Après une immersion dans le monde social et politique, avec Sortie d’usine et Inventaire 68, Nicolas Bonneau continue d’interroger notre société, et cette fois-ci, il s’attaque au fait-divers.
Le fait-divers, comme le roman noir, dévoile la face cachée des choses, de la société, de l’être humain, jusqu’à parfois l’élever au rang du mythe et de l’universel.
Malgré nos réticences (parfois) au voyeurisme, les faits-divers nous fascinent, car ils réveillent une part enfouie de nous-même. Lequel d’entre nous n’a pas un jour refreiné une pulsion ou une pensée hors la loi ? Quelle est notre propre barbarie ? Pourquoi certains passent à l’acte ?
Pour traquer le fait-divers, Nicolas Bonneau a choisi de retracer le parcours d’un tueur en série ; non pas pour dresser un portrait complaisant de ce cas extrême, mais pour enquêter sur tout ce qu’il y a autour, les familles, les victimes, questionner la justice et la société.
Et aussi raconter une enquête — noire, burlesque et palpitante, celle du conteur roulant en Picardie sur les traces de Jacques B. , qui ne sait ce qu’il va découvrir…
C’était en tournée. Un soir, à l’hôtel. Par réflexe, j’ai allumé la télévision. J’ai pris en cours une émission sur les tueurs en série (le serial-killer est à la mode ces temps-ci), et j’ai vu apparaître la photo d’un tueur qui avait sévi en Picardie dans les années 90, en assassinant des femmes de manière atroce. J’ai vu sa photo. Puis j’ai entendu son nom : Bonneau. Prénom Jacques.
Le même nom que moi. La voix off du documentaire martelait son nom sur une musique de suspens : Bonneau ! Mon nom qui résonnait dans la pièce. Je suis resté scotché devant le poste, à la fois dégoûté et fasciné par les crimes commis. Fasciné aussi par ce patronyme partagé, comme si ce nom nous reliait, comme un fil invisible. Je n’avais pas du tout envie d’éteindre le poste. J’ai eu du mal à m’endormir ce soir-là. Je mentirais en disant que j’en ai fait des cauchemars.
Simplement, il était dans mon sommeil.
Et le matin, au réveil, je savais. J’ai su qu’il avait quelque chose à me dire. J’ai trouvé ça presque drôle, inévitable, évident : faire un spectacle sur lui, enfin, autour de lui.
Suivre ses traces. Bonneau qui enquête sur Bonneau, partir à sa recherche. Parcourir la Picardie en voiture. Gares, hôtels et restaurants routiers. Rencontrer ceux qui l’avait connu, ses parents, son avocat, les parents de ses victimes, un chroniqueur judiciaire… aller jusqu’à lui, en prison… ce matin-là , je me suis vu face à lui, le monstre, au parloir comme devant un miroir, fasciné par mon double noir, mon propre monstre et mon frère humain pourtant…
C’est comme ça que ça a commencé.
Ça ne peut pas être un hasard si je me suis lancé sur ses traces. Impossible en tout cas, de raconter son histoire sans raconter la mienne.
Nicolas Bonneau
« Ces histoires sont véridiques. Ce sont peut-être des paraboles, mais elles ne signifient ce qu’elles signifient que parce qu’elles sont vraies. » Paul Auster
Au journal télévisé, les présentateurs et les reportages égrènent les faits-divers, les uns après les autres, jusqu’à rendre cela inaudible.
Le monstrueux devient banal.
En mettant le monstre sur une scène, il redevient effrayant et humain et nous montre ce que nous ne voulons pas voir chez nous-même.
Autour d’une scénographie représentant un élément central lié à la route, le conteur alterne récit, narration, adresses directes au public, confidences, description, incarnation de personnages et de situations.
Des couches qui se superposent et s’imbriquent les unes aux autres.
Le son et la musique qui agissent comme des révélateurs physiques et émotionnels.
Mettre à distance puis entrer dans l’intime. L’ombre et la lumière.
Il y a la matière humaine, fruit du collectage, du regard, des rencontres.
Il y a le thriller, polar noir, l’histoire du tueur.
Il y a la parabole, celle qui rejoint le mythe et la quête intérieure.
Il y a enfin l’enquête, le trajet, la forme du Road-Movie, et le suspens du conteur narrateur pris dans un engrenage qu’il a lui-même crée.
15, route de Manom 57103 Thionville