Le comédien et metteur en scène Emmanuel Noblet, après avoir magnifié sur scène le roman de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, s’empare d’un autre chef-d’œuvre de la littérature contemporaine française : Article 353 du Code pénal de Tanguy Viel.
La rade de Brest, les rêves d’investissement des habitants du bourg, la faillite, l’escroquerie… Le décor de ce polar finistérien est planté. Pour avoir jeté à la mer le corps d’Antoine Lazenec, Martial Kermeur vient d’être arrêté par la police. Devant le juge, il retrace le cours des événements qui l’ont mené jusque-là.
Dans cette version scénique au cordeau, les mots de Tanguy Viel, politiques et fulgurants, servis par l’impeccable Vincent Garanger, composent une œuvre théâtrale sensible.
« C’est une drôle d’affaire, la pensée, n’est-ce pas ? »
Surtout la pensée d’un homme qui face à un juge, déroule le fil des événements qui l’ont conduit à se faire justice lui-même.
Oui, c’est une compréhension fascinante de l’âme humaine que d’écouter Martial Kermeur raconter ses années, ses échecs et la conséquence des choses, même s’il n’a pas les mots pour le dire, du moins, le croit-il.
En réalité sa connaissance des autres, comme de lui-même, est aussi affûtée que son regard sur la mer. Dans sa compréhension des choses, il est le rocher face au vent, il a une perception tellurique, secrète et sourde, il les ressent. C’est toute la beauté de ce personnage, un homme parmi « ceux qui ne sont rien », un cinquantenaire licencié, père divorcé dépassé par son fils devenu plus fort et plus déterminé que lui. Mais ce velléitaire est passé à l’action ce matin et ce n’est pas rien d’écouter les taiseux lorsqu’ils prennent enfin la parole.
Tanguy Viel, lui, a les mots pour l’écrire. Cet orfèvre de l’écriture signe là un de ses plus grands romans. La beauté de son style sert une dramaturgie puissante où pourtant tout est dit dès les premières lignes : ce sera un huisclos sans autre événement que d’avancer dans la psyché d’un homme, une exploration sensible de son histoire, une empathie envers toutes les promesses non tenues, aussi bien politiques qu’intimes. Viel dissèque de l’intérieur les rouages d’une manipulation, jusqu’à nous placer au moment exact du dernier ressort, celui de la dignité d’un homme. Car à trop longtemps subir l’arrogance et la honte, on devient dangereux.
C’est un grand texte sur l’injustice et le besoin d’y remédier, la nécessité, encore et toujours, de réparer les vivants. Quand l’injustice est telle qu’il faut y remédier soi-même, prendre ses responsabilités, que l’on soit juge ou assassin, en ne respectant plus la loi ou en l’interprétant favorablement.
L’intime conviction est un principe du droit logé à l’article 353 du Code de procédure pénal. C’est aussi tout le principe du théâtre que de traiter de l’intime et de nos convictions. Cette histoire y trouvera donc toute sa place, via les échos personnels à nos misères et nos faiblesses, en portant nos besoins de justice, de grandeur, d’estime de soi et de mots pour le dire. Nous écouterons un homme raconter sa vie et la généalogie d’un crime. Nous ferons ce voyage mental, cette remontée à contre-courant des assignations sociales. Ce sera une traversée dans la houle.
« Et vous n’imaginez pas, à cette seule idée de mener sa barque, soudain, dans un cerveau comme le mien, il y a des vagues de trois mètres. »
Emmanuel Noblet
13, rue des Réservoirs 78000 Versailles