Chic ! Sauvage ! Sexy !
Entretien avec Kitty Hartl
Note d'intention
Cinq bombes, sauvages et felliniennes, monstres d’une beauté délurée, explosent les cadres et réinventent l’art du strip-tease. Mathieu Amalric les a célébrées dans son film Tournée. La presse mondiale a glorifié leurs performances : les créatures du Cabaret New Burlesque, en chair et en os, enflamment Paris. Cinq femmes rondes, sensuelles, attisent les désirs latents, redressent les drapeaux en berne, provoquent des éclats de rire et des émotions sensationnelles. Elles viennent de San Francisco, New York ou San Diego, se nomment Dirty Martini, Julie Atlas Muz, Mimi Le Meaux, Kitten on the Keys, Catherine D’Lish, Ulysse Klotz. Elles attendrissent, bouleversent. Rock, jazzy ou punk, chacune a son art et sa manière. Avec ou sans plumes, ukulélé ou paillettes en tourniquet sur les tétons.
Kitty Hartl, directrice artistique et manageuse du groupe, a voulu insuffler une nouvelle dimension et d’autres couleurs au Cabaret New Burlesque, l’exposer à de nouveaux risques. Elle a coopté l’univers singulier du plasticien Pierrick Sorin. Vidéaste, inventeur de dispositifs à illusions, l’artiste présentait ces dernières saisons au Rond-Point le spectacle-performance 22h13. Il bricolait des espaces savants grâce à des fonds bleus ou verts, créait des machines à rêves. Pierrick Sorin peut ériger des espaces impossibles pour des protagonistes invisibles : il risque ici d’envoyer les strip-teaseuses dans des fonds marins, de les faire danser sur les brûleurs d’une gazinière. À l’humanité débordante du Cabaret, il ajoute sa magie à la Méliès, ses astuces, ses effets spéciaux trafiqués à vue, qui font du plateau un champ d’images extraordinaires, un espace libre dévolu au merveilleux.
Qu’est-ce que c’est, pour vous, le genre « cabaret » ? Un refuge ? Un espace de liberté ? Un lieu de débauche ? Un geste politique ?
Oh là là ! C’est une question très compliquée, et complexe. Je ne suis pas une spécialiste de l’histoire du cabaret, moi ! Je fais dans la musique ! J’ai créé ce truc sans réfléchir à tout ça... Nous l’avons appelé Cabaret, parce qu’il s’agit bien d’une succession de numéros, parce que cela a à voir avec le Music-Hall, et c’est un mélange d’humour, de chansons, de danses, de performances. Tout se mélange, tout est possible. C’est un lieu plein d’émotions, tout est dedans. Et s’ajoute ensuite la notion du « Burlesque », la farce en Italien, la « Burla », et cela s’associe aussi avec une certaine audace, avec la sensualité féminine et les déshabillages. Le cabaret est avant tout un espace de liberté. On peut tout y faire. Même le spectateur peut monter sur le plateau. Parce que tout le monde est là, à égalité. Et tout le monde est libre. C’est bien ça qui touche les spectateurs. Les six créatures, cinq femmes et un homme, du Cabaret New Burlesque sont très différentes, elles vivent toutes dans des endroits opposés des Etats-Unis, elles ne font pas du tout la même chose, sur scène ou dans leur vie. Mais sur le plateau, elles sont à égalité, elles donnent tout ce qu’elles ont, avec la même générosité. Et la maîtresse de cérémonie veille à ce que tout se passe bien entre la scène et la salle, parce que le public est très participatif. Ce qui compte avant tout, c’est bien ça, retrouver la liberté et l’égalité dans le lieu entier.
Quelles sont les différentes performances que proposeront cette fois-ci les acteurs et les actrices de votre cabaret ?
Je travaille en ce moment même à la sélection des numéros, les artistes m’envoient des propositions, des esquisses des nouveaux numéros, pas si simple de travailler ensemble comme on habite à des endroits très éloignés les uns des autres. On aura comme toujours des numéros de cabaret classique, comme l’effeuillage, avec des accessoires habituels, comme l’éventail, les plumes. Mais nous aurons des numéros plus oniriques, plus poétiques ou plus drôles. Des surprises. Des références à l’art contemporain, des folies. On va tenter de secouer tout ça, de surprendre encore dans un paysage où l’on voit de plus en plus de cabarets en tout genre, en France et à Paris. Tout cela évidemment sera encore plongé dans une grande autodérision. Et puis il y a la présence de Pierrick Sorin...
Cabaret New Burlesque, qu’est-il venu faire dans tout cela, Pierrick Sorin et que va-t-il faire ?
J’ai travaillé longtemps au Lieu Unique, à Nantes. Pierrick y a fait ses premières installations. Nous nous connaissons depuis très longtemps. En 2008, quatre ans après la création du New Cabaret Burlesque, j’ai pensé faire appel à lui. Mais il faut être très patient. Nous-mêmes, nous tournons beaucoup le spectacle depuis deux ans, dans tous les coins du monde. J’ai profité de cette opportunité, ce retour à Paris, au Rond-Point, pour lui proposer de travailler enfin ensemble. Il est en train d’écrire le script, il compose, il réfléchit, il agence des idées… On travaille, on avance.
Il interviendra sur certains numéros, pas forcément sur tous. Pierrick va inventer des installations vidéo pour une interaction en direct entre son art et les numéros. Et les artistes du cabaret devront intégrer le contenu technique qu’il apportera. Je construis de mon côté la structure générale, la cohérence de l’ensemble. Je fais l’intermédiaire entre tous. Ce sont bien les six artistes sur scène qui préparent leurs performances, chacun et chacune de leur côté. Ils travaillent leur costume, en chorégraphie, leur choix de musique, puis nous assemblons le tout, nous faisons des choix. Pierrick invente une sorte de processus technique. Tout se passera encore dans un espace sobre, ou une scène nue, parce que je ne veux pas changer une formule qui fonctionne très bien. Il y aura les lumières, les costumes, les accessoires, et des écrans vidéo qui apparaîtront puis disparaîtront, mais le principe restera celui du cabaret, et tout réside dans la générosité et la liberté de ses artistes.
Propos recueillis par Pierre Notte
Projet de nouveau spectacle du Cabaret Burlesque
Dans le cadre du projet de renouvellement du spectacle, mon intervention en tant qu’artiste vidéaste et
scénographe répond à un objectif : apporter une valeur ajoutée au contenu et à la forme antérieure de ce
spectacle.
Cette «valeur ajoutée» repose sur 2 types d’apports :
- un apport de créativité
- un apport de «modernité»
Précisons chacun de ces points :
Créativité :
La vidéo est ici un élément vivant du spectacle car la création visuelle se fait sous le regard du public avec la participation directe de l’artiste en scène qui se mettra lui même en situation devant une caméra à vue.
L’utilisation de l’incrustation directe de l’artiste sur fond bleu, permet de créer des situations inhabituelles, inattendues, d’élargir le champ de l’imaginaire.
Ainsi une artiste pourra par exemple faire un strip-tease, très chaud, sur le brûleur d’une gazinière, visible
sur scène et qui sera allumé par une de ses collègues ( Ah non ! mauvaise idée... le feu sur scène nécessite des
autorisations préfectorales difficiles à avoir...).
Mais enfin ça illustre le principe. Et on comprend que le jeu scénique est ici induit par le dispositif destiné à la création d’image. L’utilisation de la vidéo directe permet aussi de séduire le public par le recours à des idées «astucieuses» qui pourront être d’autant appréciées qu’elles reposeront sur des mises en oeuvres simples.
Le public, qui assiste à la fabrication des images est également mis en situation active (mentalement parlant) car il reconstruit lui même dans sa tête le processus de fabrication des images. Pour mieux appréhender ce que j’exprime ici je conseillerai de jeter un oeil, sur le web, aux extraits de La Pietra del Paragone, opéra de Rossini que j’ai mis en scène en 2006.
Modernité :
Même si le recours aux images animées sur scène ne datent pas d’hier (premières expériences avec des projections cinéma dans les années 1930) et même si l’usage de la vidéo directe sur scène n’est en rien révolutionnaire, son usage (grâce aux technologies d’aujourd’hui qui permettent des effets spéciaux ou trucages en temps réel de plus en plus larges) confère encore au spectacle vivant un caractère de modernité en regard du «show basique» dépourvu de toute technologie. Pour autant je ne jouerai pas la carte du «high tech» affirmé, mais plutôt celle d’un bricolage d’apparence très simple, ou la naïveté garde droit de citer. Fidèle à mon goût du «cinéma premier», je pencherai légèrement du côté de Méliès.
Pierrick Sorin
2 bis, avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris