Dedans dehors David

du 29 mai au 1 juin 2013
1 heure

Dedans dehors David

Après Fées et Cannibales, David Bobee poursuit sa dénonciation des pièges que croisent sa génération : la société de consommation, le vide caché derrière le trop plein, cette fois le leurre du succès facile, de la célébrité factice.

Le spectacle
Interview de David Bobée
Extrait
D’où vient Closer ?

  • Le spectacle

Après Fées et Cannibales, David Bobee poursuit sa dénonciation des pièges que croisent sa génération : la société de consommation, le vide caché derrière le trop plein, cette fois le leurre du succès facile, de la célébrité factice. Pour nous faire entendre le danger, il s’est emparé des mots de Dennis Cooper, l’Américain qui comme Bret Easton Ellis, conjugue sexe, drogue et rock and roll dans ses portraits de jeunes gens en quête d’identité dans un monde vide de sens.

D’abord, il y a des panneaux lumineux sur lesquels défilent des mots, un mur de phrases rouges qui s’anime. Apparaît ensuite une très jeune femme. Jeans, tee-shirt et paire de Gola. Micro HF à la bouche, elle prête son corps frêle et sa voix grave à « l’histoire de David », le chapitre II du texte de Dennis Cooper, Closer.

Ce roman intense, découpé en huit chapitres indépendants, propose une descente hallucinée dans les obsessions de l’Amérique contemporaine où tout repère semble aboli. Ici, David est un adolescent perdu entre ses identités publiques, intimes, sociales et sexuelles. Un jeune chanteur célèbre « star-ac-nouvelle-star » aussi violent et tourmenté intérieurement que son vernis est lisse, propre et souriant. Avec sa voix amplifiée tout autour du public, il-elle semble chuchoter sans pudeur à l’oreille du spectateur plongé dans la boîte noire de l’intérieur de son crâne. Le malaise contamine. Le récit de l’adolescent se déroule, dévoile un univers glaçant et fait vite perdre ses repères au spectateur. On ne sait plus qui est David, un jeune homme, un garçon joué par une très jeune fille à demi nue. L’enfant à la sexualité crue porte un regard extrêmement brutal sur lui-même et ses contemporains.

David Bobee aime brouiller les repères du spectateur ; les mots du jeune homme dans la bouche d’une jeune fille, la voix chuchotée qui les enveloppe, les lumières crues d’un monde artificiel, tout participe au trouble dans ce spectacle fascinant. Avec ce nouvel opus, David Bobee reste fidèle aux écritures contemporaines et dresse un portrait à la fois terrifiant et fascinant de l’individu, noyé, perdu dans le vide sociopolitique actuel.

Par le groupe Rictus. D'après le portrait II du roman Closer de Dennis Cooper, traduction Thierry Fourreau et Jean-Luc Mengus (éditions P.O.L.).

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  • Interview de David Bobée

Dedans Dehors David a une place spécifique dans votre travail qui semble s’écrire comme un récit depuis Res/Persona en 2003, pièce qui était aussi un monologue. Dedans Dehors David me semble, comme Warm qui a son intensité performative, mettre au centre quelque chose plutôt en arrière-plan ailleurs : le désir.
Si chacune de mes pièces a son autonomie, c’est vrai qu’il est possible de les voir comme les chapitres d’un récit... Je souhaitais, à côté de Fées ou de Cannibales, produire un geste de représentation plus urgent, pour évoquer cette question moins du désir, que de la chair, de ce que devient le trouble de la chair. Mais Dedans Dehors David ou Warm n’en sont pas moins complexes que Fées et Cannibales. Que ces pièces soient des monologues, n’empêche pas qu’elles mobilisent autant de techniques de plateau. Elles correspondent à des formes plus jetées – presque aussi, au sens argotique - qui tentent de traduire l’étrangeté violente de ce qui brûle sous les peaux ou les papiers glacés. Ce sont des formes satellites qui évoquent ce que les figures convoquées dans mes autres créations portent en elles de cet ordre, mais qu’elles y dévoilent de manière moins évidente.

Dedans Dehors David me semble tout de même à part dans vos créations, puisque c’est la première fois où vous ne créez pas avec Ronan Chéneau, l’auteur qui collabore d’habitude avec vous. Vous mettez ici en scène un texte de Dennis Cooper qui nous est connu entre autres par son travail avec la chorégraphe Gisèle Vienne. – Êtes-vous sensible à l’air du temps ?
Oui ! mais cela ne veut pas dire suiviste. Mais, oui, les signes de mon époque m’intéressent. J’ai envie de les délivrer de leur mutisme. Il existe du sens, de la profondeur qui affleure à la surface des choses. À mes yeux, il n’y a pas de signe indigne d’être regardé, analysé et critiqué. Je décrypte parfois des signes qui peuvent sembler mineurs ou méprisables, comme ici le phénomène des petits chanteurs fabriqués par des stars academy. Mais si Dennis Cooper me permet ici de regarder ça, je ne pense pas qu’il soit à la mode. Ses fictions sont traversées de personnages à la sexualité hyper trash qui proviennent d’une frange de la jeunesse américaine très déroutante, et plutôt révulsive. Ce sont des adolescents presque encore enfants, et qui ont pourtant une conscience précise de qui ils sont, dans un monde qu’ils savent complètement vide. Ils font preuve d’un cynisme perturbant pour nous, dans leur quête d’identité, pour se sentir vivants, par tout moyen, par le sexe, la douleur, la mort aussi ou le saccage de la beauté. Ce sont des petits garçons qui peuvent basculer dans le cannibalisme ou encore se torturer en gobant des ecstasys, tout cela raconté dans une langue plutôt irréelle, comme dans un fantasme, mais impeccable, épurée à l’extrême, presque nue. J’ai découvert l’écriture de Dennis Cooper lors d’une lecture, à Annecy, qui était en effet liée au travail de Gisèle Vienne. Elle préparait alors Une belle enfant blonde et avait déjà créé I Apologize d’après donc un texte commandé à Dennis Cooper. À la sortie, je me suis procuré ses livres et j’ai été pris par son univers. En lisant Closer, j’ai eu, au chapitre concernant le portrait de David, l’image de Fanny Catel-Chanet. J’ai pensé qu’avec sa diction très particulière ce monologue prendrait un relief saisissant. Fanny Catel-Chanet a un rapport vertigineux à la langue. Elle dit que c’est fatigant de devoir mentir, que c’est comme si on renaissait à chaque début de phrase. C’est ça que nous avons tenté de tenir dans la direction d’acteur. Et, en effet, dans ce chapitre que j’ai isolé de Closer, le personnage de David peut, dans une même phrase passer d’un mensonge à un nouveau fantasme...
[...]

Le premier trouble du spectateur, c’est peut-être bien de découvrir Fanny Catel-Chanet dans ce rôle de garçon, avec ses longs cheveux...
Fanny possède un physique androgyne avec des pectoraux dessinés, un dos musclé, et en même temps, elle peut être une petite créature céleste comme dans Fées. Mais elle est bien une femme - et une mère aussi depuis peu. Et avant tout une actrice qui travaille intérieurement sur des métamorphoses. Du petit garçon à la pop star en herbe, en passant par l’adolescent envahi par sa sexualité, et puis après ça, la starlette... elle suit comme un jeu de piste le trajet mental de son personnage. Nous avons aussi beaucoup regardé des images de chanteurs, leurs postures, comme une statuaire contemporaine. Nous nous sommes interrogés sur le sens de ces poses devant des objectifs.
[...]

S’il y avait un commentaire dans ce style de la Star Ac’ à faire pour Dedans Dehors David, cela tiendrait-il en la phrase suivante : « Papa vient tous les soirs embrasser David bizarrement » ?
On ne sait pas dans Closer ce qui se passe réellement. On sait que David sent l’haleine éthylique de son père tous les soirs, sur sa joue, et que cette affection paternelle lui est insupportable, mais en vrai ? Entre ce qu’il dit, ce qu’il désire, et ce qui lui arrive... Mais cet élément familial met brusquement en perspective le monde de paillettes que David s’invente... Imaginer une autre vie, glorieuse, c’est vital pour lui. Mais que fuit sa mythomanie ? – Une réalité familiale ? une absence d’avenir ? la violence même de l’imaginaire qu’il essaie quand même de maîtriser en construisant ses récits fantasmatiques ? ces désirs sexuels qui le submergent ? La manière dont tout ça s’empare de lui évoque un viol ou une noyade. David est le seul personnage parmi ceux de Closer dont la violence n’est pas dirigée à l’extérieur, mais rentrée, bouillonnante. Je l’imagine passant ses journées au lit à contempler ses posters des Tokio Hotel ou de Mika, tout en passant par une série d’états paroxystiques opposées, du concert où des milliers de fans hurlent son nom à ce moment où il fait l’amour avec un autre garçon de façon très clinique.

Ce chaud/froid permanent suit des oscillations sismographiques qui semblent rendre compte des battements de coeur affolés du monde.
Je ne sais pas si nous pouvons parler des choses du coeur ici. Mais ce sont en effet ces oscillations permanentes et polarisées qui m’ont arrêté chez Dennis Cooper. La rythmique méthodique de son écriture, cette alliance entre la netteté du style et le chaos qui fait son sujet croise ma recherche sur les surfaces des choses qui semblent de plus en plus propres et ordonnées, aujourd’hui, à mesure que dessous cela se met à grouiller, à se décomposer, à éclater. Tout mon travail dans Fées, dans Cannibales, suit ce fil. Comment la soif de propreté, de design et de rangement peut traduire un affolement intérieur, un éboulement de ce qui nous fait.

Entretien avec David Bobee, réalisé par Mari-Mai Corbel.

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  • Extrait

Je suis un jeune chanteur célèbre bien que sans talent, et j'ai l'impression que quelqu'un est en train de m'observer. J'emploie le terme au hasard, parce que j'ai peu de sensations, et encore elles sont très simples, comme les couleurs primaires. En ce moment, la peur est celle qui domine, à cause de ma némésis (qu'elle soit masculine ou féminine, imaginaire ou fantôme — je ne suis pas doué pour ces subtilités) qui ne me lâche pas une minute, que ce soit devant la télé, au petit déjeuner, sur mon vélo, en dormant, sous la douche ou en allant à la fac... C'est une impression difficile à expliquer. C'est peut-être comme de se faire violer ou d'être possédé. J'en sais rien, et à vrai dire, je m'en fous un peu.

Le seul truc qui me permet d'y échapper, c'est la célébrité, lorsque je suis sur scène, que j'enregistre ou qu'on me prend en photo pour un de ces magazines dont je suis la superstar. Je suis vraiment l'idole, je veux dire, je suis en couverture, sur le poster central, la plupart des articles sont consacrés à ma plastique parfaite. Je dois être quelqu'un de bien, non ? C'est logique. Alors, pourquoi est-ce que cette némésis me poursuit ? Qu'est-ce qu'elle... ? Je ne... Oh ! Ce n'est pas la peine. Des fois je sais ce que ressentaient les Indiens quand ils attachaient un bel enfant et invitaient Dieu à venir le prendre comme un Valium.

C'est pour ça que je suis heureux d'être célèbre pour ce qui fait que je suis célèbre. Ma beauté physique, je veux dire. Ça m'aide à croire en moi, à oublier que je ne suis qu'un paquet de tuyaux bleus dans une enveloppe de peau. Ce que nous sommes tous, en fait. Je suis beau. Sans me vanter. Je peux le dire. Les gens me le disent. Je suis aussi gentil et doux et naïf, à part que j'ai tendance à trop parler et que je mens tout le temps. Mais on est bien obligé de mentir quand quelqu'un n'arrête pas de nous juger. Il faut se trouver un camouflage, même si ça amène à se saboter. C'est ce que je fais, en tout cas. Je tourne la tête et jette un oeil sur le garçon à ma gauche qui n'a pas arrêté de me mater. Evidemment, il regarde tout de suite ailleurs, pour me faire croire que je me trompe, qu'il rêvassait ou que je me raconte des histoires. Peut-être que ses yeux sont la némésis. C'est ce qui serait le plus logique, sauf qu'il ne me regarde plus et que je me sens encore tout hérissé et crispé et parano. En plus, j'ai l'impression que tous ceux qui me regardent sont plus vieux. Je n'arrive pas à croire que les garçons de mon âge puissent se détester de cette façon. Du genre, vous savez : « Je veux te faire bien sentir que tu n'as vraiment rien de spécial. » C'est trop cruel.

Je ne sais pas si ces étudiants me méprisent ou s'ils sont tellement impressionnés par une célébrité qu'ils ne trouvent rien d'intelligent à dire. En tout cas, je ne supporte pas leur silence, et je voudrais que les cours soient finis. Ils le sont presque, en fait, d'après la pendule. Je regarde l'heure et rien d'autre, jusqu'au moment précis où la cloche sonne. Alors j'empile les livres que j'avais balancés sur mon bureau tout à l'heure, je les cale sous mon bras droit et je me dirige vers l'endroit où le chauffeur de mon père passe toujours me prendre.

Je marche droit sur le rectangle de soleil qui marque la fin du vestibule. Il ressemble à mon lit parce que c'est là que je voudrais être. Ou alors à une scène, ce qui me plairait aussi, ou encore au studio d'un photographe. Pareil. Quelquefois, le visage en plein soleil, je fais comme si un projecteur était braqué sur moi. Pendant ces précieuses secondes, ça m'est bien égal que quelqu'un parvienne à percer mon image ou même essaie de le faire. Mais là, vraiment, je sens ces yeux mauvais, mettant pratiquement le feu à mes vêtements, tellement ils veulent ma mort ou je ne sais quoi. Je me mets à courir, même si on me remarque et si de toute façon ça ne sert à rien.

J'aimerais comprendre pourquoi c'est moi qu'on harcèle. Il y a des millions de gens aussi mignons que votre serviteur. J'ai juste eu de la chance sur le plan de ma célébrité. Ç'aurait pu être ce garçon là-bas à l'arrêt de bus, ou quelqu'un en Chine. Peut-être qu'il ressent la même chose, je veux dire, le garçon dont je viens de parler, avec ses cheveux blonds sales et sa petite amie. Mais il n'a pas l'air effrayé, agité ou quoi que ce soit. Il paraît aussi calme qu'un lac. Le regarder m'apaiserait même un peu. Mmm... Et tout d'un coup son bras jaillit, comme le bras du cadavre jaillissait dans ce film, délivrance. Il le pointe vers moi en ajoutant une remarque ironique que je n'arrive pas à entendre. Et sa copine éclate de rire.

Où est le chauffeur ? Des fois, je crois qu'il fait exprès d'arriver en retard pour me torturer. Ou alors ce sont les ordres de mon père — qui pense que je ne serai jamais adulte si on fait trop attention à moi. Ou quelque chose comme ça. Il n'a pas la moindre idée de la froideur de ces étudiants, et encore moins du mal que ça me fait. Je crois qu'ils appellent les mecs comme moi des « fleurs de serre », parce qu'on ne peut vivre que dans des atmosphères contrôlées. La célébrité, en ce qui me concerne. Mais ici, à la fac, c'est vraiment dur parce que tout le monde s'en fout. Ils croient... Je ne sais pas ce qu'ils croient... Ce que je sais, c'est que je ne supporterai pas ça une minute de plus. Ce n'est pas pareil quand je suis tout seul, disons dans ma chambre. Là, je n'ai qu'à fermer les yeux et tout défile tranquillement dans le noir à l'intérieur de ma tête, comme si mon esprit était une salle de concert. En ce moment le monde est trop confus et démesuré pour moi. Ou bien je suis terrifié à l'idée de rencontrer quelqu'un ou quelque chose que je ne veux pas voir. Alors je ferme les yeux et je compte les secondes. Vous voulez savoir comment c'est ? Eh bien, exactement comme quand j'étais petit et que je me réveillais en pleine nuit, certain qu'un tueur se trouvait dans ma chambre. Et je savais que, si je cachais ma tête sous l'oreiller en restant parfaitement immobile, il ne pourrait pas me... Oh ! Super ! Voilà le chauffeur ! [...]

Portrait 2 de Closer, Dennis Cooper, édition P.O.L. 1995.

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  • D’où vient Closer ?

Dans le récit de vos années d’adolescence, beaucoup de choses annoncent votre oeuvre d’adulte. Le lyrisme né d’une mort où jeunesse et sexe sont mêlés, l’enfant abandonné, l’éducation comme moyen d’accès aux sentiments et à l’amour romantique, la dichotomie d’un désir qui protège et d’un désir qui tue, la petite famille que les adolescents se composent, l’absence totale des mères. En fait, la seule mère qui me vient à l’esprit dans votre oeuvre a un cancer de la gorge, elle est donc silencieuse. Mais plus que des thèmes, vous avez conçu votre esthétique à partir de la peinture des années d’adolescence, particulièrement de leur complexité et de leur difficulté d’expression. Pourriez-vous parler de ça ?
C’est vrai que mes expériences d’adolescent ressemblent aux sujets de mes romans, même si je n’ai pas écrit sur mon passé consciemment, à part quelques passages directement autobiographiques mais pas vraiment fidèles dans My Mark et dans Guide. [...] Je pense que mon passé fonctionne plutôt comme des matériaux de recherches qui me permettent de rendre justice aux adolescents. J’ai toujours été horrifié par le fait que les adolescents soient considérés tantôt comme des demi-enfants, tantôt comme des demi-adultes, comme s’ils n’étaient qu’une espèce transitoire aux émotions et aux facultés intellectuelles imprécises. On attend d’eux qu’ils aient sur les adultes 2 effets : inspirer la sentimentalité ou /et être porteur d’une charge érotique. S’ils manquent à ces attentes, ils sont considérés comme dangereux. Je pense que ce manque de respect envers eux est présent dans la culture américaine et se traduit de tas de façons différentes.
Lorsqu’en grandissant, j’ai senti que je pouvais porter les mêmes fausses appréciations qu’on avait portées sur moi, je crois que je me suis mis à écrire sur la relation entre les adolescents et les adultes comme pour livrer les vérités auxquelles je croyais et les examiner en les mettant en relation avec ces nouvelles vérités dans l’espoir de trouver une vérité objective. Mon esthétique a suivi cette évolution parce que j’ai mené des expériences mentales et physiques très diversifiées dans un domaine très spécifique, c'est-à-dire dans ma vie imaginaire, dans ma vie réelle et sur le papier.
Je tentais de trouver un langage adolescent authentique et ainsi de les assurer de mon respect pour eux mais j’étais aussi impliqué dans une recherche sophistiquée et érotique sur leur monde et j’essayais que mon oeuvre fasse le va et vient entre ces deux mondes. Il me semblait que si je pouvais définir le point exact d’équilibre entre ces 2 mondes, la vérité apparaîtrait. J’ai utilisé mes propres obsessions et mes propres archétypes comme pierres de touche pour préserver l’honnêteté et l’intérêt de mon travail. Je n’ai trouvé ma véritable voie que lorsque j’ai écrit Closer et que j’ai su que j’étais prêt à écrire ce que j’avais voulu écrire.

Quelle conception aviez-vous du genre de roman que vous pouviez avoir envie d’écrire ?
Je lisais beaucoup de romans à ce moment là, presque tous européens, la plupart d’entre eux français. Je rêvais d’une fiction à la fois très simple et très compliquée, j’avais en tête d’écrire une série de romans qui composeraient une oeuvre et j’avais alors une vague idée de cette série ; un roman qui se désintègrerait lui-même. Je savais donc que je devais écrire un premier roman qui contiendrait assez de matériaux et de force pour supporter une série d’attaques et de démantèlements, car je voulais agir sur un territoire très précis. J’ai essayé beaucoup de choses qui ne marchaient pas. Beaucoup des éléments rassemblés dans Wrong étaient des essais de début de roman. Je n’en étais pas conscient jusqu’à ce que je m’installe à Amsterdam et là Closer surgit à cause de certains événements de ma vie associés aux livres que je lisais et à la musique que j’écoutais. Je pense que mes expériences, la littérature et dans une certaine mesure la musique ont eu une importance égale.
Sur le plan personnel, j’étais venu m’installer là pour être avec quelqu’un que j’aimais, mais notre relation s’est dégradée le jour où je suis arrivé et, à part quelques voyages pour aller voir des amis aux States, j’ai passé deux ans seul et sans ami. Cela m’a poussé à vivre d’une façon aventureuse et parfois dangereuse, ce que je n’aurais pas fait s’il y avait eu autour de moi des gens pour m’arrêter. J’ai consommé énormément de cette substance hollandaise très bon marché appelée Pep qui provoquait un état psychotique pendant lequel l’érotique envahissait tout et malgré tout je me sentais très objectif. Cela a beaucoup influencé ma prose, cela m’a donné aussi l’envie et l’énergie pour expérimenter dans la réalité les équivalents de mes plus délirantes fantaisies puis de les écrire quand j’étais dans cet état puis quand j’étais clean.
L’expérience dura 8 mois jusqu’à ce que je me trouve dans une situation incontrôlable, je dus prendre alors la décision la plus importante de ma vie, je me suis fait tellement peur que j’ai arrêté l’expérience. En même temps, j’avais découvert « le nouveau roman ». Il y avait une librairie de livres d’occasion à Amsterdam où quelqu’un avait déposé quelques trente romans de Robbe Grillet, Robert Pinget, Claude Simon, Nathalie Sarraute, Marguerite Duras et Michel Butor, je les ai achetés et je les ai lus. Pour je ne sais quelle raison, ce fut la dernière pièce du puzzle et Closer prit forme grâce à eux. Quelque chose dans l’intérêt de ces auteurs pour une voix objective et leur façon de traiter la narration, à la fois laconique et voluptueuse, m’excitait. Je dois dire aussi que Closer a été fortement influencé par deux disques de rock : Psychocandy par Jesus and Mary Chain et Closer de Joy Division (d’où le titre).
Dès que j’ai cessé de prendre de la drogue, je suis tombé très malade. Je n’ai pu sortir de mon lit pendant deux mois. J’étais en Hollande illégalement et comme je l’ai dit, je n’avais personne autour de moi pour m’aider à aller voir un docteur. J’ai pensé mourir. En fait j’avais attrapé une rougeole terrible. Cela m’a amené à terminer Closer, j’étais terrifié à l’idée de mourir sans avoir écrit ce que je croyais pouvoir écrire.

Extrait d’une interview de Dennis Cooper par le poète Robert Glück.

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Spectacle terminé depuis le samedi 1er juin 2013

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