En espagnol et italien surtitré. Déconseillé aux moins de 16 ans.
« Au début », confie Angélica Liddell, « je voulais parler du désir, du pouvoir du sexe sur la volonté ; mon intention était de comprendre Tarquin. » Or elle fit tant et si bien qu'à force de le comprendre, elle finit par l'aimer. L'histoire de Lucrèce, telle qu'elle est lue d'ordinaire, est pourtant celle d'un viol dont la vengeance déboucha sur la fondation de la République romaine. Certains auraient pu s'attendre à ce qu'Angélica Liddell propose une relecture féministe radicale de la légende. Il n'en est rien. Loin de s'attacher à réinterpréter la souffrance de Lucrèce, c'est la souffrance de Tarquin qu'elle aborde – autrement dit, celle d'un homme.
Au lieu d'opposer à une simplification politique une contre-simplification qui resterait finalement enfermée sur le même terrain, Liddell invente un tout autre plan. Son intention n'est pas, n'a jamais été, de corriger ou supplanter un point de vue masculin par un point de vue féminin. Son travail, précise-t-elle, ne part pas d'une guerre des sexes. « Je ne vois pas Tite-Live ou Shakespeare comme des hommes », dit-elle, « mais comme des poètes. De même que j'écris comme poète et non comme femme. Ce qui m'intéresse, ce sont les mouvements et les convulsions de l'esprit. »
« L'artiste n'excuse pas le viol de Lucrèce, elle s'indigne de son suicide « forcé » et pointe la fragilité des êtres, la perversité du désir, l'amour sacrifié. (...) « You are my destiny » exagère, s'étire à l'envi, se perd dans la transe, les cris, le kitsch. C'est égal. Visions fortes, provocation, érotisme, douleur-douceur… En convoquant tous les arts, Angélica nous offre sa « destinée » en grand sur un plateau. » Philippe Chevilley, Les Echos, 1er décembre 2014
Cinq ans après La Maison de la force (2009), Venise est à nouveau présente dans votre dernier spectacle, You are my destiny. Existe-t-il une filiation entre ces deux pièces ?
You are my destiny existe parce que La Maison de la force existe. Il y a entre ces deux pièces un cordon ombilical de feu. Bien que je ne l’aie pas prémédité – car, à mes yeux, le théâtre n’est pas un laboratoire, il n’est pas lié à une recherche mais à l’expérience, à la vie –,You are my destiny est l’envers rédempteur de La Maison de la force, c’est un baptême. Venise fut la ville du déchirement qui donna lieu à La Maison de la force. J’ai écrit une grande partie du texte de cette pièce là-bas, il y a cinq ans. Venise était pour moi associée à la douleur et à des lésions spirituelles irréversibles. Quand on a été humilié, réellement humilié, on développe des sentiments de haine et de vengeance, des sentiments empreints de bestialité qui, bien évidemment, finissent pas se retourner contre nous, par nous calciner. Cinq ans après, je n’ai toujours pas retrouvé certaines émotions. J’ai utilisé la poésie comme une arme, un pistolet que j’ai manié avec la rage d’un assassin ; mon bras était celui de Médée massacrant ses propres enfants. J’ai bâti une pièce sur la douleur des femmes pour me venger des hommes, en utilisant toutes les forces dont je disposais. Je n’étais jamais retournée à Venise, jamais, jusqu’à ce qu’en 2013 je me rende à la Biennale pour recevoir le Lion d’argent. Et voilà que les hommes que j’y rencontre m’enlèvent toute envie de continuer à me venger, à force de respect, de chaleur, de délicatesse, de tendresse... La ville dans laquelle ma vie avait sombré dans les ténèbres me rend soudain la joie qu’elle m’avait dérobée. Un rayon de lumière s’est mis à jaillir de la blessure. Ils étaient là : douze Tarquins à la générosité incommensurable (les douze comédiens avec lesquels j’avais travaillé en répétitions durant la Biennale de Venise et qui joueront avec moi dans la pièce)... Par ailleurs, je ne supportais pas que Lucrèce se suicide pour une question d’honneur, par respect à l’égard d’un mari qui fait de la beauté l’objet d’un vulgaire pari. Où est l’honneur dans tout ça ? Une fois de plus, la vie a contaminé l’œuvre, et vice versa, comme dans Opening Night, le film de Cassavetes. J’ai écrit une Tétralogie du sang, composée des pièces Je ne suis pas jolie, Anfægtelse, Je te rendrai invincible par ma défaite et La Maison de la force. Mais je me dis aujourd’hui que La Maison de la force et You are my destiny forment en réalité un diptyque.
Dans Ping Pang Qiu (2012), vous disiez nourrir le projet d’écrire « juste une histoire d’amour ». L’avez-vous mené à bien dans You are my destiny ?
Bien des fils invisibles se sont entremêlés pour que cette version de l’histoire de Lucrèce devienne une histoire d’amour. Il y a eu la rencontre avec les comédiens à Venise, et Venise elle-même : tous les événements qui s’y sont déroulés ont tracé une voie, un chemin inévitable menant à l’épiphanie, au mystère de l’amour. Sans Venise, la pièce n’existerait pas en tant que telle. Son destin, c’est le hasard. Au début, je voulais parler du désir, du pouvoir du sexe sur la volonté ; mon intention était de comprendre Tarquin. Tarquin n’est pas perturbé, il est un homme qui succombe face à la beauté, un homme tourmenté par la passion. Je l’ai tellement compris que j’ai fini par l’aimer. Mais je ne suis pas sûre qu’il s’agisse « juste » d’une histoire d’amour. Pour transformer le viol de Lucrèce en histoire d’amour, j’ai dû me rebeller contre la vision trop plate des choses. Je ne supporte pas que Lucrèce soit utilisée comme un symbole de vertu parce qu’elle s’est suicidée. C’est la société, cette mercerie bourrée de femmes vertueuses dont il est question dans la pièce, qui la suicide. Pourquoi une femme devrait-elle être vertueuse ? Et je trouve idiot d’utiliser cette histoire comme symbole de la chute des tyrans, en reléguant le viol au second plan ; tout comme je trouve absurde de l’aborder d’un point de vue strictement féministe. Bref, je me révolte contre la récupération politique de Lucrèce. You are my destiny n’est pas « juste une histoire d’amour ». Je dirais que c’est IRRÉMÉDIABLEMENT une histoire d’amour. Tout s’est combiné pour qu’il en soit ainsi. Cette pièce est la fille du fatum. Après, il faut organiser le fatum. Et il faut organiser l’anxiété et le chaos. La pièce est le fruit d’une composition, mais mon travail part toujours du fatum. Je ne peux pas l’éviter. Dans l’une des lettres qu’il adresse à Génica Athanasiou, Artaud écrit une très belle phrase dans laquelle il définit l’amour comme « une reconnaissance d’instinct à instinct ». Il y a quelque chose de cela dans You are my destiny. C’est un acte de reconnaissance de l’instinct. Il y a là des épées en flammes.
Plastique, poétique, mystique, violent, éprouvant : la partition musicale accompagne merveilleusement le spectateur pour le soutenir dans sa distance et le libère finalement
Époustouflant Puissance Beauté Prise en otage pour vivre un moment monumental où tout est là pour vous surprendre
Pour 1 Notes
Plastique, poétique, mystique, violent, éprouvant : la partition musicale accompagne merveilleusement le spectateur pour le soutenir dans sa distance et le libère finalement
Époustouflant Puissance Beauté Prise en otage pour vivre un moment monumental où tout est là pour vous surprendre
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