En allemand surtitré.
Le Papier peint jaune est un texte encore trop peu connu en France, malgré de belles traductions récentes. Son auteur, Charlotte Perkins Gilman, fut l’une des principales militantes de la cause féministe au tournant du XXème siècle. En 1890, quelques années après avoir souffert un épisode aigu de dépression postnatale, elle écrivit en deux jours une nouvelle destinée à régler quelques comptes avec le pouvoir masculin et médical : sous prétexte de lui prescrire une « cure de repos », un savant docteur spécialiste des affections nerveuses avait failli la faire basculer tout à fait dans la démence…
De cette sinistre expérience de privation sensorielle et intellectuelle, Gilman tira un récit devenu classique : le journal intime tenu par une jeune mère que son époux, qui est aussi son médecin, enferme pour son bien dans une pièce sombre et défraîchie, entièrement tapissée d’un vieux papier peint jaune à motifs. Peu à peu, surmontant son dégoût initial, l’héroïne anonyme s’attache à examiner ce papier, à y distinguer des formes, puis des présences en mouvement…
Mitchell a choisi de s’attarder sur cette souffrance parfois mal connue et reconnue aujourd’hui encore, ce moment de la vie où une femme, fragilisée par la maternité, peut se sentir comme prise au piège des rôles familiaux et sociaux qui lui sont proposés. Pour cela, la metteuse en scène a d’abord fait transposer la nouvelle dans le Berlin du XXIème siècle. Elle a ensuite mobilisé les ressources dramatiques et plastiques qui ont fait sa réputation. Le récit de Gilman se double ici d'une autre action, celle des caméras qui le captent, de la bruiteuse qui fabrique sous nos yeux les ambiances sonores, du monteur vidéo élaborant en direct le film de la représentation projeté sur grand écran.
Enfin, à la pullulation techno-schizoïde des espaces et des événements (théâtraux / cinématographiques, produits / postproduits, montrés / projetés), Katie Mitchell a ajouté le dédoublement de son héroïne, nommée Anna : ses pensées sont énoncées à voix haute par Ursina Lardi ; son corps, ses gestes, ses émotions sont confiés à Judith Engel, qui joue magnifiquement avec la scène et la caméra pour composer à fleur de peau, en deux langues à la fois – celles du théâtre et du cinéma – le saisissant tableau d’une douleur.
« I think sometimes that if I were only well enough to write a little it would relieve the press of ideas and rest me. But I find I get pretty tired when I try.
Je me dis parfois que si seulement j'étais en état d'écrire un peu cela soulagerait le bousculement de mes idées et me reposerait. Mais je constate que je me fatigue beaucoup quand j'essaie. »
Version anglaise de Lyndsey Turner d'après Charlotte Perkins Gilman, traduction en allemand Gerhild Steinbuch.
Like a broken neck
I think sometimes that if I were only well enough to write a little it would relieve the press of ideas and rest me.
But I find I get pretty tired when I try.
It is so discouraging not to have any advice and companionship about my work. When I get really well, John says we will ask Cousin Henry and Julia down for a long visit ; but he says he would as soon put fireworks in my pillow-case as to let me have those stimulating people about now.
I wish I could get well faster.
But I must not think about that. This paper looks to me as if it KNEW what a vicious influence it had !
There is a recurrent spot where the pattern lolls like a broken neck and two bulbous eyes stare at you upside down.
I get positively angry with the impertinence of it and the everlastingness. Up and down and sideways they crawl, and those absurd, unblinking eyes are everywhere. There
is one place where two breadths didn't match, and the eyes go all up and down the line, one a little higher than the other.
Charlotte Perkins Gilman : The Yellow Wallpaper (1892)
Comme une nuque brisée
Je me dis parfois que si seulement j'étais en état d'écrire un peu cela soulagerait le bousculement de mes idées et me reposerait.
Mais je constate que je me fatigue beaucoup quand j'essaie. C'est si décourageant de ne pas avoir de conseils, pas la moindre compagnie pour mon travail. Quand j'irai vraiment mieux, John dit qu'il invitera le cousin Henry et Julia pour une longue visite ; mais il dit qu'il aimerait mieux farcir mon oreiller de feux d'artifice que de me laisser fréquenter en ce moment des gens aussi stimulants.
Si seulement je pouvais me rétablir plus vite.
Mais je ne dois pas y penser. Ce papier m'a tout l'air de savoir l'influence pernicieuse qu'il a !
Il y a une zone récurrente où le motif pend comme une nuque brisée et où deux yeux bulbeux vous fixent à l'envers.
Je suis positivement irritée par cette impertinence qui n'en finit pas. En haut, en bas, sur le côté, ils grouillent, et ces yeux absurdes, qui jamais ne clignent, sont partout.
Il y a un endroit où les motifs de deux lés ne coïncident pas, et les yeux montent et descendent le long de la ligne, l'un d'eux un peu au-dessus de l'autre.
Charlotte Perkins Gilman : Le Papier peint jaune (1892)
8, boulevard Berthier 75017 Paris
Entrée du public : angle de la rue André Suarès et du Bd Berthier.