Un homme qui se sentait un cœur à aimer toute la terre
Dom Juan séducteur ?
Dom Juan raisonneur ?
Ses relations avec les autres personnages : amis ou ennemis ?
La fin tragique
" Confidences de Colette Roumanoff "
Pour le langage courant un " Dom Juan " est un séducteur qui brise le cœur de ses amoureuses et qui s’en moque. Le " Dom Juan " de Molière est conforme à la tradition du séducteur impénitent mais s’y ajoute l’histoire d’une amitié entre deux hommes que tout sépare et qui ne peuvent se passer l’un de l’autre. L’un est comique, c’est Sganarelle, un rôle que Molière a d’abord incarné, l’autre est tragique, c’est Dom Juan, un homme qui se prend très au sérieux même quand il s’amuse à séduire deux paysannes en même temps. La rencontre avec la statue mouvante et parlante transforme ce personnage scandaleux et attachant en un héros légendaire.
Depuis le 17ème siècle Dom Juan est un héros moderne. La modernité, c'est la primauté de l'individu sur le groupe. Dom Juan cherche sa raison de vivre et le sens de sa vie à partir de ses propres expériences et non pas à partir d’un conformisme social. C’est un contestataire. Il assume sa condition d'homme. Il prend en charge ses désirs, il a le courage d'essayer de les satisfaire. Il n’a peur ni du qu'en dira-t-on, ni du danger physique, ni du Ciel, ni de l’enfer. Mais c’est un héros fait d’ombres et de lumières. On le voit mentir (à tout le monde sauf à son valet), tromper (les femmes pour les séduire ou s’en défaire), voler (son fournisseur en le payant avec des mots). On le voit courageux (avec Don Carlos), généreux (avec le mendiant), possédé par le désir de voir, de comprendre et d’éprouver la réalité (avec la statue mouvante et parlante).
Dom Juan est un virtuose de la séduction. On le voit en action avec Charlotte et Elvire nous raconte comment il a su la toucher.
Mais il ne réussit pas toujours. Il est jaloux d’un couple d'amoureux qu’il a vu exprimer une " tendresse " extrême. En voulant enlever de force la belle, il manque de se noyer. Comme un enfant, il voulait prendre cet amour pour lui et donc le détruire, tuer la poule aux œufs d'or pour voir ce qu'il y a dedans.
Il dit : " Je crois que deux et deux sont quatre " . A quoi, Sganarelle, lui répond, fort spirituellement : " Votre religion est donc l’arithmétique " .
Le deuxième héros de la pièce est Sganarelle, il représente les croyances populaires affectives et non raisonnées. Il s'emmêle les pieds dans ses explications et il tombe par terre. C'est le faire-valoir de Dom Juan, mais c'est aussi son contre poids. C'est un homme bon. Quand il écoute Elvire parler de son amour pour Dom Juan, c'est lui qui pleure.
Le père de Dom Juan, 120 ans avant le Figaro de Beaumarchais, critique " le grand seigneur, méchant homme " . Dom Juan raisonne alors sur l’hypocrisie, qui est un vice à la mode…
Le deuxième héros de la pièce est Sganarelle, il représente les croyances populaires affectives et non raisonnées. Il s'emmêle les pieds dans ses explications et il tombe par terre. C'est le faire-valoir de Dom Juan mais c'est aussi son contre poids. C'est un homme bon. Quand il écoute Elvire parler de son amour pour Dom Juan, c'est lui qui pleure. Dom Juan se serait mal accommodé d’un valet fourbe. Il apprécie l’honnêteté et l’affection de Sganarelle.
Elvire est la conquête la plus difficile de Dom Juan, c’est une noble Dame. Pour elle " le Ciel " signifie quelque chose et la souffrance que Dom Juan lui inflige ne détruit pas son amour mais le rend encore plus grand. Il y a là un miracle du cœur, la naissance d’un amour qui ne se préoccupe que de l’autre et que Dom Juan ne comprend pas.
Les paysans opposent à Dom Juan leur bon sens populaire : " Il y a des choses qu'on fait, d'autres qu'on ne fait pas " . Ils sont aussi leur propre sens de l’honneur. L’arrivée de Dom Juan sème le trouble dans leurs esprits et dans leurs cœurs.
Le père de Dom Juan, 120 ans avant le " Figaro " de Beaumarchais critique " le grand seigneur, méchant homme " : " J'aimerais mieux le fils d'un crocheteur qui serait honnête homme que le fils d'un monarque qui vivrait comme vous " . Au nom de sa morale il rejette son fils comme " un monstre dans la nature " . Le conflit de génération, présent dans toutes les pièces de Molière, montre qu'il n'y a rien de plus difficile pour un père de comprendre son fils et pour un fils de comprendre son père. Un auteur romain disait avec nostalgie, parlant de temps plus anciens : " A cette époque-là, les pères s'entendaient avec les fils. "
Les frères d'Elvire représentent deux façons de comprendre le statut de gentilhomme. L'un a une vision étroite de l'honneur : celui qui a failli une fois doit périr. Son frère, lui, essaie de trouver un accommodement, d'autant plus que Dom Juan lui a sauvé la vie. Mais, pris par son milieu et son éducation, il est prêt à mourir pour sauver l’honneur de sa sœur.
La statue mouvante et parlante fait entrer Dom Juan dans la légende. C'est comme si tout ce qu'il avait défié se mettait en marche pour le tuer. La statue se met à vivre pour que Dom Juan meure, comme si une main humaine n’aurait pas pu le tuer.
La dimension tragique de la pièce ne vient pas de la mort de Dom Juan, qui, comme le dit si bien Sganarelle, satisfait tout le monde et efface le souvenir de ses turpitudes. La statue qui le tue est un artifice de théâtre, et Don Juan meurt sans avoir trouvé ce qu’il cherchait. C'est la tragédie ordinaire de la vie.
J'ai beaucoup de sympathie pour le personnage de Dom Juan qui est parfois mal compris. J'aime creuser le texte, y trouver des trésors et les partager. Je me sens très à l'aise quand je monte une pièce de Molière. Je me sens chez moi. Et c'est ce sentiment de proximité, que j'essaie de faire partager d'abord aux acteurs et ensuite aux spectateurs.
La troupe, qui existe depuis sept ans, constitue une famille d'esprit. Elle existe aussi par un côté affectif. La mise en scène est le fruit d’une écoute réciproque, une mise en forme, en image et en couleur d'une vision du monde.
Les costumes doivent être beaux, d’abord parce que le texte est beau. Ils sont forts, colorés et intemporels. Ils expriment les caractères des personnages, la symbolique dont ils sont porteurs. Comme pour les autres pièces, c’est Catherine Roumanoff qui les a créés.
Je pense que Christophe Allwright possède toutes les qualités de Dom Juan : le charme, la volubilité et le sentiment du tragique de la vie.
10, rue Pierre Fontaine 75009 Paris