Sur scène, une cuisine de restaurant. Les cuisiniers et les maîtres d’hôtel ont déserté les lieux. Si nous voulons manger, il faut se mettre derrière les fourneaux. En suivant des instructions précises dans un ordre déterminé, chacun est invité à venir mettre la main à la pâte. À quoi ressemblera le dîner ? Nous le saurons seulement à la fin de l’expérience. À vous d'entrer dans le jeu, d'ajouter votre grain de sel, de suivre les règles ou même de les transformer... Christophe Meierhans tire les ficelles de cette expérimentation collective culinaire.
Cet artiste suisse vient du monde de la performance, de la musique et de la vidéo. Pour lui, la scène de théâtre est un espace de confrontation avec le public qui permet de faire réfléchir à la pratique de la démocratie. Ce qu'il préfère, c'est jouer avec les attentes du public et créer du débat.
En 2014, avec Some use for your broken clay pots, il nous avait embarqués dans l’invention d’une nouvelle constitution politique. Rien que ça... Cette fois, Christophe Meierhans continue à réfléchir à la pratique de la démocratie, et souligne la responsabilité individuelle et collective à l’œuvre dans les préparatifs d'un repas. Que se passe-t-il quand on veut concilier des préférences gustatives opposées ? Comment contenter chacun et garantir le bon déroulement du repas, rituel collectif ? Ce spectacle participatif aura, chaque soir, une saveur unique, avec un assaisonnement dramatique ou comique, selon que les cent spectateurs auront réussi le menu... ou pas.
Inspiré d'une idée originale d'après Verein zur Aufhebung des Notwendigen (Association pour la transcendance du nécessaire)
« Il ne s'agit pas cette fois d'être ce que nous mangeons, mais de manger ce que nous sommes, même avec dégoût. » Télérama TT
Un repas est un nœud existentiel, éthique, politique, esthétique, économique, social, rituel et religieux. L’universalité du repas comme fait humain, ainsi que sa nature conviviale, en font un format idéal pour se frotter artistiquement à la politique de la communauté.
Le spectacle est annoncé de façon explicite comme un repas. On compte en conséquence sur des spectateurs qui n’auront pour la plupart pas dîné avant de se rendre au théâtre et qui y entreront avec l’attente de s’y voir servir de la nourriture. En même temps, comme ils viennent pour assister à un évènement artistique, les spectateurs s’attendront certainement aussi, malgré leur appétit, à quelque chose qui dépasse la seule sustentation. La pièce se déroule ainsi dans un champ d’expectatives polarisé entre l’urgence de satisfaire à une nécessité immédiate (la faim) et le désir de découvrir quelque chose qui dépasse cette même nécessité (l’art).
Les attentes, la faim, l’appétit, le goût, la morale, les convictions, l’appartenance et les croyances sont les paramètres de la tension politique. En pénétrant dans la salle de théâtre, les spectateurs deviennent membres de « l’Association pour la transcendance du nécessaire ».
Par la nourriture, ils deviennent parties prenantes de ce qu’il adviendra pendant le spectacle, soit, très littéralement, de ce qu’il s’y produira. Cette performance théâtrale participative met chaque membre du public en position d’impacter la définition, l’évolution et le résultat de la situation à laquelle
ils participent. En d’autres termes, ce que les spectateurs mangeront — s’ils mangent — dépendra essentiellement d’eux-mêmes.
À l’entrée de la salle de théâtre, un distributeur automatique enjoint le spectateur de se munir d’un ticket numéroté.
Une fois tous les spectateurs installés, l’obscurité est faite et la scène s’illumine, dévoilant une spacieuse cuisine de restaurant. La scénographie comprend tous les attributs d’une cuisine entièrement équipée, du couteau à la casserole en passant par le chinois et le fourneau.
Au-dessus du plateau, un écran numérique à LED est suspendu. À l’avant-scène, un gros volume est posé, dont la couverture annonce « Recettes ». La couverture du livre est projetée en grand sur un écran à l’arrière scène. À chaque numéro qui s’affiche, le spectateur détenant le ticket correspondant se rend sur scène, consulte le livre de recettes afin d’y trouver l’instruction culinaire à réaliser, s’exécute et retourne s’asseoir.
Le rythme des numéros appelés par l’écran à LED et les instructions du livre de recettes constituent le dispositif dramaturgique central de la pièce. C’est lui qui dirige la succession des actions qui composent le spectacle et qui sont toutes (à quelques exceptions près) exécutées par les spectateurs. Toutefois, la recette du menu que cuisinent les spectateurs ne détermine pas quels sont les plats qui seront préparés et, le cas échéant, dégustés. Il s’agit d’instructions ouvertes qui, plus que de prescrire une tâche clairement définie, délimite un champ d’actions possibles. Les instructions données au public garantissent les conditions adéquates pour l’élaboration collective d’un menu à trois plats, mais il n’y a aucune garantie que ce qui en résultera sera effectivement un menu à trois plats. Il s’agit d’un restaurant dépourvu de tout chef, ou alors, c’est un restaurant peuplé d’autant de chefs qu’il y a de convives.
Au cours du spectacle, les spectateurs sont invités à la construction de la pièce. Chacune de ces actions affecte le cours des événements en établissant les nouvelles conditions pour toutes les actions qui la suivent. Les instructions données au spectateur sont déterminées de telle façon à maximiser les conséquences que chaque action aura sur les autres. Quelqu’un ajoutant de la viande à une préparation en exclura de fait les végétariens ; l’usage d’un mixer suggérera la préparation d’une soupe, l’ajout de café fraîchement percolé à la soupe lui donnera un goût inhabituel, un spectateur ne se rendant pas sur scène pour exécuter son action peut avoir pour conséquence qu’un plat entier soit brûlé...
À chaque étape de cette chaîne de causes et conséquences gastronomiques, un spectateur différent est appelé à prendre la décision et à la mettre en pratique sur seule base de ses propres goûts, éthique, croyances, opinions et positions. En même temps, ce moment de réalisation individuelle a lieu devant tous les autres spectateurs qui suivent — de manière plus ou moins silencieuse — le déroulement de leur destin en commun.
« L’ambition de ce travail est d’approcher la responsabilité en tant que quelque chose d’authentique, c’est-à-dire, en tant que quelque chose qui porte à de véritables conséquences. Elle existe notamment car chacun a la certitude qu’aucune autorité supérieure n’interviendra pour coller les pots cassés si d’aventure quelque chose devait aller dans la mauvaise direction. » En ce sens, ce spectacle est autant ouvert à la réussite inespérée de la collectivité, au miracle de la spontanéité qu’au chaos, à l’échec et aux désastres divers... Il questionne ce qui fait encore société, ce qui fonde notre « vivre-ensemble », ce qui ancre les individus dans le collectif.
63, rue Victor Hugo 93100 Montreuil