Quatre frères et sœurs se réunissent, à la mort de leurs parents, dans le pavillon témoin d’une résidence HLM au sein duquel ils ont passé toute leur enfance. Entre les préparations de l’enterrement et l’organisation de la revente de la maison, les souvenirs rejaillissent. Aucun d’entre eux n’a jusqu’ici vécu en dehors de ce quartier. Et pourtant, le fait de devoir se séparer de la maison de leur enfance leur renvoie au visage les multiples mutations de cet environnement dont ils n’ont jamais su s’extirper, et qui imprimèrent sur eux d’oppressantes contraintes.
L’équilibre précaire dans lequel ils se trouvent est bouleversé lorsqu’une entreprise d’ameublement de terrain découvre dans leur jardin les ossements d’un corps humain. Il s’agit en réalité du corps de Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, dont la dépouille n’avait encore jamais été retrouvée. L’héritage n’est plus le même.
« De tous ces enjeux qui traversent la France, le dramaturge et metteur en scène fait du théâtre sans grands airs ni messages lourds, mais il ouvre des perspectives d'habitude peu dessinées sur nos scènes. (...) il sait émouvoir, faire réfléchir. Et rire aussi ! » Emmanuelle Bouchez, Télérama TT
« Dans Nos territoires (Nous sifflerons la Marseillaise…), le jeune auteur metteur en scène Baptiste Amann compose une scène de la vie familiale à la dramaturgie bien ficelée et aux accents désespérés. » Hervé Pons, Les Inrocks, 28 janvier 2016
« La troupe ose les incursions musicales, les chocs émotionnels, les allers retours entre confidence et dialogue. Et pose la question des idéaux. C'est magistral et ces jeunes comédiens sont d'une belle maturité. Ici, l'histoire familiale rejoint l'histoire d'un peuple. » Sud-Ouest
« L’écriture est exigeante, acérée, sensible, ouverte sur le monde. » Happen
« (…) dans un monde où tout se fissure, où tout vacille, où les certitudes n’existent plus, où la grogne révolutionnaire est du côté des rétrogrades et conservateurs, à quoi se raccrocher ? Amman trouve un début de réponse en convoquant au milieu de cette banlieue en déserrance, la figure de Condorcet. » Rue 89-Bordeaux
Ils s’appellent Lyn, Benjamin, Samuel, Hafiz. Ils sont de la même famille. Ils ont grandi dans ce pavillon de banlieue. Ils vivent encore dans le quartier. Ils sont de cette ville, de ce pays, dans ce monde. Ils se racontent des petites histoires sur l’époque, sur les mutations de l’espace urbain, sur leur manque de courage, d’envie, de perspectives, sur le racisme de l’un, sur l’ambition de l’autre, sur le chemin à prendre pour ramener les pizzas, sur leur statut d’ainée, de cadet, de benjamin, de frères et de sœur, de femme et d’hommes.
Ils en oublieraient presque que leurs parents sont morts. Qu’il faut vendre ou ne pas vendre la maison. Qu’il faut pleurer ou ne pas pleurer. Qu’il faut rire ou ne pas rire. Et le cercueil, en sapin, en acajou ? Ils se noient dans un verre d’eau. Ils sont drôles. Ils sont minuscules. Ils sont comme tout le monde. Ils font ce qu’ils peuvent. Jusqu’à ce que l’Histoire surgisse au milieu du salon, les saisisse, et leur rappelle qu’ils sont aussi d’une autre ville, d’un autre pays, d’un autre monde.
Des Territoires (Nous sifflerons la Marseillaise) est le premier volet d’une trilogie. Chacun se distingue par son sous-titre :
1. Des Territoires (Nous sifflerons la Marseillaise)
2. Des Territoires (D’une prison l’autre)
3. Des Territoires (Et tout sera pardonné)
L’ambiguïté du premier sous-titre où le verbe « siffler » peut s’entendre soit dans le sens « siffloter » soit dans le sens « huer » tend à exprimer l’ambivalence du rapport qu’un pays coupé en deux peut entretenir avec son hymne national. Il s’agit là de contracter ; en une seule expression, nos sentiments paradoxaux vis à vis d’une nation dont l’identité est mise en crise par notre époque troublée.
Ce texte, je l’ai écrit il y a trois ans, en réaction à la grogne réactionnaire que je sentais monter dans le pays. Les atteintes répétées aux valeurs humanistes de la République, la résurgence de groupuscules fascistes qu’on croyait définitivement vaincu, la radicalisation de certains jeunes partis mener le Djihad en Syrie, la montée de Front National, m’avaient contraint à repenser ma vision romantique de l’idée de « révolution ». Des territoires (Nous sifflerons la Marseillaise…) devenait le premier volet d’un projet de trilogie dont l’axe principal se baserait sur cette inquiétude personnelle : quel type de révolution appellera le XXI° siècle ?
Après les événements que nous avons connu durant l’année 2015, la nécessité pour moi de réaliser ce projet s’est faite encore plus forte. Les thèmes abordés par la pièce sont effectivement ceux qui travaillent notre société. On y parle, toutes échelles confondues, de la difficulté de vivre ensemble, dans un même pays, dans une même ville, dans un même quartier, au sein d’une même famille. On se débat. On s’oppose. On spécule. On juge, on condamne, on accuse. On s’inquiète de la montée du salafisme dans les quartiers. On manipule des concepts plus grands que soi comme la démocratie, l’héritage, la liberté, la révolution, l’identité.
La résonnance avec l’actualité n’est pas le fruit d’une intuition visionnaire. Elle témoigne surtout du fait que notre génération (dans l’équipe nous avons tous autour de trente ans) s’est construite au contact de ces problématiques. Comme toutes celles qui l’ont précédée, au moment où elle s’apprête à devenir à son tour la référence pour ceux qui « hériteront », elle a l’impression d’être la plus à même de parler du monde. Un mirage, pour sûr. Mais, assumons ! J’espère trouver les moyens de faire rentrer ces questions d’actualité au cœur du théâtre, représenter des populations que je trouve sous-représentées, rehausser la valeur de ces « petites vies » en dehors du folklore de la démarche sociale, ou de l’ambition paternaliste d’un savoir faire culturel. Parler de la banlieue. Parce que j’y ai grandi, et que là bas, l’« état d’urgence » est décrété depuis plus de 20 ans. Ecrire des dialogues aussi. Ça n’a l’air de rien. Et pourtant.
Ce qui est délicat avec le terme « banlieue », c’est qu’il fonctionne comme un label. Il produit tout un tas de fantasmes, il stigmatise, il fascine, il attise les peurs, lance des modes, catalyse un grand nombre de « phénomènes de société ». Je ne veux pas traiter de cela. La banlieue est ici un contexte, une toile de fond. Ce qui m’intéresse c’est de parler, à travers le ressouvenir de ma propre expérience, de l’impact qu’ont les territoires sur nos personnalités et nos rapports au monde.
Des Territoires (Nous sifflerons la Marseillaise…) n’est pas un traité sociologique, ou un manifeste politique pour autant. C’est une pièce de théâtre. Aucun point de vue ne l’emporte sur l’autre. Rien ne décide pour le spectateur de ce qu’il doit en penser. Il n’est pas question non plus de verser dans l’état des lieux glauque ou la flagellation austère. Au contraire, la place de l’humour y est essentielle. Elle seule a cette capacité bienfaitrice de valoriser notre ridicule, notre lâcheté, nos faiblesses communes, pour en faire les expressions les plus honnêtes, et les plus promptes à nous faire rire, de notre humanité.
Le titre Des territoires est une référence au concept de déterritorialisation de Gilles Deleuze et Félix Guattari (l’Anti-Œdipe) ; il décrit un processus de rupture entre les relations antérieures relatives à un territoire et leur réactualisation dans d’autres contextes.
J’ai vécu en banlieue pendant dix huit ans. D’abord en « cité », puis dans une résidence de relogement où les conditions de vie sont dites plus agréables. C’est un univers extrêmement cloisonné dont on espère se « déterritorialiser » au plus vite. Mais ces structures de relogements, censées offrir aux habitants un espace plus propice à l’épanouissement ont été ensuite entourées elles-mêmes par d’autres cités HLM. L’ouverture nécessaire induite par le principe de déterritorialisation s’est aussitôt vue obstruée par le jaillissement sans cesse renouvelé de l’urbanisation. La distance pour en échapper est devenue exponentielle. Il y a donc chez la population de banlieue un sentiment de résignation vis-à-vis de sa condition.
C’est à l’intérieur de ces espaces gigognes dans lesquels se cristallisent les rivalités territoriales qui agitent le monde depuis des siècles (conflits identitaires, communautaires, rapport à la légitimité par l’opposition nature/culture, rapport à la culpabilité induite par le clivage colon/colonisé) que je situe la pièce. Mon intention est de parler à travers le ressouvenir de ma propre expérience, de l’impact qu’ont les territoires sur notre personnalité, et à quel point ils déterminent aussi notre rapport au monde.
Le phénomène est complexe, et pour ne pas verser dans l’amalgame je veux aborder la notion de territoires à différentes échelles :
- La famille : est un territoire abstrait d’ordre ethnologique, mais qui propose un schéma où des lois typiquement territoriales ont cours pour créer une hiérarchie des rapports.
- La maison : le lieu de l’enfance mais aussi celui de l’héritage. Celui qui catalyse les souvenirs de l’enfance, l’établissement d’un patrimoine mais également les ambitions de ventes et d’oublis. Dans le cadre de la pièce la maison est également une zone de repli vis-à-vis d’un extérieur qu’on envisage comme hostile.
- Le quartier : parler des territoires c’est forcément évoquer la ségrégation qu’ils impliquent qu’elle soit raciale, religieuse ou sociale. Les zones urbaines périphériques sont intéressantes car on y observe un renversement du rapport dominant-dominé. C’est pourquoi j’ai situé la pièce du point de vue d’une famille blanche de la classe moyenne plutôt que de celui d’un groupe de « jeunes à casquettes » trop souvent stigmatisés.
- Le monde : à notre époque, on voit se croiser les retours de bâton de deux périodes historiques, celle du capitalisme outrancier avec la crise économique, et celle de la colonisation des terres et des biens par l’Occident avec la montée du radicalisme religieux et l’inflation du terrorisme motivée par une ambition de reconquête, les vainqueurs d’hier ne sont plus assurés de jouir encore longtemps de leur toute-puissance. « Soit tous les hommes ont les mêmes droits, soit aucun n’en a » déclarait Condorcet. Si les enjeux sont essentiels, ce sont des enjeux communs (du pavillon d’une résidence de banlieue aux camps de réfugiés de Gaza ; des quartiers richissimes et surprotégés de Rio jusqu’aux Townships du Cap ; du XVIII° jusqu’au XXI° siècle).
- L’Histoire : Il y a une mutation des personnages à la fin de la pièce. Ils deviennent les protagonistes du dernier repas de Condorcet avant son arrestation. Cette volonté de sortir du cadre tend à apporter une valeur transcendantale à la localité de la pièce, mais aussi à dépasser la forme réaliste du drame sociétal. Au delà de ce que l’anachronisme ouvre comme perspectives jouissives de jeu et d’écriture, il permet de créer un décalage avec la situation en cours, et la mise en résonnance d’enjeux à priori médiocres, que motivent parfois les relations familiales, avec des enjeux historiques de conscience politique et d’éthique personnel dont la figure de Condorcet est la parfaite incarnation. (…)
Baptiste Amann, novembre 2015
Piquante pièce de théâtre ! Une sœur et trois frères se retrouvent dans l'appartement familial en banlieue. Les parents sont morts. Dans quelques heures, une veillée démarrera. Avant la veillée, il y aura des souvenirs, des colères, des peines, des rires, des interrogations sur les banlieues d'abord mais aussi et surtout sur nos relations avec nos voisins, nos amis d'enfance, avec les Autres, avec nous-mêmes.
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Piquante pièce de théâtre ! Une sœur et trois frères se retrouvent dans l'appartement familial en banlieue. Les parents sont morts. Dans quelques heures, une veillée démarrera. Avant la veillée, il y aura des souvenirs, des colères, des peines, des rires, des interrogations sur les banlieues d'abord mais aussi et surtout sur nos relations avec nos voisins, nos amis d'enfance, avec les Autres, avec nous-mêmes.
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