Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke

du 25 au 29 novembre 2015
1h10

Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke

Anne Teresa De Keersmaeker danse sur un poème en prose de Rainer Maria Rilke.
La chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker axe son travail sur le contrepoint entre texte et danse, en respirant sur un poème en prose de Rainer Maria Rilke. Elle lui donne souffle et voix, abordant le texte comme une partition, composant ainsi la sienne. Spectacle en allemand surtitré en français.

Spectacle en allemand surtitré en français.

  • Relation entre danse et texte

La chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker axe son travail sur le contrepoint entre texte et danse, en respirant sur un poème en prose de Rainer Maria Rilke. Elle lui donne souffle et voix, abordant le texte comme une partition, composant ainsi la sienne.

A son habitude, la chorégraphe provoque un dialogue entre les structures, qu’elles soient musicales ou chorégraphiques, créant sa propre partition rythmique. Qu’elle choisisse la musique de Mozart dans Mozart/Concert Aria’s, Joan Baez dans son solo Once ou Steve Reich dans son duo fondateur Fase, Four Mouvements to the Music of Steve Reich, elle compose. Cette fois, elle va à la rencontre du poème en prose Le chant de l’amour et de la mort du cornette Christoph Rilke que Rainer Maria Rilke écrivit à l’âge de 23 ans. Il ne s’agit pas pour elle d’élaborer à partir de Rilke une pantomime actuelle, encore moins d’illustrer le texte ou de le traduire scéniquement mais de trouver des chemins de traverse.

Dans cette nouvelle pièce, Anne Teresa De Keersmaeker poursuit un amour de toujours : trouver ce qui trace la relation entre la danse et texte, parole et mouvements. « Voilà un moment déjà, écrit-elle que je m’intéresse aux origines du mouvement. Plus encore que les pas, la respiration est un des motifs du mouvement, les plus élémentaires et essentiels à la vie. Avec l’inspiration naît le bruit, le bruit devient parole et la parole chant. Une voix ne peut mentir : elle dévoile l’intimité d’un individu (…) A ce Cornet de Rilke, je veux donner souffle et voix, en abordant le texte comme une partition. Comment incarner la langue dans une narration ? Que se passe-t-il quand on confronte la logique d’un texte à une logique de mouvement indépendante ? »

Sa danse se glisse dans le corps du texte, dans le sous-texte, elle saisit les nuances, les turbulences et s’aventure dans les zones obscures, dans les interstices dévoilés par le poète.

« Peut-être, écrit Rainer Maria Rilke, que nous refaisons sans cesse la nuit le trajet que nous avons péniblement gagné sous un soleil étranger ? ». Question qu’il aurait pu adresser directement à Anne Teresa De Keersmaeker qui, sans répit, cherche la voix juste qui dira le mieux ce qui nous met en mouvement.

  • Entretien avec Anne Teresa De Keersmaeker

La dernière fois que nous nous étions rencontrés, nous avions parlé de my walking is my dancing (comme je marche, je danse), principe à lʼoeuvre dans Partita 2 et Vortex Temporum. Vous venez de montrer une ébauche basée sur My Breathing Is My Dancing, dans le cadre de l'exposition Work/Travail/Arbeid, au Wiels. Ces différents « cycles », autour de la marche, de la respiration, et maintenant du texte se chevauchent, s'entremêlent. Est-ce que cette création peut être considérée comme l'amorce d'un my talking is my dancing ?
Anne Teresa De Keersmaeker : Le principe my walking is my dancing était un des points de départ de Partita 2, il a été poussé plus loin encore dans Vortex Temporum, pièce construite sur la musique de Gérard Grisey, et dont est issu le matériau de l'exposition Work/Travail/Arbeid présentée au Wiels. Mais il provient d'avant : dans En Atendant déjà, la marche était le point de départ pour l'organisation de l'espace et du temps. Ce point de départ s'est ensuite combiné à une trame géométrique : un point, un deuxième point, une ligne, une rotation, un cercle, un cercle qui se dédouble – qui aboutissent à trois cercles dans le cas de Partita 2. Ces trois cercles contiennent un pentagon qui fournit les lignes droites. Dans Vortex, cette structure s'appuie également sur des courbes, qui renvoient à la notion d'eau, de liquide. Dans cette pièce, le travail sur le temps est très important : la lenteur, le présent vient se combiner avec un travail sur la vitesse. Chez Gérard Grisey, cela correspond au passage entre « temps des baleines » et « temps des humains » ; et puis il y a « le temps des insectes », qui est le temps de la syncope – un temps condensé...
Il y a eu une autre étape entre temps – entre Vortex et les ébauches autour du souffle : la pièce Golden Hours (As you like it), qui part d'une chanson de Brian Eno, dont les premières paroles sont « the passage of time ». A cette musique s'est ajoutée une trame textuelle issue de Shakespeare – de la pièce As You Like It. Dans Golden Hours, la parole est la trame sous-jacente d'une narration qui n'est pas entièrement dévoilée – le moteur d'engendrement du vocabulaire chorégraphique. Donc, effectivement, il y a toujours des enjambements, des passages entre plusieurs principes de travail. Par exemple, cette idée de « narration secrète » était déjà présente dans Partita 2, même si elle est vraiment restée secrète. Dans Golden Hours, le principe de travail est basé sur « my talking is my dancing ». Le texte n'est pas dit, il est élaboré par la danse, mais en revanche, il est projeté, il apparaît par fragments, instaurant une scansion du temps, un rapport flottant avec la danse, ainsi quʼavec le contenu du texte.
La question qui gouverne tout cela serait « quelle est l'impulsion initiale, l'origine du mouvement ? Qu'est-ce qui précède ? ». Avant la parole, il y a l'air, le souffle – souffle qui pour moi est lié à la pratique du taï-chi et au taoïsme. Cela implique un mouvement lié à la colonne vertébrale, à la verticalité. C'est une manière d'aborder le corps sur lequel Steve Paxton a beaucoup travaillé – lier la colonne vertébrale et le souffle, dans un mouvement d'ouverture et de clôture, comme un battement de coeur. La respiration est ce qui introduit un battement entre l'intérieur et l'extérieur – inspirer et expirer. On retrouve ce va-et-vient dans le regard : prendre l'information, et la rendre. My watching is also my dancing. Mais je dirais que la respiration est la relation la plus essentielle, la plus originelle avec le monde extérieur. Ce que j'ai présenté dans My Breathing Is My Dancing au Wiels est une étude autour de ces idées. La musique de Sciarrino qui était jouée par Chryssi Dimitriou se prête parfaitement à cette étude : il n'y a pas de sons à proprement parler, tout est tiré de la respiration, de la manière d'arracher un souffle à la flûte traversière. La musique de Sciarrino sera présente dans la création sur Rilke – pour amener cette dimension du souffle.
Dans la pensée orientale du « souffle vital », il y a trois niveaux : d'abord l'intention, puis l'énergie, enfin la forme. Dans cette optique, c'est la pensée, l'intention qui est première, ce que je traduirais comme « my thinking is my dancing ». Ensuite l'énergie, qui incarne cette intention. Puis la forme, qui peut avoir différents niveaux de matérialisation.

D'où vient votre intérêt pour ce texte de Rilke, Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke – un texte de jeunesse, qui a rencontré un grand succès ?
Ce texte est là depuis longtemps. Je l'avais déjà en tête lorsque j'ai fait la mise en scène de Rivages à l'abandon / Médée Matériaux / Paysage avec Argonautes de Heiner Müller, en 1987. Et il est toujours resté là, à la marge, dans un coin de ma tête. La question du texte s'est présentée pour la première fois pour moi dans Elenaʼs Aria en 1985. Et puis pendant une période j'ai beaucoup travaillé avec ma soeur, Jolente, et le collectif théâtral tg STAN. Nous avons travaillé ensemble pour I said I, sur un texte de Peter Handke, ainsi que Quartett de Müller – entre autres. Par la suite, je me suis un peu écartée de cette question, j'ai décidé de me focaliser sur ma relation avec la musique. A vrai dire, c'est par la musique que le texte est revenu : en travaillant avec Jérôme Bel sur le livret du Chant de la terre de Mahler, lors de 3Abschied. Mais aussi par le chant, présent dans En Atendant et Cesena. Le texte est revenu par la voix. Dans Cesena, l'expérience reposait sur le fait que les danseurs chantent et que les chanteurs dansent. Ce qui m'intéressait, c'était cette incorporation, et ce qui se produit lorsqu'on danse et chante en même temps. Dans Once, les paroles de chansons de Joan Baez ont également servi de support. Du coup, le travail sur Rilke est en même temps une reprise, et une poursuite : je veux continuer à travailler sur l'incarnation des mots, sur le fait d'incorporer le texte.

Lorsqu'on pense à la relation entre danse et texte, se pose d'emblée la question de savoir sur quelle dimension du texte le corps s'appuie : sur le sens, les sons, les rythmes, l'imaginaire ? Le texte de Rilke a ceci de particulier que ces différents niveaux sont inséparables...
Oui, le statut de ce texte est très incertain. Est-ce qu'il s'agit d'un poème, d'un chant, d'un récit ? Ça raconte une histoire, mais c'est aussi une musique, une partition. Je voudrais m'appuyer sur tous les niveaux du texte.

Rilke pousse le jeu des assonances à un point de fusion des sons, du sens, du souffle, comme dans cette phrase : « Die hohen Flammen flackten, die Stimmen schwirrten, wirre Lieder klirrten aus Glas und Glanz, und endlich aus den reifgewordenen Takten : entsprang der Tanz ». Phrase qui se termine d'ailleurs par ces mots : « surgit la danse », presque comme une invitation...
Le mouvement des phrases de Rilke est très beau. De la même manière que dans toute musique de Bach, la danse se présente, je trouve que dans ce texte, elle se présente, mais de manière matérielle. Il y a vraiment de la matière : c'est plastique, tactile. Ça donne envie de s'en saisir. Au niveau du sens, cette matérialité s'incarne dans des contraires : tout le texte est construit dans une alternance entre mouvement et immobilité. Entre le masculin et le féminin – ce qui est féminin dans le masculin et inversement. Quasiment chaque chapitre se termine par l'image d'une femme. Il y a aussi la présence du jour et de la nuit, du soleil et de la lune. Il y a le feu – les hommes se rencontrent d'abord autour d'un feu de camp, et la grande scène du château se termine par un incendie. Tous les thèmes fonctionnent par opposition : la mort et l'amour, l'horizontalité et la verticalité...

Il y a également la dimension « romantique » de ce texte... Le pathos, la guerre, le débordement... Comment allez vous traiter cet aspect, avec quelle distance ?
Absolument. C'est sans doute l'aspect le plus délicat à traiter dans ce texte. C'est d'ailleurs une des raisons qui ont fait que le Cornette a été récupéré à des fins guerrières : il a servi d'instrument de propagande pendant les deux guerres mondiales – ce qui a beaucoup attristé Rilke, et qui l'a, entre autres, poussé à renier ce texte. Certains ont lu ce niveau « romantique » comme une vision idéalisée et adolescente de la guerre, et du coup une glorification. C'est encore à l'état de question pour moi, une question que je n'ai pas encore complètement résolue : comment l'actualiser, incarner ses contradictions, quelle distance créer... En revanche, il y a une autre strate du texte qui m'intéresse beaucoup, et qui concerne les questions de gender – de genre. C'était déjà un thème important dans Golden Hours. La pièce de Shakespeare, As You Like It est une sorte de « mascarade ». C'est l'histoire d'une femme qui se déguise en homme pour séduire un homme, et qui, déguisée en homme, joue à être une femme ! La question des genres, du déplacement entre les genres – est très présente dans le texte de Rilke. Les hommes sont représentés avec des traits féminins. Et apparaissent tout au long du textes différentes images de la femme – la fille, la mère, lʼamante, la prostituée, la vierge... Ce jeu d'images se contaminent, s'inversent, se dissipent dans l'écriture de Rilke. A un niveau « psychanalytique », la mère de Rilke l'a élevé en tant que petite fille, il a en quelque sorte remplacé sa soeur morte. Par la suite, le jeune Rilke a été envoyé à l'école militaire – pour devenir un soldat, là où son propre père avait échoué – ce qu'il a vécu comme une expérience traumatique. Son existence est prise entre des identifications contraires – ce que l'on ressent dans ce texte de jeunesse.

Dans Golden Hours (As you like it), le texte de Shakespeare est projeté. De quelle manière sera-t-il présent dans cette pièce ?
J'aime bien que le processus de travail épouse la manière dont je découvre les choses. On découvre un texte en le lisant : lire est un acte. C'était le point de départ pour Partita 2 : j'ai découvert cette musique en l'entendant. Du coup, la musique de Bach commence par être entendue, avant qu'il se passe quoi que ce soit d'autre. Ensuite, il y a le niveau de la voix, l'incorporation. Il existe deux enregistrements du texte de Rilke auxquels je me suis
intéressé, réalisés par Oskar Werner – l'acteur autrichien qui joue dans Jules et Jim, le film de François Truffaut. Le premier quand il était très jeune, et le second peu de temps avant sa mort. Ce sont deux enregistrements magnifiques – à la fois très proches et très différents. Quoiqu'il en soit, la partition sera celle du texte – et un texte ne fonctionne pas comme une partition musicale. Ce n'est pas la même manière de l'incarner au travers du mouvement. Il y a l'incorporation du texte par la voix, le corps travaillé par le souffle. Et ensuite la question de savoir comment cette incarnation peut générer du mouvement. Je travaille avec le danseur Michaël Pomero, qui, dans Vortex, forme un duo avec le violoncelle, et avec la flûtiste Chryssi Dimitriou, sur une partition de Sciarrino. Dans My Breathing et dans Vortex, j'utilise ce que j'appelle une ligne ténor, extrêmement simple, comme une spirale axée autour de la colonne vertébrale. Cette ligne ténor était déjà présente dans Cesena, les chanteurs dansaient cette ligne – qui peut s'étendre à partir de sa forme la plus simple jusqu'à une forme plus complexe – comme une forme de géométrie en trois dimensions. Je vais porter cette voix, voir comment elle s'étend, où elle m'emmène, comment elle se développe, matériellement et géométriquement... Le mouvement aura sa propre logique, qui viendra parfois souligner le texte, comme un contrepoint, et parfois s'en éloignera. Là, il faut penser à ce qu'il se produit dans le théâtre Nô japonais. Les acteurs disent le texte : parfois le mouvement commente le texte, parfois il le contredit, parfois il le souligne – l'illustre même. Mais parfois c'est aussi purement formel – comme l'aspect formel du mouvement des costumes. C'est là tout le champ de tension : entre la ligne du texte, son contenu, sa musicalité. Je pense à une trame de mouvement très centrée et très simple, et à son déploiement géométrique dans l'espace.

Propos recueillis par Gilles Amalvi pour le Festival dʼAutomne à Paris

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Spectacle terminé depuis le dimanche 29 novembre 2015

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