"Dave : Je me suis regardé dans la glace et je me suis dit, je me suis dit : "Tu es un homme. Un homme qui assure mais pas un homme heureux. Pas un homme complet." Et puis je me suis demandé : "Cest quoi un homme sans une femme ? Cest quoi ?" Sil est seul, ni le boulot, ni largent, ni la foi ne le mèneront nulle part. Mais avec une femme..."
" Les thèmes de mes pièces - la mort, la folie, l'amour, la perte, les familles, l'échec, la communication et son manque - peuvent paraître évidents - pas particulièrement originaux, c'est sûr - mais ils sont profondément inscrits dans notre inconscient collectif. Des histoires enfouies. L'étoffe de nos rêves et de nos cauchemars. Comme les soucoupes volantes et le sexe, ils offrent une irrésistible source de curiosité. Quiconque n'a pas vécu les sortes de trucs contenus dans mes pièces peut tenir pour certain qu'il en aura encore l'occasion. Et quiconque les a déjà vécus - je l'invite à se sentir chez lui. " Joe Penhall. Londres 1998.
Londres, aujourd'hui. Grâce à son frère Steve qui s'est porté garant, Tom sort de l'hôpital psychiatrique. Tom est heureux. Traumatisé par le souvenir de leur père qui a noyé sa vie dans la bière, Steve a serré les dents, il a travaillé, il a réussi. La gargote familiale est devenue un restaurant branché. Aujourd'hui il accueille son frère. Steve est heureux. Mais pour eux deux la vie ne se dit pas avec les mêmes mots. Pour Tom elle est... autrement. Sur son chemin, des laissés pour compte de la réussite économique, accrochés à un morceau du radeau, Laura, Daves, Ives, autant de naufragés que Steve ne peut accueillir dans son rêve. La vitalité de Tom, sa fureur de vivre, détournent un instant chacun de sa trajectoire et la modifient.
Au quotidien, vivre avec "l'autre", quelqu'un d'autre n'est pas simple. La relation est problématique et l'aménagement du territoire semé d'embûches. Mais quand "l'autre" devient "Autre", quand son étrange conception du raisonnable vous perturbe, une attitude s'impose : défendre son territoire, son avenir proche ou lointain. Il faut envisager la séparation d'avec cet "autre" tellement "Autre".
Les moyens sont multiples et variés, chaque milieu, chaque époque, chaque société, a inventé, invente, inventera les siens... Inventera ? La cause est-elle, aujourd'hui, si désespérée ?
Joe Penhall se pose la question, mais sa réponse est une avalanche de questions... et si "l'autre" n'était pas si "Autre" que cela ? Si nous étions à ses yeux aussi "Autre" qu'il l'est pour nous ? Si chacun d'entre nous pouvait à tout moment basculer dans ce no man's land où l'on relègue "l'autre", intolérablement "Autre" ?
Si "l'autre" était celui qui se pose avec candeur, urgence et souffrance la seule question qui vaille : comment vivre pour être un être humain ? Si la rencontre avec "l'autre" était l'ultime chance ? Le rendez-vous à ne pas manquer ? L'occasion pour chacun d'entrevoir aussi cet "autre" qu'il est lui-même à ses propres yeux ?
Joe Penhall questionne en écrivant pour le théâtre. Il trouve dans la structure narrative une liberté qui s'apparente à l'écriture cinématographique, mais le texte essentiellement dialogué est à ce point la chair même de l'action que la parenté avec le cinéma n'est qu'apparence. Le théâtre seul peut en accueillir la brûlure, parce qu'au théâtre toute question se pose pour de vrai, ici et maintenant, dans l'imaginaire et le présent, dans l'illusion du "réel", avec tous ceux qui sont là ce soir-là, acteurs et public. Cette éphémère rencontre - déjà en soi une expérience sensible de l'altérité - offre un espace de résonance exceptionnelle aux questions que se pose et nous pose Joe Penhall avec cette pièce.
Comment est-il raisonnable de vivre ?
Quand vient la déraison ?
Comment ramener l'autre à la raison ?
Comment vivre avec les raisons de vivre de l'autre, avec sa déraison ?
Faut-il se débarrasser de l'autre ?
Hélène Vincent
159, Avenue Gambetta 75020 Paris