais déjeuner, et je prends le premier avion en partance. Non n’insiste pas je… (le garçon sort une bouteille vodka une tomate et un verre de derrière le bar, et le pose sur le comptoir) Attends une seconde. (qui s’adresse au garçon) Qu’est ce que c’est que ça ?
Le garçon : Tu dis tomate et vodka !
Movenko : Le jus pas le fruit ! (qui reprend la communication) Non, rien, je parle au garçon, tu… (le garçon pose sur le comptoir un presse agrume et un couteau) Qu’est ce que tu fais ? (il reprend la communication) Non, je… Ecoute Jacques je te rappelle ! (il raccroche)
Le garçon : Vous pas content ?
Movenko : Oui moi pas content, moi en nage. (qui articule grossièrement) Le Coca-cola, toi connaître !
Le garçon : Tu veux !
Movenko : Oui. (qui s’assoit) Le garçon lui apporte une canette de coca.
Movenko : (il inspecte la canette) Eh bien voilà ! Ils sont tout de même très forts. On serait au fin fond de la brousse qu’un singe pourrait en trouver. Tu sais ce qu’il y a dans cette bouteille, petit ?
Le garçon : Du coca.
Movenko : Non mon garçon. Là dedans, il y a la liberté. (il boit une gorgée) Ce jus noir et pétillant c’est la civilisation. (il boit une gorgée) Le jour où ce cette petite canette aura disparu, c’est que le monde libre aura cessé d’exister. Tu aimes ça, le coca ?
Le garçon : Moi libre.
Movenko : Alors, paies toi à boire !
Abus de la vulnérabilité de la personne - fourniture de services non rétribués. L'article 225-13 du code pénal punit de deux ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende le fait d'obtenir d'une personne « en abusant de sa vulnérabilité, ou de sa situation de dépendance, la fourniture de services non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec le travail accompli. »
(Art. 225-13 du code pénal)
« Si quelqu’un te frappe sur une joue, présente lui aussi l’autre » Evangile Luc 6:29
« Ce qui est ainsi livré au public, c’est le grand spectacle de la Douleur, de la Défaite et de la Justice ». Roland Barthes
Spectacle éternel, mise en scène immuable, des jeux du cirque jusqu’au Golgotha, du sang, de la sueur et des larmes… Un homme, les bras en croix, des os qui craquent, les spectateurs hurlant à la mort, les femmes se couvrant les yeux mais regardant entre leurs doigts. Pour paraphraser Barthes, la boxe participe par nature à ces grands spectacles solaires. Une fois enjambée les cordes du ring, dévêtus de leur peignoir, les boxeurs s'avancent pour recevoir les recommandations de l'arbitre. Hommes au combien magnifiques, car si l’objectif est de détruire, il est en même temps une celui de la fabrique des corps, dont l'exercice quotidien donne aux boxeurs des proportions jamais égalées par les autres "corps sportifs". Une esthétique des corps qui se conjugue avec le ring, où par l’affrontement d’hommes qui ne se connaissent pas, devient le lieu de tous les possibles. Si la boxe est un "art", une "science"ou encore un "métier", celui de donner des coups sans en recevoir, ce n’est certainement pas un don. Car si cette discipline qui peut faire d'un homme un champion et un pauvre type, en apprenant à en abattre un autre, elle n'apprend jamais à construire une vie.
Directement inspiré du pugilat grec réservé à la noblesse, que les romains firent évoluer techniquement par le développement de l'entraînement sur sac de sable, du jeu d'esquive, le pugilat a toujours su privilégier la noblesse du geste. A contrario, la boxe anglaise tel que nous la connaissons, n’est le fait que de la volonté financière des parieurs. Façonné par l’argent, la vie d'un boxeur n'est pas une vie sûre et n'a rien d'un modèle, et c'est bien là ce qui fascine le spectateur et ce qui fait peur au boxeur. Un boxeur qui, dans toute sa carrière, n'aurait pas éprouvé la peur, est un boxeur imaginaire. Voilà pourquoi l’une des règles d'or de la boxe, en cela distinct des autres activités humaines, sauf peut-être l'assaut en guerre, consiste à ne pas penser avant. L'intelligence des boxeurs est pratique d'une part et pragmatique d'autre part.
Mais tous les boxeurs désirant gagner de l'argent et devenir des idoles savent qu'ils tentent la mort, dès l'instant où ils croisent les gants. Ne pas penser avant, donc, tout en obligeant cependant l'autre à le faire. Cette guerre psychologique dynamise le jeu des paris, élément fondamental dans la vie de la boxe. Prévoir, et non seulement voir, reste la finalité absolue des défis que les boxeurs se lancent à eux-mêmes et que relayaient les futurs spectateurs du combat. Si la boxe n'est pas une pensée et commande même, de ne pas penser avant, elle n'exclut pas la pensée. Cette pensée apparaît donc, comme un moyen pour les hommes de se construire eux-mêmes, en intériorisant progressivement ce qui d'abord leur échappe, puissance physique, contrôle social et discipline personnelle. Cela dit, la question n'est pas de savoir pourquoi le combat, mais plutôt comment pense le boxeur ? Comme il serait tout aussi stupide de croire que les boxeurs n'ont jamais d'idées.
26.12.1995 - Ekassi n’est plus !
Après avoir frappé du poing dans une porte vitré de son appartement, le spectaculaire lourd léger est mort, à 29 ans, vidé de son sang. La nuit de Noël…
28.06.1995 - Ekassi expéditif !
En mettant K.O. l’américain Mc Murray en deux minutes, Norbert Ekassi a manifestement retrouvé confiance, et il a une nouvelle fois assuré le spectacle, tant durant le combat qu’après, puisqu’il s’empara du micro et annonça aux spectateurs, d’un ton rageur : « Norbert Ekassi est de retour ! J’ai juré sur la tête de mes enfant que je reprendrai Gourov ».
3.02.1994 - Ekassi est à point !
Explosif devant l’américain Boulware, Norbert Ekassi confirme qu’il mérite une chance mondiale. Cela suffira t’il ?
1.11.1993 - Ekassi à tout casser !
Le Camerounais bientôt naturalisé Français, a un beau coup à jouer contre l'Américain Warring, demain à Levallois, pour faire enfin valoir ses arguments au niveau mondial.
Fiche
Né le 25 octobre 1966 à Yaoundé Cameroun
1,90 m pour 87 Kg. Droitier
Licencié par la fédération en novembre 1988
29 combats : 23 victoires (21 avant la limite) 1 nul, 5 défaites.
Dernier combat : victoire par K.O. au 1° round, contre l’américain Mc Murray Le 27 juin 1995 à Levallois-Perret
15, rue du Retrait 75020 Paris