Ils ont 35 ans ou un peu plus, ils se retrouvent pour passer ensemble les derniers jours de l’année 2000 dans le village de leur enfance. À l’aube du siècle nouveau, ils font les comptes des illusions et des renoncements. Dans le café, les habitués renvoient d’autres images, un étranger de passage tente de comprendre ce qui se cache derrière les apparences. Par petites touches se compose un tableau doux-amer d’un monde en transition, une génération fait ses comptes, un monde rural, attiré par les lumières de la ville, s’accroche à ses repères.
Le texte est publié aux Éditions Théâtrales. Le choeur des habitants interprété par des amateurs associés aux représentations.
Yves : Marc, un jour après l'école, c'était l'hiver, il faisait déjà nuit. Toi, Laurent et moi on est montés là-haut, là où déjà tu venais
regarder les étoiles. On s'est assis, tu m'as dit : "Un jour je
saurai de quoi est fait le ciel", Laurent a dit : "Un jour je
sauverai des vie", moi j'ai dit : "Un jour je ferai la
révolution.
Les filles nous avaient suivis, elles se sont cachées pour nous écouter, elles nous ont entendus, elles ont éclaté de rire. J'entends toujours ce rire.
Lise : Pourquoi tu racontes ça ?
Yves : Devine !
Un village du sud-ouest, et dans ce village un café, symbole du collectif, du poids du regard du groupe sur chaque individu. Les habitants dans le café, tel un choeur antique, commentent les évènements, regardent, observent. La pièce raconte des retrouvailles à l'occasion du réveillon de l'an 2000. Année 2000, année de tous les changements, passage d'un siècle à un autre. La génération des jeunes est encore imprégnée des utopies passées, la génération des plus anciens se raccroche à ses valeurs et à ses certitudes.
Chez Françoise du Chaxel tout est tu. Elle décrit une humanité ordinaire qui n'a pas l'habitude de se raconter ou de se répandre, tout en retenue et en pudeur impuissante à se dire. Comment traduire le réel au théâtre ? La densité de l'écriture de Françoise du Chaxel, lourde de la sédimentation des vies, ne peut souffrir l'anecdotique, ni le réalisme, même si les relations entre les êtres pourraient sembler se réduire à des clichés d'une apparente superficialité. Ce que les clichés s'efforcent de taire et de masquer s'impose et nous touche.
Le texte de Françoise du Chaxel parle à tous les publics, par sa simplicité et sa densité épurée mais aussi par la force de son contenu : il recouvre plus d'enjeux politiques et sociaux qu'il n'y paraît ; il nous parle d'un avenir incertain et d'une génération de toutes les transitions ; il est enfin le lieu où l'intime rejoint l'universel. Une succession de séquences courtes. Trois lieux présents simultanément dans l'espace scénique : la Ferme, le Chemin, le Café.
Un village, un microcosme où tout se voit et tout se sait. Le regard du groupe qui pèse sur chacun.
Le décor épuré renvoit à l'épure d'une écriture condensée à l'extrême. En fond de scène un écran suspendu. L'espace est ouvert pour laisser le champ libre à l'imaginaire du spectateur en proposant un dispositif scénique simple et épuré, ni anecdotique, ni naturaliste. Les éléments de décor sont un appui de jeu, un cadre qui intensifie les corps. Un décor abstrait, ébauche de bar, de table, murs dessinés à terre, lignes ou frontières, pages blanges sur lesquelles viennent s’inscrire le corps des acteurs.
Le mystère des êtres se révèle dans les silences, dans le souffle des silences entre les échanges. Ce qui se joue est ailleurs que dans les mots. Je souhaite un jeu sobre, sans pathos, précis, une partition de paroles, de gestes, de mouvements, de regards, d'intonations et de silences. Je souhaite que la densité de l'écriture s'incarne dans le jeu, mais que les échanges dans les dialogues se fassent dans une fluidité légère et nécessaire. La seule partition du texte donne le rythme de chaque séquence. Par touches, Françoise du Chaxel construit un tableau doux-amer, à l'humour grinçant. Des personnages très nourris, saisis au plus près comme par une caméra qui ne perdrait aucun regard, aucune expression même imperceptible.
La présence du corps de chaque acteur, modelée par les blessures de son vécu personnel, entre en résonance avec le discours intérieur du personnage. Une chorégraphie précise des trajectoires de chacun dessine une cartographie de l'intime de chaque personnage dont le spectateur découvre le paysage tout en acceptant de ne pas parvenir à tout saisir.
À l'aube du siècle nouveau, " ce réveillon existentiel… C'est-à-dire relatif à la réalité vécue ! ", met en scène ce moment où l'on renonce aux rêves pour affronter ce que l'on est vraiment, ce moment où, de simple personnage, on devient enfin le héros d'une tragédie, celle de tous ceux qui acceptent de quitter l'enfance pour naître à l'homme, seul à jamais en face des autres, incertain et fragile : un héros," le nez collé au cul des vaches et la tête dans les étoiles".
Des traces d'absence sur le chemin donne à entendre l'humain dans ce vacarme qui nous entoure.
Sylvie Ollivier, Avril 2007
17, boulevard Jourdan 75014 Paris