Une femme quitte les colonies pour venir à Paris quelques jours retrouver son fils qu’elle n’a pas vu depuis cinq ans. Ce fils, qu’elle aime d’un amour exclusif, aveugle, dévorant, est un minable flambeur qui vit avec une entraineuse plus jeune que lui. Que peut-elle encore attendre de celui qui, enfant, passait des journées entières dans les arbres à chasser les oiseaux plutôt que d’aller à l’école ? Que peut-elle encore attendre de celui, l’orgueil de sa vie, qui ne changera plus jamais ? Sans doute rien, si ce n’est de vivre cette passion folle, qui jusqu’au bout liera mère et fils, au-delà de tout.
« Des journées entières, tu étais dans les arbres… Comme c’était charmant… Je n’avais jamais vu ça : tant d’ardeur dans le jeu, tant de charme ! On dit que j’ai été injuste avec les autres. Je passe, m’a t-on dit, pour une mère injuste ! Quelle société ! Quelles mœurs ! De quel droit m’empêcher de te préférer ? »
« Il était blond à en perdre la tête et je pleurais parce qu’il était mortel. » C’est peut-être pour cette phrase bouleversante que la mère dit en parlant de Jacques, son fils, que j’ai voulu monter cette pièce de Marguerite Duras. L’amour parental est au cœur de cette histoire, de cette passion redoutable, dévoratrice et dévastatrice d’une mère pour son enfant, ce fils préféré, prisonnier de sa scène primitive, et tant aimé qu’elle voulait le garder pour elle.
« Quand j’ai écrit le texte des Journées entières dans les arbres, il me semblait que cet écrit, oui je le croyais, avait seulement trait à l’amour de la mère pour son fils – amour fou, mouvement océanique qui engloutit tout dans sa profondeur. (…) Cette mère qui le préférait à tout, à nous, à tous. Et lui, sujet innocent de cette fantastique fascination qu’il exerce sur elle, il souhaite qu’elle meure et de ne plus être préféré à personne et de s’engloutir enfin, lui aussi, dans le sort commun, dans le gouffre commun des orphelins du monde. »
Bien sûr, Marguerite Duras s’inspire dans cette pièce, adaptée par elle-même (à la demande de Jean-Louis Barrault) de sa nouvelle publiée en 1954, de sa mère, Marie Donnadieu, et de Pierre, son frère, déjà héros tragiques du Barrage contre le pacifique. Il y a quelque chose de profondément humain et douloureux qui se fait jour dans le rapport de ces deux êtres exceptionnels, la nocivité et l’ambivalence de leur relation, la violence et le caractère excessif voire extrême de leurs sentiments. Certes ce sont des « monstres » qui se séduisent, se caressent, s’embrassent, se déchirent, se pâment de leurs échecs, hurlent et pleurent pour évoquer la période révolue de l’enfance dont la mère et le fils ne se sont jamais remis, se trahissent et se volent en toute complicité, s’aiment à la folie tout en se murmurant des horreurs. « Des gens sans références » comme dit Marguerite Duras.
Chaque jour depuis que nous avons commencé les répétitions, je suis saisi par la puissance de ce texte où règne la transgression (il a d’abord été censuré avant d’être joué), sa beauté crépusculaire, sa poésie cachée derrière une certaine forme de trivialité, son mystère dissimulé sous une trompeuse simplicité, sa drôlerie et son insolence, ses métaphores, son abstraction, sa modernité enfin car il y a quelque chose de résolument intemporel dans sa construction et son écriture. Quoi de plus personnel qu’une mère qui aime son fils ? A travers ces deux là, Marguerite Duras parle de tous les fils et de toutes les mères du monde, touchant à l’universalité d’un lien absolu, ramené ici avec son côté immodéré à sa dimension quasi-mythique.
J’ai choisi Fanny Ardant et Nicolas Duvauchelle pour être cette mère et ce fils. Je ne voyais qu’eux. Ça ne pouvait être qu’eux. Ils amènent à cette tragédie leur instinct, leur animalité, leur sensualité, abordant les scènes de manière plus physique que réfléchie, savourant ce plaisir qu’ils ont à travailler ensemble pour la première fois. Au milieu d’eux, Agathe Bonitzer donne à son personnage de putain loyale et amoureuse, une grâce, une innocence un rien perverse essentielles à Marcelle, la compagne du fils. J’ai donné son premier rôle au cinéma à Jean-Baptiste Lafarge dans Les yeux de sa mère, je suis heureux qu’il fasse également ses premiers pas au théâtre avec moi dans le rôle plus secondaire (mais essentiel) de Monsieur Dédé, le jeune patron du bar où travaille le fils.
Ma mise en scène assez fidèle aux indications scéniques de Marguerite Duras, à l’époque qu’elle décrit (fin des années 50) mettra en relief, dans un décor minimaliste soutenu par un jeu d’ombre et de lumière, ce quatuor terrifiant mais si attachant, leurs zones d’opacité se perdant à l’infini dans les limbes d’un passé qui échappe à toute temporalité, rationalité, morale, laissant juste entrevoir, au bout du compte, des éclats d’amour aussi brulants qu’inconcevables.
Thierry Klifa (16 décembre 2014)
On évoque souvent le cliché de l’amour absolu qu’éprouve une mère pour son fils, à propos de cette femme en bout de course et personnage central de la pièce. Mais d’absolu, il y a surtout ici la volatilité de l’objet sur lequel se dépose ce désir d’amour. Le désenchantement, les rebuffades, la lucidité quant à l’indignité du fils, n’y changent rien. Le besoin d’amour demeure, ultime rempart avant le fossé. Par un curieux détour, la pièce revient ainsi sur une vérité si dérangeante notamment incarnée, il y a bien longtemps, dans le Cosi fan tutte de Mozart et son librettiste Da Ponte : le désir existe indépendamment de son objet. Peu importe l’objet, le désir sait se suffire à lui-même. Il y a une grande mélancolie dans cet apprentissage. Et c’est essentiellement cette mélancolie que l’on retrouve mise en scène ici.
s'il faut lire le résumé et les notes d'intention pour suivre une pièce, cela devient difficile de penser que le théâtre nous emporte dans sa grâce. Je n'ai rien à dire sur les comédiens, bien choisis, et qui se "donnent"C'est le texte qui a mal vieilli,ce qui devrait constituer le mystère m' ennuie considérablement; Le meilleur est dans la jeune actrice qui réussit à toucher par sa vulnérabilité incarnée avec talent;
Pour 2 Notes
On évoque souvent le cliché de l’amour absolu qu’éprouve une mère pour son fils, à propos de cette femme en bout de course et personnage central de la pièce. Mais d’absolu, il y a surtout ici la volatilité de l’objet sur lequel se dépose ce désir d’amour. Le désenchantement, les rebuffades, la lucidité quant à l’indignité du fils, n’y changent rien. Le besoin d’amour demeure, ultime rempart avant le fossé. Par un curieux détour, la pièce revient ainsi sur une vérité si dérangeante notamment incarnée, il y a bien longtemps, dans le Cosi fan tutte de Mozart et son librettiste Da Ponte : le désir existe indépendamment de son objet. Peu importe l’objet, le désir sait se suffire à lui-même. Il y a une grande mélancolie dans cet apprentissage. Et c’est essentiellement cette mélancolie que l’on retrouve mise en scène ici.
s'il faut lire le résumé et les notes d'intention pour suivre une pièce, cela devient difficile de penser que le théâtre nous emporte dans sa grâce. Je n'ai rien à dire sur les comédiens, bien choisis, et qui se "donnent"C'est le texte qui a mal vieilli,ce qui devrait constituer le mystère m' ennuie considérablement; Le meilleur est dans la jeune actrice qui réussit à toucher par sa vulnérabilité incarnée avec talent;
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