Cavales est l'histoire d'une femme et d'un homme, de deux destins liés et distincts à la fois. Egarés, en quête d'eux-mêmes, mais avant tout de leur liberté, ils empruntent, dans leurs cavales, une route sans issue, confrontés à leurs fantasmes et leurs fantômes.
Partir, laisser derrière soi, abandonner, s'affranchir, prendre le chemin de traverse... Voilà le jeu qu'elle se propose, elle. Suivre, prendre l'aspiration, l'élan, courir derrière elle, puis à ses côtés, jusqu'à prendre le même chemin... Voilà le jeu qu'il propose lui. Impulsions, vertiges, dérapages, apparitions, illusions, corps qui trépignent et qui fuient, esprits qui vagabondent et qui se perdent. Exaltation procurée par la prise du choix irrépressible. Excitation de la fuite mêlée aux peurs sourdes du changement. Rupture avec le continuum des vies préréglées. Sur la nouvelle route empruntée, tout se fait et se défait dans une chronologie trouble. Conflits intérieurs des multiples qui se cachent en nous. Volonté du lâcher prise face à l'angoisse de perdre le contrôle. Puis, dans un geste salvateur, mouvement pulsionnel et anarchique des corps contre la raison. L'animal fougueux qui sommeillait en eux a pris le dessus. La cavale est lancée, irréversible et définitive...
Partir, tout laisser derrière-soi, échapper à tous les carcans, quels qu’ils soient, Cavales est d’abord l’histoire d’un fantasme que nous avons tous, un jour ou l’autre. J’ai voulu confronter ce fantasme à la brutalité du réel, d’un monde non tel qu’il est, mais tel qu’on l’imagine, qu’on le ressent, au plus profond de nous-mêmes, avec toutes nos incertitudes et toutes nos peurs. Au bout du chemin, au bout de la peur, attend peutêtre cette réalité qui nous dépasse, la vie. Elsa et Paul sont en quête de la vie. Cavales est l’histoire de cette quête.
Pierre Vignes
(1) évasion, fuite d'une personne détenue en prison. (2) Cavale est aussi l'ancien mot français, d'usage poétique aujourd'hui, désignant la femelle du cheval, appelée maintenant jument. Cavaler (familier) : courir en tous sens, ne jamais être immobile, ne pas avoir de repos. Être en cavale : en fuite. Se cavaler : partir, filer, prendre la fuite, se sauver, s'évader. (figuré) : mener une vie de débauche, rechercher les aventures amoureuses.
Note de mise en scène
D'abord, cavale des corps qui exultent dans la fuite en avant, mais aussi cavale de l'esprit encombré qui pense, analyse, projette et imagine dans un charivari de pourquoi et de comment, un autre possible.
Que fuient-ils ? Un mariage, le sien à elle. Puis sa vie rangée à lui. Ils fuient surtout un monde, un modèle, des règles, des formats et des carcans. Au-delà de la morale commune, en sauvages, en affranchis, ils sautent à coeur perdu dans la course du présent, effaçant les traces de leur passé et créant une nouvelle réalité, celle de l'instant.
La cavale par définition ne mène nulle part. C'est un plongeon dans le vide où l'on oublie l'avant et ne projette pas d'après. Car au-delà de partir de quelque part, c'est soi, ici et maintenant, qu'on quitte. Comme pour se réinventer. Changer de peau. Être vierge au monde, comme neuf. Devenir un alter-ego, un autre soi, soi autrement ? Oublier les accords passés qui constituent notre légende personnelle. Revenir à un état naturel, un état de transparence originelle. Retrouver un accès immédiat aux choses. Régler le conflit intérieur que composent, les désirs de l'être social et raisonné, contre ceux de l'être naturel et instinctif. Il s'agit donc ici, d'une tentative de métamorphose. D'un voyage initiatique violent qui confronte les diverses facettes du soi qu'on quitte. (Celui qu'on croit ou voudrait être, celui que l'on est et celui enfin qu'on devient). Par l'expérience de la fuite, trouver l'évasion du corps pour libérer l'esprit. Quitter les formes du connu qui nous écartent de la réalité. Quitter l'autre pour se rencontrer soi.
Dans leur course à deux, ou leur course « duel » - pourrait-on dire - ils rencontrent d'autres « lui » et d'autres « elle », connus, inconnus, méconnus ou inventés. Comme dans une sorte de jeu de rôles tacite qu'ils se proposent, ils mutent et se font multiples. Dans ce présent qu'ils ont décidé de vivre ensemble, ils se mettent à l'épreuve mutuellement pour reconstituer le puzzle de leurs vies éparpillées en passé et futur, souvenirs et projections, frustrations et désirs. Dans un tourbillon d'hommes et de femmes qu'ils furent, sont, seront ou pourraient être, et dont ils empruntent les costumes tour à tour, ils sont tout à la fois manipulateurs et marionnettes de leur propre histoire. Tantôt bourreau, tantôt victime ; tantôt chasseur, tantôt chassé. C'est l'un et l'autre qu'ils suivent et fuient, pour essayer de mieux se retrouver, se comprendre, s'apprivoiser peut être ? C'est au fond comme une chute au dedans d'eux mêmes. Un trouble infini dans lequel les jette le vertige du soi confronté à l'autre, à ce miroir d'eux mêmes. L'autre, qu'on regarde, qu'on rencontre, qu'on épie, qu'on désire, qu'on aime, qui nous interroge, qu'on évite, qu'on repousse, qui nous effraie, qu'on déteste et qu'on fuit. Trop plein de l'autre, on ne se retrouve plus soi.
Cavales est un road-trip théâtral, où se mêlent deux courses : l'une, intérieure, qui tend vers plus de liberté, l'autre, extérieure, qui lutte face à la brutalité du réel. Courses, où dans un ultime assaut, une dernière tentative d'être différent et de vivre différemment, on se met en marge, on met tout à plat, pour mieux recommencer ou tout consommer définitivement, implacablement. Entre désirs contrariés et peurs non contrôlées, dans ce malaise, la fuite paraît en elle même, la seule garante du maintien de la force pour survivre, continuer à avancer, à être et devenir.
Sébatien Rajon
6, rue Pierre-au-Lard 75004 Paris