Ce mois de mai 1974, c’est la stupeur : Le Chancelier Willy Brandt, l’homme de la réconciliation des deux Allemagne, le Prix Nobel de la Paix, démissionne !
On vient de découvrir que son assistant personnel, son homme de confiance depuis son accession au pouvoir, Günther Guillaume, est un espion de la redoutée police de la RDA, la Stasi.
Le scandale est énorme. L’incompréhension aussi. Comment une telle puissance a-t-elle pu se laisser berner ?
Version française Dominique Hollier.
Ce titre a été choisi car « la démocratie » est vraiment le sujet abordé. La pièce montre combien il est difficile pour chacun d’arriver à une politique commune dans tous les domaines, pas simplement dans la vie politique. (…) Toute situation qui implique plus d’une personne nécessite une sorte de débat politique, un compromis. Pendant longtemps, j’ai été complètement fasciné par l’Allemagne. (…) L’histoire de l’Allemagne moderne est absolument cruciale en Europe. (…) Ce qui m’a captivé, c’est la période de l’après-guerre : comment l’Allemagne s’est-elle remise de la destruction totale de 1945 ? Lorsque je vais en Allemagne, je pense souvent que sur cet océan de gravats, les allemands ont construit non seulement l’une des sociétés les plus prospères, mais également l’une des plus stables et des plus décentes en Europe. Je suis particulièrement captivé par Willy Brandt, pour son caractère très attrayant. C’était un homme de notoriété publique, non seulement en Allemagne, mais partout dans le monde. C’était un personnage rempli de contradictions : très charmant, séduisant. Mais il avait des faiblesses fatales : sa consommation de femmes et d’alcool, mais surtout son indécision. Il était également dépressif. (…) Il restait alors au lit avec ce qui était décrit diplomatiquement comme « un refroidissement accompagné de fièvre ». « Je pense que les êtres humains sont des sortes de démocraties en eux-mêmes ».
Michael Frayn
En 1945, les alliés et l’URSS se sont partagés l’Allemagne, qui n’avait plus d’existence politique autonome. Cette terre occupée est devenue le lieu principal du grand affrontement Est-Ouest qu’on nomme la Guerre Froide. Cette cristallisation culmine en 1961 avec la construction du Mur de Berlin. Ce mur devint durant 28 ans (1961-1989) le symbole de l’entrave étatique à la liberté individuelle. Le destin de Willy Brandt est d’avoir été plus que l’homme des mots, celui des gestes et des signes. Il était maire de Berlin en 1961 et vit s’élever ce mur qu’il qualifia de stupidité !
Il était présent en 1989 lors de sa chute et termina un discours demeuré célèbre par un malicieux : « Je vous l’avais bien dit que c’était une stupidité. »
Entre ces deux discours, Brandt fut le premier chancelier d’Allemagne socialiste de l’après-guerre (1969-1973) et le père de l'Ostpolitik (politique d’ouverture à l’Est).
Il fut le premier chancelier allemand à tendre la main à l’Allemagne de l’Est, le premier à se mettre à genoux devant un monument aux morts de la Shoa. Quand les nazis prirent le pouvoir en Allemagne, la famille de Brandt s’expatria en Norvège. « J’ai vécu, dira-t-il, la chute de l’Allemagne comme une libération et non comme une défaite. Puisque je ne me sentais pas coupable, j’ai pu demander pardon pour mon pays. Pardon à l’URSS, à la Pologne, pour les 6.000.000 de victimes de l’Holocauste, à tous les pays envahis et agressés ».
Willy Brandt, durant sa courte période de présence au pouvoir, a rendu son honneur à l’Allemagne. Il l’a fait à l’ombre d’un mur dont par la force de l’esprit, il fut le premier à saper les bases. C’est cette histoire fondatrice essentielle dans le destin de l’Europe d’aujourd’hui, que raconte le Démocratie de Michael Frayn. Cela et toutes les magouilles politico-politiciennes qui entraînèrent la chute prématurée du grand homme.
La moindre d’entre elles n’étant pas le sabordage ordonné par l’Est, de l’espion Gunther Guillaume qui s’était introduit dans l’entourage du chancelier.
L’Est, qui avait pris peur de l’affection trop envahissante du chancelier. La RDA avait besoin d’une RFA hostile, pour survivre et justifier l’enfermement de ses citoyens derrière le Rideau de Fer et le Mur de la Honte.
C’est tout naturellement le Mur qui sera l’élément essentiel de la scénographie de notre spectacle. Le Mur, et derrière lui (à l’Est), les miradors, les arbres morts, et les immeubles aux fenêtres murées. Sa chute conclut d’ailleurs le beau texte de M. Frayn, et nous ouvre la porte de notre temps.
A l’Ouest, on trouvera les débris du IIIème Reich sur les ruines duquel les hommes sont bien contraints de reconstruire (Chapiteau de colonne, gravât, objets disparates, meuble et bureau, mêlant passé et modernité). Le lieu réel de la représentation est en fait la mémoire collective d’une époque, avec les déformations qu’induisent les subjectivités de chaque témoin.
Jean-Claude Idée
20, avenue Marc Sangnier 75014 Paris