Ils ne sont plus très nombreux les auteurs dramatiques allemands qui ont connu l’état national-socialiste et vécu la seconde guerre mondiale. Peter Weiss, Heiner Müller, Thomas Bernhard, Heinar Kipphardt, Peter Hacks sont morts… Martin Walser s’est tourné vers la prose et le roman. Rolf Hochhuth n’a plus écrit depuis douze ans. Le vétéran George Tabori écrit toujours, met en scène. Et à l’âge de quatre-vingt ans, Tankred Dorst vient de mettre en scène L’anneau des Nibelungen à Bayreuth.
Tankred Dorst est né en 1925 à Sonneberg, un bourg le “cœur vert de l’Allemagne”. Il a six ans quand meurt son père, huit ans quand Hitler devient chancelier du Reich, dix ans quand il cherche à comprendre les règles du jeu des spectacles que donne en tournée le théâtre de Coburg, chef-lieu de la province, douze ans quand il découvre Grabbe, Grillparzer, Hebbel, Immermann et de bien d’autres auteurs interdits par le régime, tels Heinrich Heine ou Stefan Zweig... Il décide de se faire “dramaturge” et écrit ses premières pièces.
En 1941, pour avoir lu pendant qu’il montait la garde, il est renvoyé au bout de trois jours d’un stage d’instruction de marine des Jeunesses hitlériennes. En 1943, fini le lycée : il est incorporé dans le Service du travail obligatoire. En 1944, à dix-huit ans, il est enrôlé : Dijon puis le front de l’Ouest. Un mois plus tard, il est fait prisonnier de guerre : l’Angleterre puis les États-Unis. Quand il rentre en Allemagne de l’Ouest à l’automne 1947, le bourg natal se trouve tout près derrière le “rideau de fer”, en République démocratique allemande. Il a fait l’apprentissage de la vie avant de faire ses études. Il rattrape le temps perdu, passe son baccalauréat à vingt-quatre ans, entre à l’université de Bamberg, puis de Munich, en études germaniques, histoire de l’art, histoire et sciences du théâtre.
En 1953, il est étudiant et il réalise son vœu : écrire des pièces pour marionnettes. En 1963, il s’empare du Chat botté de Ludwig Tieck pour construire une machine à explorer les rapports entre poète, théâtre et public. La pièce est créée au Deutsches Schauspielhaus de Hambourg. Le compositeur Günter Bialas, en fait un livret en 1974 et, en 1978, Dorst en donne une nouvelle version théâtrale, Le matou ou comment jouer le jeu. L’histoire d’Aucassin et Nicolette, un fabliau français du XIIIe siècle, lui fournit le motif de La mauresque, pièce grotesque toujours dans l’esprit du Puppentheater, créée en 1964. Lorsqu’il quitte le Studio universitaire, au début des années soixante, ses premières pièces de théâtre portent la marque de la marionnette. Les personnages sont tout en surface, des fonctions plutôt que des caractères, comme dans Le virage, dans Une farce, dans Liberté pour Clemens, dans Société en automne, 1960 ou bien encore La grande imprécation devant les murs de la ville, 1961.
Dans ces premiers travaux, Tankred Dorst peine à trouver une alternative réaliste à la dramaturgie de la parabole et il ne tarde pas à les voir d’un œil critique et à prendre ses distances. Toutes ses pièces cependant sont rapidement mises en scène dans le monde entier et dans de très nombreuses langues. Le virage est l’occasion d’un premier travail avec Peter Zadek, c’est le début d’une collaboration et d’une amitié. Avec Toller, en 1968 une porte s’ouvre vers un nouveau théâtre : une nouvelle étape commence. Pendant sa captivité en Angleterre et aux Etats-Unis, Dorst a lu les œuvres dramatiques d’Ernst Toller. Maintenant, il découvre son rôle historique pendant la courte parenthèse révolutionnaire à Munich. Il découvre aussi la richesse humaine de ce gouvernement dirigé par des personnalités comme Léviné, Landauer ou Mühsam. Pour Toller – Scènes d’une révolution allemande, il trouve une forme dramaturgique “ouverte” pour raconter comment fut étranglée en quelques semaines l’utopie d’une République des Conseils de Bavière. En novembre 1968, la pièce est créée au Würtembergisches Staatstheater de Stuttgart que dirige Peter Palitzsch, un disciple de Brecht. Tankred Dorst a quarante-trois ans et ses metteurs en scène, Palitzsch et Zadek, sont parmi les meilleurs d’Allemagne. Patrice Chéreau met en scène Toller au Piccolo Teatro de Milan en novembre 1970 puis au TNP-Villeurbanne. En septembre 1972, Dorst et Zadek ouvrent la saison du Schauspielhaus de Bochum avec Et après, mon p’tit bonhomme ?, une revue d’après le roman populaire de Hans Fallada. C’est une histoire vraie, authentique et sentimentale qui ne parle pas d’idéologie mais fait vivre des personnes prises dans l’histoire allemande. Tankred Dorst expérimente avec sa compagne Ursula Ehler une collaboration littéraire absolument originale : ils vont désormais, et pendant plus de trente ans, écrire ensemble tous les travaux qu’ils réalisent, pièces et scénarios. En 1973, ils signent L’ère glaciaire dont le personnage central est inspiré par Knut Hamsun, le grand écrivain norvégien, Prix Nobel 1920, accusé sur la fin de sa vie de collaboration avec les nazis. En 1977, c’est Edmond de Goncourt qui fournit le prétexte à l’évocation d’un groupe d’intellectuels “voyeurs” pendant le siège de Paris et l’insurrection de la Commune de 1871 dans Goncourt ou l’Abolition de la mort, pour le Schauspielhaus de Francfort que dirige maintenant Palitzsch. En 1983, Le jardin interdit. Fragments sur D’Annunzio est une suite de scènes sur l’invention du fascisme italien dans son jardin des métaphores : une sorte de danse macabre. Le siècle d’or devait être l’aboutissement d’années de travail sur Calderon et sur La vie est un songe mais la version finale ne voit pas le jour et, en 1990, le projet se transforme en Karlos, un drame strident sur le fils dément de Philippe, roi contraint à se soumettre à la bureaucratie, une pièce sur le réel et l’imaginaire. En 1996, le triptyque Que devons-nous faire ? Variations sur un thème de Léon Tolstoï pose la question : “Existe-t-il des solutions privées aux abus de la société ?” En 1997, avec La tête de Harry, ils donnent enfin une forme à un projet sur Heinrich Heine que porte Dorst depuis l’époque de Toller. Cependant, comme s’il s’agissait de l’autre volet d’un diptyque, se succèdent des pièces, des scénarios et des films qui peu à peu constituent une vaste chronique allemande. Citons quelques-uns de ses films ou télé-films Sur le Chimborazo, pièce de théâtre en 1975, puis télé-film en 1977, Dorothea Merzen 1976, La mère de Klara, en 1978, La Villa en 1979, Mosch en 1980, Jean-de-fer en 1983, Le voyage à Stettin, 1984, un récit transformé en pièce de théâtre sous le titre de Heinrich ou les maux de l’imagination. Puis suivent des pièces sur d’autres thèmes. Dans Moi, Feuerbachen 1986, il s’agit de la vie d’un comédien convoqué à une audition à sa sortie d’une clinique neurologique. Cette pièce, tout comme Fernando Krapp m’a écrit cette lettre. Un essai sur la vérité en 1991, a été présentée avec succès à Paris. En 1988, Korbes. Un drame mêle l’histoire du méchant Monsieur Korbes aux thèmes de la Passion de Brockes de Georg Friedrich Händel. Monsieur Paul, créé en Allemagne en 1993 et joué dans de nombreux pays, traite du combat entre le principe actif et le principe passif . Dans cette œuvre, Dorst est à la recherche d’une forme de “réalisme fantastique”. À l’écart, et pourtant au cœur de l’œuvre de Dorst, il y a Merlin ou La terre dévastée. La pièce se présente comme un cycle de 97 scènes, essentiellement des dialogues mais aussi quelques descriptions d’actions ou même un échange de correspondance, qui racontent le monde des chevaliers rassemblés autour du roi Arthur, le rêve d’une société pacifique, l’échec de cette utopie qui sombre dans les intrigues, les guerres et le combat des fils contre les pères. On peut estimer que ce matériau dramatique représente plus de douze heures de spectacle et que chaque metteur en scène y taillera sa propre pièce. Peter Zadek n’obtient pas la disposition de la grande halle aux poissons de Hambourg dont ils ont rêvé dès la conception de l’œuvre, pas plus que les sommes importantes qu’il recherchait pour réaliser le projet : il se désiste. La pièce est donc créée le 24 octobre 1981, au Schauspielhaus de Düsseldorf dans une mise en scène de Jaroslav Chundela. Elle a depuis été jouée sur plus de soixante scènes du monde entier, mais jamais encore en version intégrale.
Mais pour Tankred Dorst et Ursula Ehler, le matériau Merlin n’est pas épuisé. En 1986, Le sauvage et L’homme nu, mettent en scène le personnage de Parsifal et sont des étapes préparatoires pour un “Szenarium” Parsifal créé par Robert Wilson et Tankred Dorst en 1987 au Thalia Theater de Hambourg. Enfin, en 2004, inspirés par l’architecture ruinée du Teatro Garibaldi de Palerme, ils écrivent Purcell, rêve du Roi Arthur. Un théâtre en ruine doit faire place à un centre commercial. Mais dans les décombres vivent encore les esprits du vieil opéra qui s’opposent à leur expulsion. Tankred Dorst a également écrit des pièces pour enfants. Dans Les contes du Rhin de Clemens Brentano, il trouve l’impulsion pour une pièce originale : Ameley, le castor et le roi sur le toit, 1982, écrite dans le même temps que Merlin. En 1983, dans Le galeux, un livret pour acteurs, créé dans un club scolaire en 1988, on trouve la figure du sauvage, de l’homme des bois. Dans les années quatre-vingt-dix, avec Comment Dilldapp poursuivit le géant, 1994, Mais ne mange pas mon petit Charlie !,créé en 1999 au National Theatre de Londres, Le roi Sofus et la poule enchantée, 1999. Dorst demeure encore et toujours fidèle au théâtre pour enfants. Quand tourne le siècle, Tankred Dorst a soixante-quinze ans. Sa carrière d’auteur dramatique est jalonnée de nombreux prix prestigieux dont le Prix Büchner en 1990. Ces prix sont très souvent partagés avec Ursula Ehler. Et il poursuit son rêve de dramaturge : Grande scène au bord du fleuve, 1999, La joie de vivre, Kupsch, 2001, La légende du pauvre Henri, livret d’après le poème médiéval de Hartmann von Aue, 2001, Othoon. Un fragment, 2002, Le bel endroit. Récit., 2004, Le désert, 2005, une pièce inspirée par Charles de Foucault.
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