Alors, tu vas vraiment faire ça ? « Évoquer tes souvenirs d'enfance »... Comme ces mots te gênent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui conviennent. Tu veux « évoquer tes souvenirs »... il n'y a pas à tortiller, c'est bien ça.
Nathalie Sarraute nous offre, avec Enfance, un témoignage constitué d’une succession d’événements de son passé, qui, grâce à l’écriture, émergent et se dégagent des « épaisseurs ouatées » de la mémoire, à la fois gouffre et abri des expériences vécues.
Une enfance partagée entre Paris et Ivanovo, en Russie, ainsi que, durant les vacances, en Suisse ; une enfance également écartelée entre, d’une part, son père remarié, et, d’autre part, sa mère, demeurée en Russie.
Par l’écriture, Nathalie Sarraute ne projette pas tant de relater en quelque sorte l’épopée d’une enfance romanesque, mêlant souvenirs autobiographiques et récits distrayants ou cocasses, que de faire réapparaître les événements enfouis, les sentiments, les images et les paroles qui séjournent dans les limbes de la mémoire et qui n’attendent que la stimulation de l’évocation pour ressurgir, pour revivre, pour ressusciter.
Nathalie Sarraute scrute les petits riens psychologiques ou affectifs qui, tels des particules élémentaires, peuvent receler une formidable puissance de déflagration. Au moyen d'une description précise, concise, minutieuse, et qui sert au plus près les détails les plus infimes, Nathalie Sarraute fait jaillir son enfance qui s’anime sous l’impulsion des mots libérateurs et comme résurrectionnels. Les petits faits les plus apparemment inconsistants sont recensés, minutieusement décryptés, et permettent ainsi à l’écrivain de découvrir les profondeurs de sa personnalité qui, sans l’écriture, demeureraient cachées.
Nathalie Sarraute forge un art dont les mots sont les instruments, au service d’une écriture aux accents à la fois intimes et universels, et que je qualifierai, pour ma part, de « sonatine pour instrument de musique de chambre intérieure ».
« C'est un théâtre de langage. Il n'y a que du langage. Il produit à lui seul l'action dramatique... Je pense que c'est une action dramatique véritable, avec des péripéties, des retournements, du suspense, mais une progression qui n'est produite que par le langage. » (Nathalie Sarraute)
Valérie Aubert
31, rue de la Gaîté 75014 Paris