Qu’ai-je fait ? C’est pour fuir cette question que Fany Barkowicz, la quarantaine, traductrice, mariée et mère de deux garçons, fille de Léo Barkowicz au passé douloureux, se jette à corps perdu dans une déambulation intérieure et extérieure qui va la mener beaucoup plus loin qu’elle ne se doute.
Quatre-vingt seize heures auront suffi à bouleverser sa vie, quatre-vingt seize heures avec en point d’orgue un coup de téléphone, limpide et pourtant étrange, venu solder des années de relations avec les auteurs qu’elle a traduits, les éditeurs qu’elle a croisés, les gens qu’elle a aimés... Acculée par une infinité d’éléments qui ont soudain convergé vers l’irréparable, elle se retrouve propulsée au sommet d’une montagne beaucoup trop haute pour elle.
Comment en redescendre, si l’on n’est pas un oiseau migrateur mais une fourmi-mouche, créature hybride qui a des ailes mais ne vole pas ?
La boîte noire du théâtre bien sûr, mais aussi cette technique d’encadrement qui expose un tableau à la fois cerné et en apesanteur qui guide subtilement le regard vers ce qui se passe à l’intérieur.
C’est cette forme, empruntée au monde des arts plastiques, que je vais m’efforcer de traduire sur scène. Etant aussi peintre, j’ai eu l’occasion à maintes reprises d’en vérifier l’efficacité. Surtout, un visuel aussi épuré me renvoie directement à une question fondamentale : comment théâtraliser le point d’intimité extrême, cet instant de dépouillement que je recherche dans tout mon travail ?
Faute d’Impression me semble se prêter particulièrement bien à un tel processus, puisque ce texte est un voyage intérieur. L’auteur nous donne à voir ce qui se passe dans la tête d’une femme qui se retrouve soudain en apesanteur simplement parce qu’elle a essayé de sortir du cadre. Pas de spectaculaire ni de sensationnel dans sa dérive mais, l’air de rien, elle nous entraîne dans un fossé où les fragilités sont mises à nu.
Dans un premier temps, mon travail a été de passer au crible, avec l’auteur, un texte qui n’avait pas encore subi l’épreuve du plateau. Il s’agit bien sûr d’un work in process qui ne se terminera qu’à la dernière répétition (et encore !), mais nous avons à présent entre les mains une matière aussi définitive que possible.
J’ai ensuite entamé avec la comédienne (qui joue le jeu d’oublier qu’elle est l’auteur) un long processus de redécouverte de ses/ces mots dont il nous faut à présent trouver l’incarnation.
Loin de tout réalisme, nous cherchons, ensemble, la distance de jeu nécessaire à l’éclosion d’un partage avec le public : mettre les couleurs et les formes qui permettront au propos d’exister dans l’immédiateté du plateau. Le pari est d’arriver à dessiner un concret, vrai et efficace, en sollicitant l’imagination. En un mot, faire théâtre.
Une boîte noire, deux axes : d’une part aider la comédienne à décoller, de l’autre lui imposer un cadre précis et rigoureux.
Décoller - Laurence Sendrowicz est l’auteur de ce texte, le travail avec elle a donc commencé par un effacement, condition préalable pour qu’elle puisse se réapproprier par le corps les émotions couchées sur le papier. Nous sommes passés par un processus similaire avec notre précédent spectacle. La forme de ce texte nous oblige à creuser encore plus profondément. Mon rôle est d’aider la comédienne à laisser le personnage se révéler à elle lentement puis de la guider pour le construire par touches successives. C’est ce à quoi nous nous employons sans relâche, dans l’espoir de trouver le ton juste.
Créer un cadre précis et rigoureux - partir d’un plateau noir et nu sur lequel les éléments devront s’imposer et resteront minimaux (pour l’instant un pupitre, un tabouret haut et un ventilateur). L’espace étant de toute façon aussi éclaté que l’intérieur d’un crâne en ébullition, le décor devra permettre des allers et retours entre le monde du dedans où les pensées se bousculent et le monde du dehors où les voitures klaxonnent. J’ai l’intention d’utiliser la lumière et la musique - mes outils de prédilection - pour voyager entre l’un et l’autre.
Une histoire de boîte noire, donc. Et qui s’inscrit dans la continuité de la mise en scène que j’ai proposée pour Les Cerises au kirsch. En retravaillant avec la même équipe, je voudrais poursuivre ma recherche sur le rapport direct entre scène et salle. C’est pourquoi je conçois à nouveau le spectacle pour un petit lieu, boîte noire lui aussi. Il m’importe de creuser encore et encore ce sillon, cette proximité que l’on peut créer avec un public qui vient vous écouter ici et maintenant. Et j’aimerais arriver, avec un minimum de moyens, une seule actrice, un texte, presque pas de décors, de la musique et de la lumière, à toucher chaque spectateur comme si on lui avait instillé les mots dans le creux de l’oreille.
Nafi Salah
7 rue Véron 75018 Paris