Les fleurs de cerisier tombées le temple appartient aux branches. Buson
Au théâtre quantique de Bruno Meyssat, le réel se perfore et se déchire, il s’absente pour rejoindre un point paradoxal d’où s’observe ce qui a eu vraiment lieu et que nous refusons d’admettre. Observer est une investigation du réel mis à l’épreuve par une catastrophe sans précédent, par l’irruption d’un fantôme ou la capacité d’un objet d’agir sur le temps. C’est aussi un regard sur le Japon, pays ouvert à l’impossible, territoire singulier où concevoir et imaginer sont pour nous des défis.
L’irruption, la catastrophe, c’est la destruction d’Hiroshima le 6 août 1945 suivie de près par celle de Nagasaki. C’est la coexistence impossible d’un avion s’éloignant dans le ciel bleu et du cyclone vertical de cendres et de cadavres qu’il laisse derrière lui ; c’est l’abîme surgissant entre l’avant et l’après, la ville vivante et affairée, puis un site arasé et calciné. Les images se succèdent, se superposent, s’empilent dans la révulsion, sans possibilité de raccords. Des trous noirs apparaissent qu’il faut combler avec nos propres ressources et notre propre vie. Ces raccords imaginaires hantent les franges du réel comme des fantômes d’existence, associant grâce à nous des espaces inconciliables mais authentiques.
Observer c’est être face à du réel inconciliable. Comme dans le théâtre Nô, les mondes se côtoient, des fantômes interviennent et parlent, forçant des passages, créant l’action. L’espace du monde visible est investi par les présences que le Shinto nomme : kami. A travers la brutalité effroyable de l’Histoire contemporaine, la compagnie Théâtres du Shaman explore le rapport intime au fantastique particulier à la culture japonaise, qui aime souligner les aspects incertains de l’existence, la continuité entre le monde des morts et celui des vivants, entre les objets du monde minéral et végétal et celui où, humains, nous constatons une âme. Mise en scène radicale de « l’obsolescence de l’homme », sur les traces du philosophe Günther Anders, Observer est aussi une réflexion sur notre capacité moderne à détruire, dans certaines conditions, le monde et les images qui en témoignent.
Lorsqu’on se trouve dans l’incapacité de se représenter la réalité que l’on concourt à créer, toute inhibition disparaît, nous devenons « des coupables sans culpabilité. » On ne doit plus alors se fier à ses capacitésde représentation, mais se rappeler plutôt, comme l’exprime l’ auteur de Hiroshima est partout, que « rien de ce que tu vois n’est réel ; qu’est seul réel le fait que tu ne vois plus le réel, que tu ne peux plus voir la réalité. Ferme les yeux et abandonne-toi à ton imagination. Car aujourd’hui, seuls les indolents font encore confiance à leurs yeux. »
41, avenue des Grésillons 92230 Gennevilliers
Voiture : Porte de Clichy, direction Clichy-centre. Tout de suite à gauche après le Pont de Clichy, direction Asnières-centre.
A 86 Sortie Paris Porte Pouchet. Au premier feu tourner à droite, avenue des Grésillons.