Il existe deux versions de Vassa Geleznova : la première écrite en 1910, à Capri, où Gorki vit en exil depuis quatre ans. La seconde qu’il achève à Moscou, en 1936, un mois avant sa mort. C’est cette dernière version qui jusqu’ici a toujours été montée.
Pourquoi ce choix de travailler à partir de la version la plus ancienne ? La différence ne réside pas principalement dans les détails de l’intrigue. Même si la situation générale varie quelque peu, c’est d’abord une question de climat qui l’emporte : dans la version de 1910, tout est beaucoup plus violent, plus brut, la vision est beaucoup plus noire. On dirait du Tchekhov mais peint de couleurs vives, expressionnistes. Les héroïnes de Tchekhov et celles de Gorki ont un lien de parenté : elles rêvent d’une autre existence, mais celles de Tchekhov vivent en imagination leur rêve, se sacrifient, se résignent. Celles de Gorki sont prêtes à tout pour s’en sortir.
A travers cette image ultra-pessimiste d’une humanité n’ayant plus d’autre horizon que celui des intérêts privés, se dégage quelque chose de très proche de nous et de la Russie actuelle, un peu comme s’il devait y avoir là-bas une sorte d’éternel retour.
Le sujet véritable de la pièce, ce sont les relations entre les hommes et les femmes au sein d’une famille. Pas l’amour, mais ce qui les dresse les uns contre les autres en un combat sans fin. Avec, de façon étonnante, une dominante de l’aspect féminin, du monde féminin : à travers le portrait de Vassa Geleznova, femme d’action rusée mais mère avant tout, d’une tendresse parfois terrifiante, comme avec sa fille aînée Anna ou sa bru Ludmilla, c’est en effet le matriarcat que l’on voit à l’oeuvre. Comme une force que rien ne peut arrêter, comme un travail. Tandis que le père, symbole déchu de la toute puissance tyrannique, agonise en coulisse.
Femme d’entreprise énergique, Vassa ne s’autorise aucune faiblesse et son intransigeance devant la médiocrité cupide de ses propres fils et les petites intrigues de son beau-frère est sans pitié. Loin de toute morale, n’hésitant pas à rejeter violemment ceux qui lui font obstacle, prête à tout pour éviter la ruine, c’est à ce titre, comme une pure force, qu’elle fascine.
De la version de 1936 sera gardé le lien affirmé à la Volga, via la compagnie de navigation dont Vassa Geleznova a repris la direction. Entre ce grand fleuve qui aura été le territoire de Gorki et Vassa elle-même, il y a une parenté de fond, qui m’autorise à travailler sur mes propres souvenirs de la Volga immense.
D'après Vassa Geleznova de Maxime Gorki.
Traduction Gilberte Tsaï et Macha Zonina
Place Jean Jaurès 93100 Montreuil