« Voilà qui j'étais devenue grâce à ma sueur, à mon cerveau, à mes tripes. »
Un seul en scène, une femme qui s'est battue pour devenir pilote de chasse.
Elle aime la vitesse, se perdre dans l'immensité, le bleu du ciel. Une série d'événements va cependant l'en éloigner et l'obliger à piloter un drone à distance depuis un écran dans une caravane dans le désert du Nevada. Intouchable, elle décide du sort de la vie des gens depuis sa caravane et retrouve sa famille le soir.
L'invulnérabilité n'est qu'un mythe. Parviendra-t-elle à faire l'aller-retour mental entre ces deux univers, la guerre le jour et la famille la nuit ?
Ce texte qui dénonce cette nouvelle guerre dite propre, en la déshumanisant complètement, résonne comme un poème. Son rythme pulse avec ses accélérations et ses ralentissements.
Clouée au sol de George Brant et Charlotte de David Foenkinos retracent le parcours intérieur de deux femmes très différentes et en pleine construction. Joués en alternance sous la forme d’un diptyque, les deux spectacles se répondent.
Ni narratifs, ni descriptifs, ces textes, s’ils s’inscrivent dans des espaces et des styles très différents, ont en commun une écriture au rythme sauvage et organique qui épouse le mouvement intime de la conscience. Dans Charlotte, on assiste à la construction d'une identité artistique ; avec la femme pilote de Clouée au sol, à l'impossibilité de construire son identité jusqu’à la dépossession et la destruction. Au fond, il s’agit dans ces deux textes de création. Création de soi, d'un monde, d'une œuvre. D’un projet de vie, d’un projet artistique. Construire sa vie, construire son récit.
En tant que metteure en scène et qu’interprète, j’ai porté une attention particulière au rythme, à la musicalité de la langue, à l’implication des corps dans l’espace. Pour écrin, un espace qui se veut d’abord mental, à l’épure… Des voilages, une chaise, de la lumière, du son.
Anne-Françoise Benhamou écrit dans son livre Dramaturgies de plateau : « Chacun a également pu constater d’expérience que l’acte de lecture n’a besoin d’aucune image, d’aucun dispositif illusionniste pour créer, quand il opère, des effets de fictions extrêmement forts et persistants, peutêtre parce que ceux-ci sont moins liés à l’identification qu’à la projection. Et je ferai volontiers l’hypothèse pour ma part que c’est là que le théâtre « de texte » reste lié à l’acte de lecture : en ce qu’il implique de la part du spectateur, pour que le monde fictif ait une cohérence (c’est-à-dire pour
que la représentation ait une intelligibilité et l’expérience du théâtre un sens), une forte coopération mentale dont l’identification n’est peut-être pas la seule clé. »
Laurène Boulitrop
7 rue Véron 75018 Paris